Lettre I
"Vendredi 13 octobre,
Mes chers enfants, aujourd'hui, mes mains réapprennent à écrire. Mes doigts s'enroulent fermement autour de mon crayon, et mon poignet se guide seul, sur cette surface blanche. Il y a si longtemps que je n'ai pas fait apparaître des lettres, si longtemps que mes pensées ne se sont pas imprimées sur le papier. Si longtemps, que je ne me souvenais plus de cette sensation. Mais à présent, j'ai de nouveau besoin de le faire. Et malgré le soulagement que j'éprouve en vous écrivant, il n'y a rien de plus douloureux.
Ce matin, quand ils m'annoncèrent la nouvelle, l'air déjà étouffant de ma cellule me sembla irrespirable.
Alors que j'écris, vos visages me viennent en tête, je fais de mon mieux pour les graver dans mon esprit. Ton visage, mon fils, ton sourire sans imperfection, ton regard et ta sensibilité si éprouvante, et le tien, ma fille. Tes joues légèrement rebondies et roses, tes yeux d'une couleur rare, bleus comme les lacs sous soleil d'été. Mais surtout, et je me pardonne pour les quelques larmes qui tombent malgré moi, ton ventre depuis peu gonflé, la vie que tu as créé, ce petit cœur qui bat au rythme du tien. Les enfants, je vous aime tellement.
Pourquoi nous séparer ainsi ? Est-ce seulement de leur faute ou de la vôtre ?
Passons, tant que nous continuons de communiquer, tout me va.
Vous souvenez-vous de Guillaume, mon colocataire ? Il fut libéré hier ! Je suis heureux pour lui, il trépignait d'impatience. Vous auriez vu son visage dès qu'on vint le chercher, il rayonnait de bonheur ! Il me promit de ne jamais m'oublier, et je lui ai retourné sa parole.
L'oubli... Quelle idée particulière. L'oubli, c'est le souffle d'un vent qui passe, la couverture du temps, son éternel allié. Rien ne peut en venir à bout, si l'oubli passe, les souvenirs à jamais trépassent. La seule qui arrive à lui tenir tête, c'est l'écriture. Et encore, même elle, parfois, se fait avoir par l'oubli.
Pour moi, l'écriture n'est qu'un pont vers vous, et ensuite les enfants, vous prendrez le relais en racontant mes histoires à qui veut les entendre.
Je compte sur vous! Lisez mes lettres, garde-les précieusement, et n'oubliez pas le châtiment de votre père. Criez haut et fort mon nom, pour que l'oubli depuis toujours victorieux soit pour une fois dominé.
Tout comme Guillaume, un jour le rat terré dans son trou que je suis, verra la lumière. Il sortira de sa tanière, fera face à ses congénères sans rien leur cacher, qu'importe l'état dans lequel il est. Le rat sortira de son tunnel sombre et profond pour prouver aux autres qu'il est encore là. Prenez soin de vous les enfants, je vous embrasse fort."
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