Chapitre 19 - Le temps d'une soirée
J'aurais aimé être sourd. J'aurais aimé ne pas entendre. Depuis que je suis petit, c'est le souhait que je formule quelques fois quand j'entends une bêtise plus grosse que l'homme. J'aurais aimé être sourd. J'aurais souhaité ne pas entendre certaines choses.
J'aurais aimé être sourd et idiot pour ne pas comprendre.
Pourtant, quelque chose dans ce que je venais d'entendre me figea.
« - Est-ce que tu essayes de me dire quelque chose Lili ? »
Je me retourne vers elle avec cette boule à l'estomac. Pourquoi ai-je si peur ? Pourquoi ai-je si peur d'entendre ses mots ? De les comprendre ? Pourquoi redoutais-je ce moment ?
Elle me regarde avec cet air déterminé que je ne lui connaissais que trop peu et s'avance pour se mettre à ma hauteur.
« - Non. »
Elle me dépasse et me dis une fois encore :
« - Je suis responsable de ce que je dis Tristan, pas de ce que tu comprends. »
Et s'éloigne, me laissant là, sur place.
J'aurais aimé la poursuivre. Courir derrière elle, la rattraper. Lui demander des explications. Lui demander la signification de tout ceci. Oh oui, j'aurais aimé la tenir par le bras et lui demander la vérité.
Mais en réalité, j'en ai peur. Terriblement peur de cette vérité.
J'ai peur de savoir ce que je sais au fond de moi depuis un bon moment. J'ai peur de m'en rendre compte. N'avez-vous jamais ressenti ça ? Vouloir terriblement quelque chose, y être à deux doigts et finalement reculer ? Reculer parce que vous savez qu'une fois que vous aurez atteint votre objectif, votre but, vous n'aurez plus rien.
Alors, je laisse Lili s'éloigner.
Une fois à l'université, je retrouve Leila, m'accueillant presque avec le sourire et me tendant un bout de feuille déchirée d'un carnet.
« - C'est pour toi.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Bah regarde. »
Il y avait une adresse griffonnée à la main.
« - Viens ici, ce soir, à 20h.
- Ce soir ? Je ne pourrais pas, je suis déjà pris.
- Il va falloir que tu revoies ton sens des priorités Tristan. Qu'est-ce qui compte le plus pour toi ?
- Non, mais, ce n'est pas que je ne veux pas, c'est que je ne peux pas.
- Quand on veut, on peut !
- Leila...Hmmm..Que dis-tu de demain soir plutôt ?
- Et qui a dit que demain soir je serais aussi disponible que ce soir ?
- On vient de me dire de revoir mes priorités. »
Plus je discutais avec elle, plus j'apprenais à la connaître, plus un semblant de moi semblait petit à petit l'apprécier. C'était comme dompter un tigre sauvage. On voit le « gros chat » tout mignon devant nous, mais on reste sur nos gardes par peur qu'il nous saute à la gorge. C'était exactement la même chose avec Leila. Même si une part de moi semblait l'apprécier de plus en plus, une autre part resta totalement méfiante et hostile, se demandant pourquoi soudainement, elle était si gentille et serviable avec moi.
« - Bon, très bien, mais ne soit pas en retard !
- Ai-je un jour été en retard ? »
Je l'avais dit sur un ton plein d'assurance. Cela me rappelle notre rendez-vous chez le glacier et notre marché. Je ne trahirais pas ma parole. Ce n'est pas dans mes habitudes, mais je ne peux m'empêcher d'être constamment anxieux quand il est question de Leila, cette fille reste et demeure totalement imprévisible.
Une véritable tigresse.
« - C'est bien pour tes yeux hein ! »
Et c'est bien la première fois que je l'entends me complimenter sur mes yeux. Si c'est un compliment.
J'ai passé le reste de ma journée à guetter Lili, ne serait-ce que de loin et apparemment, je ne fus pas le seul. Plusieurs fois mon regard croisa celui d'Oliver. Plusieurs fois il me salua, même de loin, mais je ne lui répondis même pas. Plutôt m'arracher une jambe. Il semble la chercher. Tout comme moi.
Il est rare que Lili déserte la faculté. Serait-elle rentrée ?
À la fin de la journée, quand ce fut presque l'heure, je passai chez moi me changer et me doucher quand une fois devant le portail de chez son grand-père, je fus pris d'hésitation. Cet endroit me rappelle tellement de... mauvais souvenirs. Ce vieil homme aime à me traumatiser et je me demande bien si ce soir ne sera pas comme tous les autres soirs.
Sonnant, j'attends que l'on m'ouvre et une fois à hauteur de la porte d'entrée, avant même que je n'eus le temps de frapper à la porte, il vint m'ouvrir.
« - Ah. Te voilà. Tu es en retard. »
Seulement de deux minutes. Peut-on réellement considérer cela comme un retard ?
« - Excusez-moi.
- Aller. Entre donc ! Ma foi, quelle asperge tu fais ! Regarde-moi ça. Fais attention où tu mets les pieds !
- Oui, oui... »
Toujours aussi autoritaire, il n'a pas changé.
« - Lili ! Tristan est là !
- J'arrive. »
Même si je ne l'ai pas vu de la journée, le fait d'entendre sa voix me rassure. Lili va bien. Elle descend les escaliers pour nous rejoindre.
« - Toujours aussi à cheval sur les délais hein ?
- Ton grand-père vient de me hurler dessus parce que j'ai deux minutes de retard...
- Ahahaha ! Ne t'en fais pas pour ça...Tu sais bien comment il est, non ? Aller vient, on va passer à table. »
J'étais étonné ou du moins je ne m'y faisais toujours pas. Être là. Cela fait bien des années que je n'ai pas mis un pied ici.
« - Je te laisse t'installer, je vais chercher les plats.
- Tu as besoin d'un coup de main ?
- Non, elle sait très bien se débrouiller toute seule ! Mets-toi en face de moi l'asticot ! »
Même vieux, cet homme me mettait une pression de malade. Rien que de croiser son regard me terrifiait légèrement.
« - Dis-moi...Tu tournes encore autour de ma petite fille ? »
Mon cœur saute un battement et accélère dans la foulée tandis qu'il me dévisage comme s'il était prêt à me décapiter si je ne répondais pas convenablement à sa question.
« - Nous...Nous sommes amis...Rien de plus.
- Hmmm...Amis hein ? Avec toutes les nuits qu'elle passe chez toi, tu vas me faire croire ça ? Tu crois que c'est au vieux singe que l'on apprend à faire la grimace ?
- Mais je vous assure que...
- Assez ! »
Son poing tape sur la table et me fait sursauter. J'étais mort. Il m'avait fait venir uniquement pour me tuer. J'en étais certain.
« - Écoute-moi bien petit morveux...
- Oui.... »
Il se lève de sa chaise tandis que je le suis du regard, rangeant mon envie de me précipiter hors d'ici en prenant mes jambes à mon cou.
« - Tu vas me faire le plaisir de te coller un peu plus à ma Lili. Compris ? »
Je le dévisage à mon tour.
« - Pardon ?
- Ah...Voilà que c'est une jeune femme charmante et cela ne m'étonnerait pas que quelques petits coqs lui tournent autour à l'université. Protège la. Compris ? Si tu ne le fais pas...Si elle est ne serait-ce que blessé par l'un de ces petits prétentieux, je te jure tu vas entendre parler de moi.
- Grand-père ! Ça suffit maintenant ! »
Lili nous surprend tous les deux, une marmite dans les mains. Elle s'approche, furieuse et pose violement le plat sur la table, passant exprès entre nous deux.
« - Je fais ça pour toi !
- Et je n'ai pas besoin que tu te mêles de ma vie privée. D'accord ?
- C'est ma maison ! Tant que tu vivras sous mon toit, je déciderais de comment tu vivras ta vie !
- Tu décides déjà de beaucoup trop de choses à mon goût !
- ET AVEC RAISON ! MAINTENANT TU VAS BAISSER D'UN TON JEUNE FILLE !
- NON ! »
Commençant à m'écarter, je me lève discrètement de ma chaise pour rejoindre la porte d'entrée :
« - ASSIS TRISTAN ! »
Leurs voix s'élevant à l'unisson, je me jette par terre, tel un animal à qui on venait de donner un ordre suprême.
« - Il y en a plus que marre de tes règles ! Les choses ont changé dehors !
- Il est hors de question qu'ici, ça change. C'est le changement qui a tué Rosalinda !
- Je t'interdis de parler de ma mère ici...
- Bon...Je devrais y aller moi...Vraiment...Je ne voudrais pas vous déranger...
- NE BOUGE PAS TOI LA BAS ! »
À vos ordres.
« - Lili...Si jamais tu t'avises de changer quoi que ce soit dans notre façon de faire...Je te promets que tu ne seras plus la bienvenue dans cette maison.
- PARFAIT ! C'était quoi déjà la règle n°21 ? Pas de relation avant le mariage hein ? Regarde ce que j'en fais de ta règle ! »
En deux pas, elle s'approche de moi, les poings resserrés, m'attrape le visage, l'encadrant de ses deux petites mains et avant même que je ne le réalise, m'embrasse.
Puis, elle finit par se retourner vers son grand-père en hurlant :
« - ET VOILÀ ! »
Ce dernier s'approche à nouveau et la gifle.
« - Monte dans ta chambre. »
Sans se faire prier, elle disparaît dans l'ombre des escaliers tandis qu'il me fusille du regard, m'obligeant à me redresser d'un coup, prenant compte de la réalité que je venais de subir de plein fouet : Lili m'avait embrassé.
« - Quant à toi...Ne t'avise pas de profiter de la situation...
- B...Bien sûr que non !
- Tu devrais rentrer chez toi Tristan...
- D...D'accord...Merci encore pour l'invitation. »
Avant que je ne passe la porte d'entrée, sa canne s'agrippe à mon bras et me retient à sa hauteur : « - Cette famille n'est pas fréquentable Tristan...Il y a des secrets qu'il vaut mieux laisser enterrés. Ne creuse pas. Ne cherche pas à comprendre. Mais promets-moi de protéger Lili. Peu importe la situation. Peu importe ce que vous devenez.
- Oui..Je le ferais. La question ne se pose même pas. Lili m'est précieuse.
- Mais elle est aussi dangereuse. »
Et avant même que je n'eus le temps de comprendre sa pensée, il me poussa dehors d'une tape dans le dos et me claqua la porte au nez, m'abandonnant seul sur le porche.
On peut dire ça s'est mieux passé que la dernière fois non ?
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