Recroquevillée dans le noir, Hellen avait perdu la notion du temps. Elle se souvient que Sarah avait toqué doucement à la porte, inquiète. « Hellen, ça va ? » Seul un reniflement lui avait répondu. Sarah était allée s'assoir sur le lit, avait caressé doucement les cheveux de sa jumelle.

— Ça s'est mal passé avec Leonard ?

— Oui, mais j'ai pas trop envie d'en parler.

Sarah prit les mains d'Hellen dans les siennes, posa sa tête sur la sienne. Elles restèrent ainsi un moment. Les larmes d'Hellen se firent plus rares, la douleur dans sa poitrine un peu moins perçante.

— Et si je nous faisais un chocolat chaud ? proposa Sarah.

— Si tu veux...

Hellen sentit le matelas reprendre sa forme initiale tandis que Sarah se levait. Elle resta encore allongée tandis que sa sœur s'affairait à la cuisine. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'y repenser, pourtant elle ne savait que penser de cette situation. La culpabilité lui tordait l'estomac et la prenait à la gorge. Elle s'en voulait, pourtant elle sentait aussi qu'elle avait eu bien raison d'agir ainsi. Qu'est-ce qui clochait chez elle ? Fatiguée de tourner en rond dans ses pensées, elle rejoignit Sarah.

Celle-ci était occupée à verser le breuvage épais et fumant dans deux tasses de terre cuite. Elles s'assirent à la table. Hellen prit une des deux tasses mais n'en but rien, la simple vue de la boisson l'écœurait.

— Je crois que je devrais rompre avec Léonard.

Sarah fixait intensément sa sœur, l'air soucieux.

— Tu ne l'aimes plus ?

— Si, si, bien sûr que je l'aime mais... c'est un peu compliqué. Je suis pas sûre que lui veuille continuer.

— Ah bon ? Tout à l'heure il avait l'air bien amoureux pourtant...

— Oui, c'est pas le problème. Enfin si un peu mais... C'est juste que...

— Il t'a fait du mal ?

— Non pas vraiment, je pense que c'est moi qui lui fais du mal. Ou qui vais lui en faire à force, alors mieux vaut qu'on s'arrête là je pense.

— Toi, faire du mal à Léonard ? J'ai du mal à y croire...

Devant le silence d'Hellen, Sarah hésita.

— Il s'est passé quelque chose chez lui ?

— Il ne s'est rien passé et c'est bien ça le problème ! Il... enfin je... 

Les mots se précipitaient dans la bouche d'Hellen qui peinait à mettre ses pensées en ordre. Les larmes montèrent, encore une fois. Mais elles ne débordèrent pas et la sorcière réussit à se lancer : 

— Léonard a été très collant toute la soirée, je le sentais venir. Quand on est arrivé chez lui, on s'est beaucoup embrassé – moi j'aime pas trop ça, enfin un peu ça me va mais là j'étais pas à l'aise. Il l'a remarqué, alors il m'a demandé ce qui n'allait pas. J'ai dit que j'étais fatiguée. Il m'a dit que lui il avait envie d'aller plus loin. Il m'a demandé si moi j'en avais envie. J'ai fini par lui dire que non, pas trop. J'ai bien vu qu'il m'en voulait, il s'est mis à faire la gueule.

Une larme dévala la joue humide d'Hellen.

— Il m'a demandé si je l'aimais, je lui ai dit que oui, il m'a dit qu'il en était pas si sûr, vu que je veux jamais qu'on fasse l'amour. Je lui ai dit que ça n'avait rien à voir, il m'a dit que bien sûr que si, ça avait à voir. J'étais à deux doigts de pleurer, je lui ai dit que je voulais rentrer. Lui aussi il avait les larmes aux yeux, mais il m'a aidé à jeter un sort d'invisibilité et je suis rentrée. Voilà. Je sais pas où on en est, je sais pas si je veux continuer... Je me sens tellement perdue, Sarah... 

Sarah se leva et entoura sa soeur de ses bras, ne sachant quoi répondre. Parfois, Hellen et elle se comprenaient sans parler, d'un regard à peine. D'autres fois, les mots ne suffisaient pas à tisser des ponts entre leurs réalités. 

Tandis que l'aube se levait, Sarah avait l'impression d'étreindre sa soeur sans vraiment l'atteindre. C'était tout ce qu'elle était capable de faire. 

Et pour Hellen, c'était déjà beaucoup.