32 - Valkirel

3e jour de la saison de la lune 2450

Rien n'aurait arrêté Arièlla Valkirel de partir ce matin-là, pas même ses parents ni le Grand Maître. Elle s'était levée au premier signe de lumière pour aller à la chasse avec Harath. En ce temps hivernal, elle portait une cape doublée de fourrure tenue en place par des broches circulaires, une tunique simple, des hautes bottes rembourrées, des gants épais, une double paire de culottes et enfin, un surcot à l'image d'où résidait sa loyauté fervente, soit d'un beige sur lequel une tête de dragon ébène rugissait férocement, le blason des Gardiens d'Aerinda. Les teintes neutres avaient été choisies spécialement pour désigner leur neutralité en ce monde, n'accordant aucune préférence à une faction. Non, ils avaient pour mission d'assurer l'équilibre et la paix d'Aerinda. Certains Atgoriens lançaient des farces à cet égard, déclarant que c'était de l'histoire ancienne depuis leur alliance avec la Haute-Couronne. Arièlla était d'avis contraire. Le Haut-Roi avait pour but de protéger ses sujets et le bon fonctionnement des royaumes unis favorisait aux Gardiens. C'était un unisson logique et sensé.

La guerrière avait laissé son armure et son étoile du matin derrière, optant pour une tenue de voyage plus légère. La dragonne au regard de lave lui en fut reconnaissante, ronchonnant en silence à chaque fois qu'elle devait porter sa cavalière équipée pour le combat. Elle avait beau être solide et puissante, elle n'était pas encore adulte et sa musculature encombrait déjà plus ses mouvements que les dragons au physique plus svelte comme Tyrath.

Heureusement pour elles, le ciel était clair. Le blizzard d'hier soir n'était plus qu'un encombrement du passé. Sous elles, un océan de pureté blanche s'étendait jusqu'à l'horizon. Cette neige fraîche présentait une opportunité parfaite pour traquer le gibier, mais elles n'en étaient pas dépendantes. Oh que non. Le flair de Harrath était aussi développé que celui d'un loup et s'en fut peu avant qu'elle détecte l'odeur d'un cerf à proximité.

— N'as-tu pas des obligations à l'académie aujourd'hui? questionna-t-elle alors qu'elle vira soudaine vers la droite, accélérant le rythme de ses battements d'ailes.

— Si, lui répondit Arièlla, distraite par ses pensées. Nous rentrerons à temps. Nous n'avons jamais manqué à notre devoir.

— Comme tu le dis. Ce n'est pas moi qui prends le risque d'attirer la colère de tes maîtres, termina Harath sur un ton subtilement vénéneux.

Elles avaient cette discussion à chaque fois que la dragonnière décidaient de prendre un peu d'air avant que les classes débutent. Parfois, elle désirait qu'un moment de liberté, mais cette-fois, son esprit était préoccupé et cela n'échappa pas à sa partenaire de vie.

— Ce n'est pas de mes affaires et honnêtement, je ne sais pas pourquoi je demande, mais qu'est-ce qui te tracasse?

— Mes parents agissaient anormalement hier soir, lui expliqua la blonde, remémorisant sa mère qui arpentait la cuisine de leur humble maison tandis que son père l'observait, les sourcils froncés.

— Et?

— Et, ils désirent qu'on se rencontrent, nous les Valkirel, aux bordures d'Atgoren, là où peu de nous se rendent. C'est un endroit non fréquenté, parfait pour jacasser de choses secrètes. Ce n'est pas bien vue.

— Étrange en effet.

La dragonne renifla, concentrée sur sa chasse. Elle détestait la sensation des brises glaciales contre ses écailles et ne s'attardait pas dehors bien longtemps dans cette température. L'année passée, dans sa frustration, elle avait proposé qu'elles aillent vivre plus au sud comme l'instinct d'un dragon rouge le pousse. C'était hors de questions. Harath était loyale, mais rien qu'à elle-même et à Arièlla. Elle n'appréciait guère les vœux des dragonniers lorsque ceux-ci allaient à l'encontre de ses désirs et elle était difficile à plaire. Elle ne pliait, de temps en temps, que pour sa dragonnière.

— Elle est proche et avec un bambin, informa-t-elle.

Comme promis, deux silhouettes quadrupèdes se dessinèrent sous les yeux de la cavalière. Chacune n'avait pas de cornes, la surface de leur tête ronde et douce. C'était bel et bien une mère et son enfant. Ils se dirigeaient vers le bosquet le plus proche, sûrement en quête de nourriture. Les feuilles se faisaient rares durant ce temps de l'année. C'était risqué de s'exposer ainsi, les prédateurs étants affamés et audacieux, mais ils n'avaient pas d'autre choix que de continuer la marche, utilisant leur énergie pour traquer leur prochaine source d'alimentation.

— Tu es inconfortable avec ce choix ? demanda Harath.

En temps normal, Arièlla aurait préférée s'attaquer à un mâle, sachant qu'une femelle est bien plus important pour soutenir la populace, mais cet hiver avait été particulièrement rigoureux et elle ne désirait pas que Harrath se prive. Un dragon avait un grand appétit, mais chez les espèces comme les dragons rouges, ils semi-hibernaient en présence de froid extrême et leur métabolisme ralentissait drastiquement. Malgré cela, se nourrir n'était pas une option.

— Vas-y.

La bénédiction accordée, la majestueuse dragonne plongea, rugissant sa fierté.

✦×✦

La fin de l'après-midi approchait et la cours résonnait de fracas métallique, de gémissements et de cris de guerres. Maître Jendriken, le visage crispé par son semblait-il éternel austérité, en avait que faire des apprentis ineptes. Il prenait soin de les épuisés, observant chaque détail de ses yeux sombres creusés dans leurs orbites. On dirait qu'il n'avait jamais connus la gaîté. Certains se questionnaient sur l'existence de ses dents qui ne paraissaient jamais. Son dragon lui, en possédait des rangées acérées. Il rugissait des menaces à ceux qui manquaient d'énergie, incluant Fayne qui s'était permisse une pause en s'accotant sur son long bâton renforcé de fer. Elle était loin d'être la pire de la bande. Au moins, elle essayait de s'améliorer. Katanor Diramin, de son côté, n'avait toujours pas accepté qu'il était au même rang que les autres. Autrefois prince de son peuple, c'est ce qu'il croyait toujours vrai.

— Je n'ai pas l'intention d'être soldat, avait-il annoncé à Jendriken lors de leur rencontre.

Sur le coup, il s'était mérité l'honneur d'un duel forcé contre le dragonnier brun et s'était rendu à l'infirmerie en compagnie de sales bleus. À présent, il prétendait tant qu'il fut surveillé. Il avait beau ressembler physiquement à un plus jeune Serfantor, il n'était rien comme son aîné. Sa simple présence irritait Arièlla. Comment avait-il pu se rendre jusqu'ici alors que Serfantor avait subit le déshonneur de l'exil alors qu'il n'était même pas en faute? Clairement, le système de justice avait ses failles et la blonde avait pleinement l'intention de rectifier le problème lorsqu'elle allait atteindre le rang qui le lui permettrait. Elle avait pleinement confiance en ses capacités. Il ne lui suffisait que de la discipline ainsi que de la patience.

Elle faisait face à Jessa Bane qui faisait plus élémentaliste que guerrière. Elle maniait son arme de choix, soit une épée courte, avec anxiété et raideur. Arièlla la dépassait en talent de loin. Chacune de ses décisions étaient calculés et précis, ne manquant jamais de concentration. Elle esquiva aisément la lame de sa partenaire de duel qui chargeait comme un taureau enragé. Cette-dernière glissa sur une plaque de glace, se retrouva au sol, tortillée dans une danse involontaire avec Vorshiènn qui combattait Katanor.

- C'était... pas de chance, mentit la blonde musclée qui restait aussi neutre que possible, souhaitant maintenir une image professionnelle.

C'était la dixième fois ce jour-là qu'elle battait la pauvre fille. Elle avait besoin d'aide. Malheureusement pour elle, le pyromane ne voulait pas utiliser son temps libre sur elle.

Jendriken les observait attentivement. Une lueur de colère passa dans la prunelle de ses yeux. Il fronça ses sourcils broussailleux et tonna d'une voix autoritaire :

— Par toutes les divinités, assez pour aujourd'hui! Retournez à vos lits !

Aussitôt l'ordre communiqué, un silence inconfortable s'installa.

Arièlla sentit une vague de fatigue s'éprendre de son corps. Elle roula lentement ses épaules endoloris et chercha Harath du regard. La dragonne n'était pas restée pour l'entraînement, préférant aller se cacher dans son antre, mais elle était supposée revenir pour la fin. Elle remarqua Azéna qui, contrairement à son habitude, n'avait pas prit le temps de venir la voir pour discuter et s'était éclipsée comme une criminelle. D'ailleurs, elle ne lui avait pas accordée une once d'attention depuis la journée précédente. Aucune importance, se dit Arièlla. J'ai affaire avec mes parents de toute façon.

Alors qu'elle secouait les flocons de son surcot, sa partenaire de vie se présenta devant elle, apeurant le pauvre Gragèn qui ne l'avait pas venu venir. Le roux hoqueta, la main sur la poitrine, et s'éloigna à pas de loup.

— Le plan n'a pas changer ? demanda la dragonne cramoisie.

— Négatif, répliqua la Valkirel. On se rencontre toujours à cet endroit.

— Vaut mieux de ne pas les faire attendre dans ce cas. Ils sont tes supérieurs autant que tes progéniteurs.

À ce sujet, Arièlla n'avait nul besoin d'un rappel. Elle leur devait respect, service ainsi que loyauté et c'est ainsi qu'elle les traiterait. Ne questionne pas leurs intentions, se commanda-t-elle. Gardant ses doutes emprisonnés dans l'arrière de son esprit, elle enfourcha Harath et agrippa les rênes, la mine sombre.

Au sud-ouest d'Atgoren, aux limites du royaume doré d'Elthen, la température était plus tolérable. La neige n'était plus et l'herbe se retirait, laissant graduellement place à une marée de sable et à peu de verdure. Tout-de-même, les vents demeuraient frais, laissant savoir que l'hiver était toujours roi de sa saison. C'était un temps de répit pour les Elthiens qui souffraient durant les temps asséchés de l'été.

Arièlla fut accueilli par ses parents ainsi que de leurs dragons, Miana et Tobalt, qui se prélassaient sous l'ombre d'un palmier couronné, un type de palmier si gigantesque qu'il atteignait parfois trente mètres et dont le bout de ses feuilles resplendissait d'un jaune éclatant. Miana mordillait le cou musclé de Tobalt qui tolérait la session de toilettage et rien de plus. Le mâle rouge claqua les mâchoires aussitôt qu'il aperçut Harath, trop fier pour laisser la femelle bleue continuer.

Arièlla se dépêcha de mettre le pied à terre, atterrissant fluidement.

— Père, mère, salua-t-elle en accordant une révérence aux Valkirel aînés. Que faisons-nous si loin de nos frères et sœurs ?

— Nous patientons pour les deux derniers attendus, dit Eldarytzan avec un maigre sourire.

Sa fille, perplexe par le besoin de personnes additionnelles pour une soi-disant réunion de famille, fronça les sourcils, mais ne questionna pas son maître.

Ils attendirent ainsi et la faim ne manqua pas à son appel. En temps normal, ils auraient été à la ripaille habituelle de l'académie d'Archlan. Arièlla ne s'en plaignit pas; elle était une guerrière, forte et fière.

Enfin, le battement régulier d'ailes retentit au loin. Harath qui beignait béatement dans les rayons des soleils jumeaux, se leva lentement, le regard fixé au nord-est. Là-bas, un dragon se dessinait contre le ciel dégagé. Il s'approchait et les détails de son physique s'éclaircirent.

— Tyrath? jappa Arièlla, prise de confusion.

Ses yeux croisèrent ceux de son père qui lui confirma l'identité du nouveau-venu d'un hochement de tête et d'une expression presque désolée. Harath renâcla comme si elle venait d'être insultée.

— Qu'est-ce que cela signifie? grogna-t-elle, méfiante.

— Voit avec sérénité, enfant du feu, souffla Miana. Ce n'est pas une ruse.

— Une honte dans ce cas. Cette trouble-fête indisciplinée ne mérite pas le nom Valkirel. Encore fortunée qu'elle soit une archère hors-pair et qu'elle ait reçu l'honneur d'être lié au légendaire Turion.

Tobalt se permit un grognement sourd comme avertissement. Il se leva de toute sa gloire, puissant et intimidant comme il l'était. Deux fois plus grand que Harath, il tenait la dominance ici. Ce fut Nymia qui le calma d'un signe de la main.

Harath fixa sa dragonnière en espérant une réaction similaire à la sienne, mais la blonde l'ignora tout simplement, hypnotisée par les nouveaux-venus qui étaient presque arrivés.

C'était bel et bien Tyrath et Azéna. Elle n'arrivait pas à comprendre ce qu'elle venait d'entendre. Comment était-ce possible? Tout ce temps?

Et ce fut lorsque l'archère mit le pied à terre que son cœur bondit, mais cette réaction issue de quelle émotion, elle en fut incertaine. De la rage? Du contentement? De l'excitation? De l'appréhension?

— Salut petite sœur, souffla timidement Azéna.

Arièlla resta sans mots. Elle ne comprenait pas. Elle ne savait pas si c'était une bonne chose ou non. Agrandir une famille, c'était contre les vœux des Gardiens d'Aerinda, mais ce n'était pas comme si ses parents venaient tout juste de faire les démarches pour ça.

— Je... Je ne sais pas.

Elle se sentait mal à l'aise de participer à cette réunion secrète. Était-elle en train de commettre une trahison?

— Que vont-ils penser de nous?

La crainte s'éversa de ses mots. Azéna s'approcha et lui tendit la main, encore plus doucement que Serfantor l'avait fait. Son regard du même azur que le sien et celui de leur père lui confirma leur liaison de sang. Maintenant qu'elle la voyait sous un nouvel angle, elle ressemblait beaucoup à Eldarytzan. Tout ça lui donnait tant d'émotions diverses qu'elle ne savait plus où se mettre la tête.

Mais ce qui l'inquiétait le plus, c'était les conséquences de tout cela. Elle refusait de mettre leur confort en jeu pour une sottise comme ça.

— Je vous le répète, que vont-ils penser de nous ? insista-t-elle en retirant sa main de celle de l'archère.

Les yeux de cette dernière s'écarquillèrent légèrement, suggérant qu'elle ne s'attendait pas à cette réaction.

— On s'en fou, Ari. Nous sommes une famille.

Et puis, était-ce vraiment le cas? Il y avait trop de variables, pas assez de preuves. Comment pouvait-il vraiment le savoir ?

— Ah, tu crois ça, toi ? aboya la blonde au regard azur.

— Bah, oui ! rogna Azéna en la défiant du même regard.

Leurs expressions et leurs yeux étaient, en effet, identiques sauf pour le style de maquillage oculaire. Azéna en portait du noir et Arièlla, pas du tout.

— Vous vous rendez compte que c'est improbable qu'un homme met la même femme enceinte à deux temps différent dans la même année !? s'exclama cette dernière en s'adressant à ses parents.

— C'est improbable, oui, confirma son père, son visage solennel et sérieux.

Elle se tourna vers sa mère qui portait la même expression que lui. Pas elle. Pas la Gardienne Nymia en charge des défenses d'Atgoren. Elle avait toujours été si dévouée, si loyale, si majestueuse. La pyromancienne cadette sentit son admiration pour elle se briser.

— Mais n'avez-vous pas honte !? Briser votre serment une première fois puis, une deuxième !?

— Arièlla Valkirel ! grogna sa mère, colérique. Ça suffit ! Nous avons les preuves nécessaires. Aussi, Grand-Maître Terenas est au courant, termina-t-elle sèchement en lui faisant un signe de tête qui désignait Azéna.

Sa fille fronça les sourcils, irritée par tout ce qui se passait autour d'elle. Bon, elle avait peut-être été brusque. Elle reconnaissait que ce n'était pas la faute d'Azéna. Alors, elle agirait correctement avec elle. Par conséquent, elle ressentait encore de la colère envers ses parents. Elle désirait de la solitude, pour digérer tout ça.

Elle s'approcha de l'archère et lui serra délicatement la main.

— Je finirai par m'y faire.

Sur le coup, elle réalisa pourquoi Azéna l'avait évitée comme de la peste et ne put retenir un gloussement.

— Mouais, souffla l'archère en souriant bêtement.

Nymia parut satisfaite, se tenant droite et fière à son habituel tandis que son amoureux versait une larme solitaire. Ils avaient enfin reforgé leur famille, au léger désagrément d'Arièlla.

D'ailleurs, celle-ci se dirigea vers Harath en n'accordant aucune attention à ses parents. Elle enfourcha sa partenaire aux écailles cramoisis et la laissa décider du chemin à suivre, se concentrant sur ses propres sentiments.

Harath l'emmena où avait été dressé le bûcher pour souhaiter adieu à Serfantor. Franchement, quoique ce n'était probablement pas une bonne idée, c'était là où elle désirait être.

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