28. Coup de fil 2



Nora compose le numéro rouge. Ça ne se passe pas comme avec Villeneure. Là, le Président répond dès la première sonnerie :

– J'écoute ?

– Mes respects, Monsieur le Président...


Il la reconnaît sur le champ, signe qu'il doit lui trainer quelques saletés dans l'arrière-conscience, quelques remords dans le cervelas :

– ... Madame Paoli ! Ça alors ! Quel plaisir ! Comment allez-vous ?

– Madame Dumonchelle, Monsieur le Président.

– Je vois, je vois ; et comment se porte votre époux ?

– Mon mari, à merveille ; il est à mes côtés ; il vous salue bien d'ailleurs...

– De même, de même... mais comment se fait-il...

– ... que nous ayons ce numéro ?

– Par exemple, par exemple.

– C'est simple : nous l'avons demandé à Monsieur Villeneuve, qui n'a plus rien à nous refuser...

– Je vois, je vois.

– Vous souvenez-vous de l'Opération Désherbage ?

– Bien sûr, bien sûr ?

– Suivie de l'Opération Nabab, puis de l'Opération Criquets... vous n'avez pas oublié ?

– Du tout, du tout...

– C'était hier, avant-hier tout au plus.

– Tout à fait, tout à fait...

– Parce qu'on se posait des questions, vous comprenez ?


Il convient, le bougre, il convient ... désolé qu'il est, vraiment désolé... raison d'Etat, un truc redoutable, la raison d'Etat... il aurait bien aimé refuser, s'il avait pu, mais il n'a pas pu... ça s'est fait à son insu, sans son accord, en douce, ou presque...

Même qu'il est ravi qu'on s'en soit tiré, vraiment ravi... surtout qu'on reste au frais, en sécurité, pendant que nos potes sont au chaud, dans leur petit paradis tropical, surtout... parce qu'avec le général...

Mais le général, au fait, il a présentement pris la poudre d'escampette...

Pauvre Président : comme s'il n'avait pas assez de soucis comme ça !


Nora s'empresse de le rassurer. Des nouvelles du général, ça, on peut lui en donner. Toutes fraiches même. Au frais, lui aussi... et à nos bons soins... parce qu'il a bien fallu accéder à ses données...

Mais il s'est montré rétif, vraiment rétif... c'est compréhensible... un homme comme lui... entier, intègre, sourcilleux...

Alors on a dû insister, au point qu'il en est à supplier pour sa morphine... à ce point, oui... heureusement qu'elle est médecin, qu'elle sait doser, éviter les syncopes, les arrêts cardiaques...

Evidemment, on pourrait craindre qu'il songeât au suicide, avec sa rigueur notoire, morale avant tout... aussi, présentement, est-il entravé... une camisole, oui... mesure de protection... pour son bien... absolument...


Une âme sensible, le Président, tellement sensible qu'il en frémit d'horreur... on n'avait pas le choix, évidemment, le général ne nous avait pas laissé le choix... mais quand même... en être à lui refuser la morphine... sous camisole en plus... quand même...

Brave Président, il trouve ça vraiment difficile notre métier, très difficile, vraiment... le même que celui du général, finalement, le même... fallait bien que ça lui arrive un jour, fallait bien... un métier redoutable, comme celui de président d'ailleurs, redoutable, absolument...


On a dû prendre quelques mesures, draconiennes, pour notre protection... vu que la sienne, toute présidentielle qu'elle est, s'en est partie en courant... courant alternatif, évidemment... avec ses hauts, ses bas...

Tomy, pour commencer, en prison, inculpé de meurtre... il a avoué, bien sûr, il n'avait pas le choix... mais surtout qu'il y reste, au moins quelques années... faute de quoi, elle se sentirait dans l'obligation de lui donner des cours particuliers... non, pas les sœurs Lajoie, pas du tout... le kalaripayat, très mauvais pour les articulations, destructeur même...

Villeneuve, ensuite, pour lequel on a besoin de son avis... parce que Villeneuve, pour se racheter un tantinet... il a tenu à nous faire cadeau de son cher chalet de Névache... pour nous prouver son affection... indéfectible désormais, bien sûr... s'il nous conseille d'accepter, par écrit évidemment, on acceptera... mais on ne veut en aucun cas abuser...

Chic type ce Président : il nous conseille d'accepter, et il nous met ça en copie... l'affaire est dans le sac... ensuite, s'il veut se garder Villeneuve, comme chef de cabinet, on n'y voit pas d'inconvénient... d'autant qu'on est sûrs qu'il marchera droit dorénavant...


Reste enfin le cas du général, pour lequel on a également besoin de son avis... pour le meurtre en question, celui du brave Docteur Feuille... il est commanditaire quand même...

Il serait juste qu'il dédommageât... sinon la victime, du moins sa veuve... c'est un chef, un vrai, et un vrai chef, ça ne laisse jamais tomber ses subordonnés... surtout un chef pourvu d'une fortune personnelle...

Mais la prison, ça ferait tache, vraiment... aussi, a-t-elle pensé à l'asile... un asile militaire, bien sûr... au sortir du Val de Grâce, qu'il réintègrera incessamment...

Un asile donc... au motif, non, pas d'incompétence professionnelle... ce serait méchant, même si c'est avéré, manifestement... mais une simple incompétence professionnelle, ça justifie une mise à la retraite, d'office... et ça n'empêche pas les procès... or c'est fâcheux, un procès, très fâcheux...

Pour le sortir là... pour sa propre sauvegarde, notamment... seule solution, la psychiatrie... « Tendances suicidaires mégalomaniaques » par exemple... certificats médicaux à l'appui, évidemment...

Faut simplement que le Président confirme son accord... un petit coup de fil au Médecin Général Directeur de l'hôpital par exemple... pour confirmer le diagnostic... un diagnostic présidentiel... un diagnostic secret défense... et c'est réglé...

Il va faire... ou plutôt faire faire... immédiatement... parfait !


Mais il y a plus grave désormais... l'Opération Cactus... qui nous pend au nez, avec explosion, vraisemblablement aux drones télécommandés, des stades de foot européens... à commencer sans doute par le stade Vélodrome, Marseille, archi plein... quarante mille morts en un coup de cuiller à pot...

Seul Medhi sait comment anticiper... et encore, s'il n'est pas trop tard... Medhi, perdu dans l'Océan indien, île de Mtsamboro... fâcheux, vraiment fâcheux...

D'autant qu'avec Tomy en taule et le général à l'asile, il y a comme un vide... donc c'est d'accord... retour à la maison de l'équipage, immédiatement... avec Edouard qui reprend la DGSE...


Maintenant, pour nous, reprend Nora, la donne a changé... une once de méfiance, compréhensible...

Aussi s'agit-il d'un contrat... SECU&PRO en l'occurrence... désormais baptisée S@P, « Satpé » pour les intimes... Paul Dumonchelle s'il préfère... qui passe d'auto-entrepreneur à ses heures à PDG d'une SARL... siège social en Suisse, par précaution... branché Genève, par commodité...

J'en reste bouche bée : en un tour de main, elle me transforme ma petite société pépère en start-up multinationale ! Nora, sourire en coin, ne me quitte pas d'un œil qui pétille. Décidément, ma petite femme a un sens du business dont je fais défaut...


Et elle continue, de sa petite voix douce, qui ne supporte pas la contradiction : quatre petites centaines de millions et on résout l'affaire... sinon... ben sinon rien... il se la résout tout seul, tout simplement...

Le Président renâcle : ça fait cher... ah bon... à lui de voir... on l'aura prévenu... gratos... c'est déjà pas si mal... allons, d'accord... pour trois cent millions... un prix d'ami... et un matelas de départ, en attendant de voir.

Le Président larmoie : mais non, on ne le laisse pas tomber... et puisqu'il met la question sur la table... force est de reconnaître que si lâchage il y a eu...


Pour résumer, Paul Dumonchelle, souhaite faire valoir ses droits à la retraite... bien mérités, effectivement... d'autant qu'avec son épouse ils possèdent désormais un beau chalet, grâce à son aval, doublé de sa présidentielle onction ...

Mais cela n'empêche nullement Paul Dumonchelle de créer une société et d'accepter des missions... à titre privé, bien évidemment... tout comme rien n'empêche son épouse de le seconder, en cas de besoin... ni ses beaux frères, à l'occasion...

Simplement, pour les trois cent millions en question, faut qu'ils soient disponibles très rapidement... Banque Cordier, Frères & Cousins, 1 rue du Profond Silence, Genève...

Parce que S@P ne travaillera que sur du matériel qu'il possède en propre... avec ses propres ingénieurs... dans ses propres locaux... bien propres et sécurisés... à l'abri, au secret... matériel qui coûte bonbon, et qu'il faut racheter... puisqu'il a laissé celui du Mans s'envoler...


Une fois qu'elle a raccroché, Nora, radieuse me saute dans les bras :

– L'affaire est dans le sac.

Et devant ma bouche bée d'époux aussi ahuri qu'admiratif, elle ajoute :

– Faut toujours savoir conclure, chéri...


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