25. Sous-sols 1
Je tente de remercier Amédée, avec mes restes de latin :
– Gracias Amadeus ! (Merci Amédée !)
– Nihil suavius. (De rien, mon cher.)
– Ablare latinum difficile per me est. (Parler latin difficile pour moi est.)
– Ita video ! (C'est visible !)
– Etiam cum video pervenirebo nunquam... (Même avec la video, j'y arriverai jamais...)
– Je vois, mais le français encore je comprendre...
A la revoyure, mon pote. J'espère bien qu'on n'en a pas fini tous les deux, et que je trouverai un jour un ascenseur à te renvoyer, à même ton trottoir.
Nora m'a bipé, un SMS : « Colis arrivé, rapplique ».
Pour commencer, Montreuil, rue Babeuf. Martin est encore là. Au café du coin, une bière en main, je lui résume l'épisode Amadeus & Albanus. Il est plié de rire, avec le coup du latin surtout, et pis de penser au Tomy, en tôle, cervelle en bouillie, moral en chaussettes.
Salut mon pote. A la revoyure aussi. Pour Notre-Dame-des Landes, j'ai pas oublié ma promesse. On fera ce qu'on pourra. Promis.
Je renfile mon accoutrement prof de math, cartable cuir défoncé, lunettes cerclées, mèches folles, pantalon de velours, parca bleue à capuche... Et je reprends mon chemin de ruelles jusqu'à Bagnolet, 35 rue Sadi Carnot, immeuble Epidendrum, premier étage, porte 103.
Nora est là qui m'attend.
Putain, ce que ça fait plaisir de se revoir ! On ne trouve plus les mots, mais y en n'a pas besoin. L'absence assaisonnée d'angoisse a creusé un de ce ces vides... qu'il nous faudrait plusieurs vies pour tenter de le combler.
Je voudrais bien la garder un peu plus dans mes bras qui sanglote, mais on a du travail qui nous attend. Et puis elle veut des détails. Rebelote donc, bien lovés sur le canapés : Martin et les Zadistes, Sophie et son Philippe, Amédée et son latin, Alban, in whisky veritas, dégustant le Tomy, glaçon pilé, à petites gorgées, Villeneuve et le Président, qui nous ont jetés, fusibles usagés.
Général, Villeneuve, Président, ils ne valent pas mieux que les Nababs ou les tycoons. Une balle dans l'arrière du crâne, ou un troupeau de chameaux perdus dans le désert, ils ne méritent rien d'autre.
Heureusement qu'au passage il y a les Lemaître, Martin, Alban, Amédée, fêlés & Co, sans oublier Vivi, Aristide, et Madou.
Madou, qui s'en souvient encore de celui-là ? Son cadavre est à peine froid qu'il a sombré dans leurs marais d'indifférence. Un orphelin d'Afrique, tout nu, tout noir, tout rien, allongé, linceul blanc, sur une table de jeu, Venetian, Macao. Madou, pont Nobre de Carvalho, tête fracassée par une balle.
« Couilles molles », qu'il aurait dit, avec une petite moue de dédain, « couilles molles », en chaussons, robe de chambre, tisane et thermomètre au fion, courant alternatif, branché sondages.
Opération Cactus, on verra plus tard. Pour commencer, opération Désherbage, retrouver l'équipage.
Direction quatrième sous-sol, cave blindée, murs blancs et nus, lumière crue, fond sonore de canalisations qui gargouillent bien fort, pour étouffer les gémissements. Le général Jean-Charles de Liévy nous attend, exfiltré la veille de l'hôpital militaire du Val-de-Grâce par notre ami l'adjudant Lemaître.
Le général Jean-Charles de Liévy en personne, militaire raide, brusque, hautain, un chef, un vrai, avec uniforme, képi, fourragère et subordonnés, pour leur mener la vie dure. Le général Jean-Charles de Liévy nous attend donc...
Mais ce n'est plus le même. Plus du tout. Brutalement atteint de péridurale au long court, il traine, cul de jatte et dénudé dans un coin et dans sa merde. Pas supportable, surtout l'odeur. Heureusement, il y a une pompe à incendie, pour nettoyer tout ça, à l'eau bien fraiche, évidemment.
Une fois propre, il claque des dents. J'interroge Nora :
– T'as pas peur qu'il prenne froid ?
– Tu penses, une santé de fer !
– Ses dents qui claquent ?
– Excellent pour les muscles mandibulaires !
Je ne sais pas pourquoi, une pensée pour Edouard me traverse l'esprit.
Il est sans doute croyant, lui aussi, notre général, avec messe en latin tous les dimanches matin. Et le laisser ainsi, c'est peut-être pécher. On est en train de déroger à nos obligations les plus élémentaires : il lui manque non seulement un crucifix, mais également un cilice, modèle Edouard amélioré. Un cilice en fil de fer barbelé par exemple, bien entortillé autour de la taille, et relié avec un tour de cou. Un truc bien serré, qui fortifie les muscles du dos, en obligeant, sous peine de morsure des pointes barbelées, à maintenir la tête bien droite, posture martiale, son genre de prédilection.
Des fois que ça l'aiderait à remémorer ses péchés, au cas où il en aurait à se faire pardonner...
Faut que je demande un coup de main à Marie-Astrid. Depuis que le général lui a annoncé la disparition de son époux, elle est inconsolable. Si je lui suggère un peu de tricot, même en mailles barbelées, point mousse, bien acérées, pour contribuer à sa réssuscitation, ou pour participer à l'identification des coupables, elle mettra sûrement tout son cœur à l'ouvrage. Elle ira même jusqu'à faire bénir le cilice en question par un bon curé...
C'est pourtant simple, ce qu'on lui demande, dans un premier temps du moins : le code de son portable, avec celui de sa messagerie.
Il s'y refuse, obstinément, s'efforçant de ne pas desserrer les dents, sauf quand elles claquent trop fort, évidemment.
Pourtant, je me penche sur lui, affectueusement, pour lui tapoter le crâne :
– Mon général ?
– Salaud !
– Tout de suite les grands mots !
– Tu me le paieras !
– Peux pas : chuis déjà mort, et plusieurs fois !
Tandis que lui, il n'a encore jamais expérimenté. Mais faut pas qu'il s'inquiète, on peut remédier à cela.
Avec Nora, on a chacun nos méthodes. Et on se met à en débattre, détails à l'appui.
Elle aime bien l'acide, de bas en haut, pour en apprécier le tempo : décès à petit feu, avec des picotements lancinants, crescendo, puis dilution à gros bouillons, et élimination accelerando, format liquide, via les canalisations. Disparition ni vu ni connu, traces d'ADN y compris.
Alors que moi, le champ d'honneur, j'y suis attaché, question culture éducative sans doute. J'opte donc pour l'attentat au suicide. Les Castreurs Islamiques du Désert, que j'ai l'honneur de commander, grâce à lui, ont mis au point une technique abominable qu'il me tarde d'expérimenter : bombe à déclenchement anal. Tant qu'il se retient, il se maintient en vie ; au moindre relâchement de sphincter, au moindre petit pet, même de travers : boum !
Pulvérisé, néanmoins identifiable, par morceaux, grâce à son ADN, obsèques à suivre, avec les discours. Touchant : vraiment dommage qu'il ne puisse pas y assister !
Devant le général, affalé dans un coin de son cachot, on laisse la discussion s'envenimer. Pour le coup, Nora et moi, on a bien du mal à se mettre d'accord.
Reste donc à élaborer un scénario œcuménique. Nora invoque son serment d'Hippocrate pour ne pas attenter à la vie du général. On pourrait par exemple élaborer une mini bombe, à l'acide pourquoi pas, douillettement placée dans l'entrejambe, à déclenchement anal, si j'y tiens.
Après l'explosion, elle intervient, scalpels et blouse blanche, pour ramener le moribond à la vie, une vie de cul de jatte évidemment, avec ablation de tout ce qui traine sous le bassin, rein artificiel, anus également, sonde gastrique pour l'alimentation, et planche à roulette pour se balader, grâce à ses bras demeurés intacts, promis.
S'il y tient, elle connait l'art d'accommoder les restes : elle peut transformer la moitié d'un ressuscité en un simili cadavre entier, ce qui lui permettrait d'assister, une fois bien défiguré, à ses propres obsèques, cour de l'école militaire, à l'écart de sa famille éplorée, au milieu des trouffions estropiés, qui se feront un plaisir d'accompagner la dépouille d'un général victime de l'ignoble Ben Asteck.
Privilège exceptionnel, lui faisons-nous remarquer, réservé jusqu'à présent aux rares émules du Colonel Chabert, privilège qu'on est prêt à lui offrir gracieusement, avant de l'envoyer, mendiant anonyme, sur un trottoir, Mexico ou Calcutta, quif quif bourricot...
Pauvre général de Liévy, hier au faîte de sa gloire retrouvée. Il tire une de ces têtes ! Et on n'en a pas fini...
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