17. Zadistes
Martin ne me promet rien. J'ai des morts sur la conscience, quand même !
D'abord, faudra que je m'explique, et les Zadistes, c'est des pas faciles à convaincre. Ensuite, les terroristes en cavale, c'est pas trop leur truc.
D'ailleurs, ils ont déjà pas mal d'ennuis tout seuls. Alors, faut pas que je m'étonne si je me retrouve otage. Ils ont tout plein de copains à faire libérer, en tôle ou en garde à vue. Au moins, comme monnaie d'échange, je vaux mon pesant de cacahuètes.
Mon histoire d'embrouille, il n'est pas contre. Je serais une victime, une cible : ptêt bien qu'oui, ptêt bien que non. Je serais l'objet d'un méchant complot, ourdi par des ordures, ignobles salopards qui... : pourquoi pas !
Mais faut que je m'y fasse, j'ai pas franchement l'air d'un naïf en vadrouille, stage innocence et découverte.
La camionnette s'est arrêtée dans une clairière. Martin a rameuté ses potes. Comité de réception : des barbus, chemises à carreaux, jeans trop larges, comme les polaires, troués de partout. Et ils sont là, les bras croisés, qui me fixent avec de petits yeux méfiants, que je me sens comme un pingouin, reluqué par des ours blancs qui se pourlèchent les babines.
Les mecs à défendre, ils connaissent. Reste à voir si j'ai des arguments. Ils me donnent donc la parole. Deux phrases pour convaincre, trois tout au plus... Parce que sinon, j'ai surtout un beau profil de volaille à plumer...
Un idée me traverse la tête : Philippe, le copain de ma Sophie. Je peux toujours tenter. Je me tourne vers Martin :
– Philippe, qui crèche par là où je t'ai rencontré, tu connais ?
– Mouais...
– Sa copine s'appelle Sophie.
– Ouais.
– Ben c'est ma fille, et c'est elle que je venais voir.
– C'est déjà un début.
– D'ailleurs j'aimerais bien savoir s'ils n'ont pas eu d'ennuis !
Il veut lui téléphoner.
Stop ! Faut se méfier des écoutes : s'il avait un copain, en ville, qui pourrait passer voir et les ramener en douce, portables éteints...
Une heure plus tard, Sophie débarque avec son Philippe. Elle me saute au cou :
– Papa, j'étais folle d'inquiétude !
Elle savait que j'avais été dans les commandos. Barbouze, j'en ai jamais trop causé. Alors barbouze, marié à une barbouze, mêlé aux embrouilles qu'on cause à la radio...
En plus, en fuite, recherché par toutes les polices, elle me trouve au top, le top du top, même si les flics l'ont transformée en appât, et son appart en souricière :
– Papa ???
– Oui ?
– C'est vrai ???
– Quoi ?
– Ce qu'ils disent à la radio ?
– Euh...
– Ben Asteck, c'était toi ?
– Enfin...
– Wingsuit, hélico, parachute, ski, escalade, c'était toi ?
– Euh...
Philippe a manifestement un sens moral un peu plus développé... ou un préjugé moins favorable à mon endroit :
– Ben Asteck, les mecs égorgés ?
– Si on veut...
– Le bébé fracassé ?
– Faut pas croire...
Heureusement que le Martin a un grain de bon sens en plus :
– Primo, vous le laissez pas causer ; secundo, il a peut-être d'autres problèmes en ce moment !
J'en profite pour les interroger sur les flics en question. Pas doute, ce sont des gars de la maison. J'ai la DGSE ancienne formule sur les bras. Il y en a qui n'ont pas dû apprécier, bunker du Mans pour les uns, mise à pied pour les autres.
Ils ont dû retourner Tomy, sur l'air des seconds couteaux abandonnés de la farandole... Revanche de bas étage, opération Cactus en préparation, pour couronner le tout !
Si, au moins, avant de cramer le bunker, ils avaient pensé à mettre l'équipe au frais, avec Medhi, et ses machines... Et s'ils veulent se ménager le Medhi, faut qu'ils ménagent sa mère, ses frères, sa sœur... Et s'ils les ont ménagés, tout n'est pas perdu...
Mais Sophie ne me lâche pas :
– Papa ???
– Sophie...
– ... ta femme ?
– Oui...
– Elle est comment ?
– Euh...
– Tu l'aimes ?
– Ben...
Philippe, lui, m'en veut salement. Il a dû mettre un bon paquet dans la tirelire « munitions pour bon papa », genre cochon rose version dirty piggy, bien répugnant, bedon grande capacité :
– Un criminel, ce type !
– Derrière les grands mots...
– Un assassin d'enfants !
– Derrière les apparences...
Martin s'interpose :
– Vous allez le laisser parler, oui ou merde !
En quelques mots, c'est compliqué.
Je commence par Madou. Pas un faux celui-là... ni sa caméra.
Ben Asteck, en revanche, pipeau... mais pas les caméras, ni Michelle d'ailleurs... avec sa caméra, pas plus que les drones... à cause des caméras.
D'ailleurs, maintenant, les caméras, partout, c'est le problème. Je ne peux pas bouger sans me faire repérer. Or pour réagir, contre-attaquer, récupérer Nora... faut que je me remue sans me faire voir.
Martin me met la main sur l'épaule :
– Passer au travers des caméras, ça, on sait faire.
– Vous me...
– Donnant donnant : si on t'aide, tu nous files un coup de main ?
– Un coup de main ?
Philippe intervient :
– J'ai pas confiance : je réclame un pow pow ».
Sophie m'explique :
– On est libertariens... en même temps que végétariens... pas de chef ni de viande... démocratie directe... quand il faut décider, on cause... quand il s'agit d'être contre, pas de problème, on est tous pour... mais quand il s'agit d'être pour, ça fait problème... il y en a toujours quelques-uns qui sont contre... là, t'inquiète... c'est Philippe... il est jaloux de toi... donc il m'aime... donc tout va bien...
Evidemment, résumé comme ça !
Ils s'asseyent donc en rond, une bonne quinzaine, avec Sophie à côté de Martin, qui se rapproche d'un cran chaque fois que Philippe ouvre le bec. Rapidement, il prend parti pour le fermer.
Et tout le monde finit par être d'accord avec Martin. Ils m'aideront donc. J'aurai le réseau des Zadistes avec moi.
Mais je m'engage : une fois la situation renversée, je les soutiendrai. Plus d'aéroport à Notre Dame des Landes pour services rendus à la Nation.
Selon eux, Youri Ben Asteck, c'est un bon investissement. Ennemi public numéro 1, une fois de plus : bagatelle ! Comment imaginer qu'il échoue ? Une simple petite situation à renverser. Un détail pour un mec comme lui...
Renverser la situation, tel est bien mon problème, que je tourne et retourne, dans un sens, dans l'autre, à l'endroit, à l'envers, en diagonale... Peine perdue.
Tout ça avec la boule au ventre. Nora, où est-ce qu'elle en est ? Qu'est-ce qu'elle fait ? Dans quel état ?
Ils m'ont rendu mon Beretta, à condition que je retire le chargeur, mais ça me fait une belle jambe. Sophie est venue s'asseoir à côté de moi :
– T'es inquiet, qu'elle me demande ?
– Oui, lui répond ma tête.
– Viens manger : l'estomac plein, avec une bonne nuit, ça aide à réfléchir.
Elle en a de bonnes : je vais passer la nuit à me retourner dans tous les sens, rêvant festouilles d'Aïcha et tête de Nora au creux de l'épaule.
En fait de bouffe, c'est pas si mal leur boulgour, aubergines et amandes grillées, cuisiné dans une roulotte et englouti bien chaud dans le froid, autour d'un feu, bonnet sur le crâne et couverture sur les épaules, accompagné par un gus qui gratte sa guitare.
Un adepte de Bobby Lapointe, « La poésie contondante », ça me va bien, ou « Je veux jouer de l'hélicon, pon, pon, pon, pon »...
Pour aider à dormir, un joint avec la tisane, décoction de reine des prés, orties, pissenlit, récoltés sur le site, engrais bouse de vache, garanti bio. Efficace, malgré la tente et le vieux duvet crasseux, et malgré les tripes en feu pour cause d'anxiété à vif.
Décidément, je me fais vieux !
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