11. Débarquement




On est au large de Macao. Une centaine de caméras ont été distribuées. Une quinzaine par soute. Aristide a choisi les fronts qui les porteront.

Ce sont tout à la fois leurs armes, leurs boucliers, leurs étendards... Et si le porteur tombe sous une balle, un autre est prévu. Et s'il tombe à son tour, un autre suivra pour la brandir à nouveau.


Une fois déclenchées, ces caméras tournent en permanence et transmettent les images en direct.

Medhi s'occupe du livestreeming. Il est à la régie, pour inonder les rédactions du monde entier.


Aristide a fait rentrer tout le monde en soute, lui compris, avec Madou à ses côtés, caméra au front. Et Vivi, le cœur serré, a ressoudé les écoutilles.

Chaque soute a son casino de destination, en fonction des capacités d'accueil. Soute 1 : Wynn et Gran Lisboa. MGM et Ponte 16 : soute 3. Sands et Oceanus : soute 2. Soutes 4, 5, 6 et 7 : Galaxy et Venetian, sur l'île de Taïpa*.


L'hosto a été démonté. On a hissé les Calabrais sur la passerelle. Ils ont tenté de résister, avec leurs gros yeux furibards. Mais Nora les a piqués, et ils font désormais les ivres morts, débraillés, sur les fauteuils, à côté d'un stock de bouteilles vides, alcool de riz, grappa et vodka mélangés.

Enfin, Bubu est passé nous prendre dans une vedette rapide. Direction casino the Venetian. Une suite sublime nous a été réservée, avant dernier étage, avec vue à cent quatre-vingts degrés sur la baie de Macao. Elle a été prévue pour nous et pour nos caméras, qui fourniront le film de l'accostage, avec les vues générales de l'assaut, plus quelques zoom si besoin.

Edouard a bien fait les choses, sans lésiner sur les moyens. On peut suivre les opérations en direct et sur écran.


Cerise sur le gâteau, les dents de sagesse de Jun Lu nous livrent les dernières nouvelles de la salle de commande des tycoons, réunis pour la circonstance en assemblée générale, avec festin tournant, à la chinoise, douze plats au minimum...

Ils l'ignorent encore, mais ils s'orientent vers de sérieux problèmes de digestion !

Jun Lu est personnellement aux manettes, Ziang au spectacle, avec ses copains gourmands, Triades au complet et au garde à vous.


Pendant ce temps, un Viken miniature navigue tranquillement dans la piscine de Medhi, où il passe à l'attaque d'un vieux port de Marseille en carton pâte, télécommandé du haut du Venetian, prince des casinos, Macao.

Trois autres pétroliers miniatures, en plastique évidemment, évoluent dans la même piscine, à l'assaut de Barcelone, Gêne et le Pirée, en carton pâte également, chacun dans leur coin, avec leurs marées humaines présupposées en soutes, chargées de faire basculer l'Europe, sous les coups des partis nationalistes, qui attendent l'aubaine.

Medhi et ses ingénieurs gèrent images et communications. Ils assurent, les mecs, au top !


D'un côté, on voit le pétrolier approcher. De l'autre on entend : « Vieux port de Marseille en vue ».

D'un côté on nous prévient : « Attaque des gardes côtes français avec une frégate et trois hélicoptères ». De l'autre on voit des remorqueurs chinois tenter d'entraver la marche du monstre et des commandos héliportés se faire déposer en vain sur le pont.

Pendant que le Viken défonce le pont d'Amizade**, dont les piliers, devant nous, volent comme des allumettes, on nous annonce que la digue du vieux port a explosé.

Le Viken écrabouille deux petits ferrys et vient mourir contre un terminal, pendant qu'on entend Jun Lu affirmer que le vieux port n'est plus qu'un cimetière de carcasses éventrées***.

D'un côté Marseille est envahie par une marée d'immigrants clandestins. De l'autre, on voit le flanc droit du Viken s'ouvrir et déverser nos cent mille passagers sur un ponton de Macao.


Evidemment, ça ne pouvait pas durer, et le moment est arrivé où on n'a plus entendu qu'un silence, ponctué par un « Tamade » supersonique, proféré par le camarade Ziang en personne.

Ça détonne : pas son vocabulaire ordinaire, sûr... Ça doit vouloir dire « merde » en chinois, ou quelque chose comme ça.

Faut dire qu'ils sont dedans, jusqu'au cou, et même au delà.

Le silence a repris, ponctué cette fois par un brutal « Waimian chuangu ».

Ça doit vouloir dire quelque chose comme « Foutez-le par la fenêtre », parce qu'on voit Jun Lu, hurlant, le visage déformé par la terreur, passer devant la vitre, brassant l'air des quatre membres, avant d'aller tacher de rouge le parvis de marbre blanc, trente-cinq étages plus bas, ses dents de sagesse désormais comme lui, définitivement muettes.


Les caméras embarquées émettent en continu. Les rédactions du monde entier n'ont pas trop compris comment et pourquoi elles reçoivent un flot ininterrompu d'images, parfaitement sélectionnées.

Mais c'est leur menu de prédilection, de l'embedded, actualité en train de se produire, vécue de l'intérieur, cœur de l'action qui se déroule, comme autant de récits au présent et à la première personne.

De toute façon ça défile trop vite pour qu'elles aient le temps d'envoyer leurs propres équipes. Comme il y a les gros plan avec de beaux zooms et que ça correspond aux crépitements des télex, pourquoi s'en priver ?

Tant pis cette fois pour l'exclusivité.


Pour commencer, pétroliers explosant des ponts, pour finir encastrés contre un ponton, s'éventrant pour laisser place à une marée humaine. Singapour, Shanghai, Hong Kong, Macao, en même temps, ont remplacé Barcelone, Marseille, Gênes et Le Pirée.

Ça continue avec des enfants qui escaladent des palissades, puis avec des femmes et des bambins aidant des vieillards à avancer, sur des autoroutes bloquées, avec des familles terrorisées, dans des voitures immobilisées, entourées d'Africains.

Peut-être des cannibales, qui sait ?


Fox, CNN et tutti quanti, même certains médias chinois, ont rapidement compris qu'il se passe quelque chose de grave, un événement historique, un onze septembre bis, au moins.

Place au direct. Afrique et Moyen-Orient attaquent l'Asie à coups d'immigrants clandestins.

Police et armée tentent de canaliser les foules à coups de jets d'eau et de gaz lacrymogènes.

Femmes, vieillards, enfants, dépenaillés et pleurant, les font reculer, enfoncent des vitrines, tentent de pénétrer dans des palaces.

Un choc des continents...


De quoi nourrir des flots de discours nationalistes et véhéments, des réactions incontrôlées, des réflexes regrettables...

Mais il y a les images : elles montrent moins l'envahissement de la Chine, que les misères subies par les hordes de malheureux.

Plus les forces de l'ordre, dépassées par les événements, résistent, plus l'Asie agresse l'Afrique.

Plus musclées sont les méthodes policières, plus l'impression croît que les Chinois laissent libre cours à une cruauté sans fond.


Les charges de police se transforment en matraques, s'abattant en direct sur la tête des téléspectateurs scandalisés.

La moindre bombe lacrymogène atteint les fauteuils des internautes médusés, familles en larmes, écrans en pleurs.


* Voici une carte de Macao pour vous aider à saisir le contexte/

** Voici le pont Amizade qu'il faut envisager transpercé par un tanker de 120 000 tonnes qui viendrait écraser les petits ferry que vous voyez au premier plan...

*** Et voici le vieux port de Marseille, cible initiale, que vous pouvez imaginer submergé par un seul et même immense pétrolier !

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