Chapitre 48.
Camille regarda le visage figé et cireux d'Enzo. Il semblait mort.
Mais il ne l'était pas. Il n'était pas mort, elle le savait parce qu'elle tenait fermement son poignet, comptant dans sa tête les battements lents de son cœur, qui luttait. Assise sur une chaise de l'infirmerie depuis ce qui lui semblait être des heures, elle le regardait. Elle attendait. Attendait qu'il se réveille pour qu'elle puisse lui dire à quel point elle l'aimait, elle aussi. Parce qu'il fallait qu'il se réveille. Il n'avait pas le choix. Il n'avait pas le droit de mourir.
Maya posa un plateau de la petite table à côté du lit.
— Il faut que tu manges, Camille, dit-elle tristement.
Elle utilisait le même ton doux avec lequel elle l'avait prévenu qu'Enzo pourrait ne jamais se réveiller. Il était tombé dans le coma, la perte de sang l'avait considérablement affaibli.
Il pouvait ne jamais se réveiller.
Cette phrase ne cessait de tourner en boucle dans sa tête comme une rengaine désespérée. Elle ne réagit pas quand Maya s'éloigna pour s'entretenir avec Ethan. Il était venu la voir, Alan était venu la voir. Laura et ses enfants aussi, mais elle s'en fichait. Elle ne pouvait pas s'éloigner, elle ne devait pas s'éloigner. Elle avait l'impression que si elle le quittait du regard, il allait soudain cesser de respirer pour toujours. Elle ne pouvait s'empêcher de retenir son souffle dès que le sien se coupait, lors d'une expiration. Mais sa poitrine continuait de se soulever régulièrement. Il vivait encore.
La blessure était grave, Camille l'avait vue. Les dons de Maya l'avaient atténué, mais ce n'était pas suffisant, celle-ci n'était pas assez forte. Elle avait perdu au moins dix kilos, et des cernes énormes fleurissaient sous ses yeux, comme si utiliser son don l'avait vidé. Camille s'en fichait, elle voulait que Maya recommence, qu'elle le soigne, elle le sauve. Même si elle devait y laisser sa vie. Aucune autre vie n'avait plus d'importance pour elle que celle d'Enzo.
Ethan termina de discuter avec Maya et vint près d'elle.
— Camille, tu ne peux pas rester là, il faut que tu manges, que tu te douches et que tu dormes, dit-il doucement.
Il avait le même ton de pitié que Maya, comme si elle était en sucre et qu'il fallait lui parler avec douceur pour ne pas la briser. Elle l'ignora obstinément. Il fallait qu'elle soit là quand il se réveillerait, qu'il sache qu'elle allait bien, qu'il n'était pas seul.
Ethan posa une main sur son épaule et la tira vers l'arrière. Ce simple geste réveilla la part sombre de son être. Il voulait l'éloigner d'Enzo, il voulait lui faire du mal !
— Lâche-moi ! rugit-elle en le repoussant, laissant ses crocs de louve émerger pour rendre son rictus plus affreux. Ne t'approche pas !
Ethan avait l'air fatigué et contrarié.
— Ça suffit, Camille, il faut que tu t'éloignes, tu te fais du mal.
Il s'approcha de nouveau, ni une, ni deux, elle se jeta sur lui, toute griffe dehors. Ce fut un véritable miracle qu'elle ne l'éborgnât pas. Prise d'une fureur destructrice elle oublia comment se battre efficacement, une louve dans le corps d'une femme, elle mordait et griffait tout ce qui était à sa portée, pourvu qu'Ethan ne s'approche pas de son mâle, pourvu qu'il ne l'en éloigne pas. Mais l'alpha prit rapidement le dessus, la bloquant dos à lui, les mains enserrées dans sa poigne.
— Maya ! Vite !
— Une seconde, j'arrive !
Camille se débattit de plus belle, cherchant à se libérer, lui mordit méchamment le poignet, amorça la métamorphose... mais une douleur digne d'une piqûre d'insecte dans son cou l'annula. Elle sentit un liquide brûlant se déverser dans ses veines. Furieuse, elle voulut frapper Maya, mais son geste, ralentit n'arriva pas à son but. Elle sentit sa tête tournée, ses jambes la lâchèrent alors qu'elle luttait de toutes ses forces pour garder connaissance. Sa vision se réduisit en tête d'épingle et la dernière image qu'elle eut fut celle d'Ethan, attristé, penché sur elle.
Elle le tuerait.
***
Ethan sera doucement le corps endormi de Camille contre son torse. Elle avait perdu un poids considérable, comme si partager son énergie vitale avec Enzo l'avait drainée de toutes ses graisses. Ses joues étaient creusées et ses cernes lui donnaient un air de zombie.
Ça faisait vingt-quatre heures qu'Enzo était dans cet état, et Camille était resté près de lui immobile pendant tout ce temps. Il savait qu'en l'endormant avec de l'extraie de noctalya, il avait trahi sa confiance, mais il savait aussi qu'à ce rythme elle se serait laissé mourir.
Il releva les yeux vers Elina, qu'il avait senti entré grâce à leur lien d'opposer. Elle serrait contre sa poitrine une pile de vêtements et avait l'air affligée parce qu'elle venait de voir.
Mais sa petite compagne était courageuse, et après avoir « touché » leur lien, elle se reprit, comme si se simple contacte lui avait donner la force qui lui manquait.
— On pourrait lui faire prendre un bain, elle est pleine de sang, je... j'ai apporté des vêtements pour eux deux, pour quand Enzo se réveillera.
Ethan vit Maya grimacer. Lui aussi avait entendu, Elina avait dit « quand », et non pas « si » Enzo se réveillait. Elle se balança d'un pied à l'autre.
— J'ai aussi pris des vêtements d'Enzo pour Camille, je me suis dit qu'elle serait peut-être plus sereine si elle portait son odeur.
Ethan sourit en soulevant la rousse.
— C'est une bonne idée, approuva-t-il.
En silence, ils emportèrent donc Camille dans la salle de bain de l'infirmerie, pourvue d'une baignoire empêchant les corps de couler ou de glisser. Ethan laissa les femmes faire la toilette de la jeune louve, puis les aida à l'habiller et ils la couchèrent sur le deuxième lit de la salle principale.
Puis ils s'installèrent sur des chaises inconfortables, et ils attendirent que l'un ou l'autre se réveille.
***
Quand Camille se réveilla, elle sentit une petite main fraîche venir caresser son visage. Mais tout ce qui lui importait c'était de savoir comment allait Enzo, elle ouvrit les yeux et essaya de se relever, mais sa tête tournait encore, et elle avait terriblement envie de dormir. Elle avait l'impression d'avoir du sable dans les yeux, son dernier souvenir était d'avoir attaqué Ethan.
Traître, gronda sa louve qui s'agitait dans son esprit pour pister et tuer l'homme qui l'avait éloigné de son compagnon.
— Reste tranquille, Camille, demanda doucement Elina. Tu es très faible, Enzo va nous faire une crise si tu te blesses pendant qu'il dort. Il faut que tu te ménages, et que tu manges.
Camille repoussa les petites mains d'Elina et se força à s'asseoir, sa tête tourna quelques secondes, mais ça ne dura pas. Elle aperçut immédiatement Enzo, à l'endroit où il était allongé et une panique terrible la prit. Il aurait pu mourir pendant qu'elle dormait, il était peut-être en train de mourir et au lieu d'être à ses côtés, elle avait dormis dieu savait combien de temps.
— Il faut que tu manges, Camille, insista Elina en lui apportant un plateau.
— Tu ne peux pas veiller sur lui si tu es faible, gronda la voix d'Ethan derrière elle.
Camille le fusilla du regard, mais la seringue que préparait Maya ne lui avait pas échappé et il avait raison. Elle ne pouvait veiller sur Enzo si elle dormait ou était faible. Alors elle se jetterait sur Ethan pour le dépecer quand son mâle se réveillerait. En attendant, elle prendrait son mal en patience.
Elle mangea, se força à avaler chaque bouchée du plat qu'ils lui avaient fait préparer alors même que son estomac était noué. Puis elle revint s'asseoir sur la chaise qui lui était attitrée et prit le poignet d'Enzo dans sa main pour sentir son cœur battre.
Elle resta un long moment à le contempler en silence, ignorant tout ce qui l'entourait, concentrée sur chaque battement de cœur, attendant fébrilement le prochain.
Quelqu'un entra.
— Ethan, c'est délicat, quelqu'un veut voir Enzo, elle...
— J'ai entendu dire qu'Enzo était blessé ! s'inquiéta une voix féminine que Camille reconnut immédiatement et qui la sortit de sa léthargie.
Ethan l'avait probablement vue venir, car en une demi-seconde il la rattrapa en plein vol alors qu'elle s'apprêtait à se jeter sur Cassandre pour l'éviscérer, pour la punir d'oser venir.
— C'est de sa faute ! rugit-elle en se débattant. C'est de sa faute s'il est là ! Faites-la sortir ! Elle n'a pas le droit de s'approcher de lui !
Le soldat qui avait emmené Cassie jusqu'ici écarquilla les yeux et se dépêcha de la faire dégager, mais même là Camille ne resta pas sereine. Elle en voulait à cette femme d'avoir forcé Enzo à sortir du manoir ce jour-là, il ne serait pas allongé dans ce lit à la porte de la mort si elle n'avait pas décidé de réapparaître dans sa vie.
Allez savoir pourquoi, elle fut beaucoup moins surprise de sentir la piqûre de la seringue que la première fois, et accepta plus calmement le voile noir du sommeil artificiel.
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