Chapitre 41.
Camille eut le cœur lourd toute la journée. Il n'avait presque pas neigé, alors le sol était juste humide, mais il n'empêchait que l'hiver était la saison qu'elle détestait le plus. Et pas seulement parce qu'il faisait froid et moche pendant des mois. Si, enfant, cette saison avait été associée aux aventures racontées au coin du feu et au retour - oh combien joyeux - de son père dans leur foyer, maintenant qu'elle était adulte, elle ne pouvait s'empêcher de voir cette saison comme la marque de son enfance si brusquement arrêtée.
Une ombre qui danse sur le plancher.
Chassant vivement cette pensée, elle se remit en route. Sous sa forme louve, elle parcourait les dizaines de kilomètres que lui demandait sa patrouille, se concentrant sur la terre humide sous ses pattes et le vent glacial qui s'engouffrait sous sa fourrure rousse et lui brûlait les poumons.
Soudain, du bruit attira son attention. Se plaquant au sol, Camille s'approcha doucement de l'orée du bois. Il y avait une petite clairière dans le coin, peu entretenue elle aussi, elle possédait de hautes herbes incroyablement vertes l'été, mais elle brunissait à l'arrivée de l'hiver et les hautes herbes s'aplatissaient pour former un tapis d'or. C'est au milieu de celle-ci que Camille l'aperçut. Une petite fille rousse qui devait avoir sept ou huit ans, et qui jouait joyeusement dans l'herbe, toute seule.
Consciente que la petite fille était en infraction, Camille s'apprêta à se dévoiler pour l'effrayer afin qu'elle rentre chez elle, mais soudain, la fillette éclata de rire lorsque le compagnon avec lequel elle jouait surgissait de l'herbe. Une chimère renard, avec des pattes avant de coq et un arrière-train de raton laveur bondit hors de porter de la fillette, l'incitant à lui donner la chasse.
Camille observa ce jeu innocent encore quelques minutes, incapable de lâcher du regard la fillette rousse qui ignorait encore que le monde pouvait être incroyablement cruel. Se refusant à l'effrayer, Camille hésita à se montrer. Mais comme la petite fille ne semblait pas avoir peur de son ami chimère, elle se décida enfin à sortir de sa cachette.
L'enfant l'aperçut immédiatement et une lueur d'inquiétude passant dans son regard avant qu'elle se détende.
— Viens ! Invita-t-elle en ouvrant le bras. N'aie pas peur !
La louve de Camille s'amusa à ses paroles, elle n'avait pas peur d'elle. Mais comme la fillette ne semblait pas craintive, elle s'approcha et lorsqu'elle fut assez près, la petite se jeta sur elle pour l'étreindre. Par réflexe, la louve eut un mouvement de recul, mais l'enfant ne la lâcha pas.
— Tu vois, tu es en sécurité ici, tu n'as rien à craindre, assura l'enfant en glissant ses petits doigts potelés dans sa fourrure.
Par curiosité, Camille renifla la petite fille et elle comprit qu'elle n'était pas humaine. Une petite renarde, probablement. En déduisit-elle, puisqu'elle portait la même odeur de Fox Lucav, même si elle avait une autre odeur qu'elle n'arrivait pas à définir.
Enfin l'enfant la lâcha et lui lança un regard très sérieux qui contrastait avec ses joues rondes.
— Je savais que tu étais là, louve, je ne voulais pas que tu partes, annonça-t-elle avant de se mordiller la lèvre inférieure. Je sais que je n'ai pas le droit d'être là... tu vas le dire à mon papa ?
Étant donné qu'elle ne savait pas qui était son père, elle secoua la tête pour lui assurer qu'elle ne dirait rien. Mais elle allait tout de même la raccompagner jusqu'à la limite de leur territoire.
Prenant délicatement la jolie robe rose de la fillette entre ses crocs, elle tira dessus pour l'inciter à la suivre. Elle obéit.
— Pourquoi tu es triste, louve ?
Camille se figea en réalisant à quel point la fillette avait raison. Elle était si triste. Triste pour cette enfant innocente qui risquait de faire les frais de la guerre qui grondait dans l'ombre. Triste pour la gamine qu'elle-même avait été et qui n'avait jamais vraiment eu l'occasion d'être heureuse. Triste pour le choix tragique qu'avait fait sa mère. Triste de la promesse qu'elle lui avait faite.
— Maman... pourquoi tu pleures ? Avait-elle demandé un jour d'automne où elle avait huit ans en surprenant sa mère avachie près du feu.
— Oh, ma petite fille, mon bébé, je veux que tu me fasses une promesse...
Inquiète, la fillette qu'elle avait été s'était laissé câliner.
— Qu'est-ce que c'est... ?
— Promet moi de ne jamais tisser ton lien d'opposer !
— Mais maman...
— Je t'en prie, ma petite fille, je t'en prie, il te détruira. Ton opposé ne te fera que du mal !
— Je ne veux pas promettre ! avait-elle protesté en essayant de se dégager de la poigne de sa mère.
Mais celle-ci, accablée de chagrin s'était agrippé à ses épaules et l'avait violemment secoué.
— Il te détruira, il te détruira Camille, je t'en prie.
— Maman ! Tu me fais mal.
— Promets-le-moi, Camille ! Promets !
— Je promets ! hurla-t-elle en se mettant à pleurer. Je promets, maman, arrêter, je t'en prie !
La femme l'avait attiré contre elle en sanglotant.
— Tu m'as promis, ma petite fille, tu m'as promis, je suis si fière de toi.
En effet, elle avait promis, et cette promesse l'enchaînait au souvenir de sa mère, elle avait l'impression que si elle la trahissait, elle l'abandonnerait pour toujours.
— Tu sais, moi quand je suis triste à cause de quelqu'un je lui en parle, comme ça je suis plus triste, fit remarquer la petite fille rousse en faisant un signe de main à son amie la chimère qui s'en allait.
Camille songea qu'elle allait avoir du mal à discuter avec sa mère ou son père. Mais comme elle arrivait au bord du territoire, elle dut laisser l'enfant qui s'enfuit jusqu'à une grande demeure en périphérique du Jaykam et qui appartenait à la famille Lukav.
Encore perturbée par cette rencontre surprenante, Camille termina sa patrouille alors qu'il se remettait à neiger.
Ses enfants étaient déjà de retour quand elle passa prendre une douche pour se réchauffer, ils babillaient joyeusement autour de l'îlot central de la cuisine pendant que Tydian cuisinait.
Attendri par cette scène familière, Camille se doucha rapidement pour les rejoindre. Quand elle était avec ses enfants, sa peine semblait moins dure, comme s'il l'apaisait. Avec Enzo aussi, elle se sentait bien, mais ce n'était pas pareil. Le sentiment de bien-être ne durait pas, très vite remplacé par le rappel brutal de sa condition de solitaire.
Pourtant, alors qu'elle mangeait le repas délicieux que lui avait concocté Tydian, elle avait ce sentiment de vide persistant en elle, ce désir terrible de tisser le lien d'opposé avec le seul homme qu'elle voulait.
***
Camille fixait son plafond, incapable de dormir. Elle était épuisée par sa journée de patrouille, pourtant si son corps ne souhaitait que sombrer dans les limbes du sommeil, son esprit tournait en rond.
Enzo lui manquait. C'était terrible à avouer, mais deux nuits dans ses bras l'avaient rendu accroc. Elle avait bien tenté de tromper sa louve avec le t-shirt qu'elle lui avait volé, mais elle l'avait tant porté et son odeur avait disparu. Elle songea distraitement qu'il allait falloir qu'elle en vole un autre.
Sans vraiment réfléchir, elle repassa l'emploi du temps d'Enzo dans sa tête. Depuis qu'ils sortaient ensemble, elle l'avait considérablement facilité. Même si elle avait toujours besoin de patrouilleur loin du manoir, elle avait arrêté de les lui coller systématiquement. Ce soir, il n'avait pas de patrouille.
Elle avait beau se dire que ce n'était pas une bonne idée de s'attacher trop à ce mâle, c'était vraiment difficile de ne pas tomber sous son charme. Elle le trouvait vraiment craquant ! Même si évidemment, pour protéger son petit ego fragile, elle ne le lui dirait jamais.
Finalement consciente qu'elle n'arriverait jamais à s'endormir, Camille se leva et enfila un bas de pyjama et une paire de pantoufles pour sortir. Elle s'était dit qu'elle se contenterait de se balader dans le manoir, mais en quelques minutes elle se retrouva devant la porte de la chambre d'Enzo.
Sauf qu'il n'était pas là. La déception la prit en se rendant compte que son odeur était trop tenue pour qu'il ait pu être de l'autre côté de la porte. Se sentant bête d'avoir voulu débarquer à l'improviste elle se remit à marcher et c'est tout naturellement que ses pas la portèrent à l'extérieur du manoir. Comme si d'instinct sa louve avait su où trouver Enzo.
Celui-ci était assis sur les marches et regardait les étoiles. Sa silhouette voûtée était terriblement solitaire que Camille sentit son cœur se serrer de panique. Il se retourna en la voyant et un sincère sourire illumina son regard.
— Viens, invita-t-il en tendant une main.
Et son impression disparut. Elle s'avança et lui prit la main pour venir s'asseoir à côté de lui.
— Pas de plaid et de chocolat chaud ? se moqua-t-il en passant un bras autour de ses épaules pour l'attirer contre lui.
— Je ne pensais pas te trouver dehors, avoua-t-elle.
— Je n'arrivais pas à dormir.
— Moi non plus.
Un silence confortable s'étira, elle était heureuse d'être juste là avec lui. Mais ça ne pouvait pas durer.
— Camilla... je sais que j'ai dit que je ne poserais pas de question... commença-t-il maladroitement.
Elle se figea.
— Et je ne le ferais pas ! ajouta-t-il vivement. Mais je voulais que tu saches que, si tu avais envie de parler, de quoi que ce soit, je suis là... tu le sais n'est-ce pas... ?
Se détendant légèrement elle hocha vivement la tête en sentant de nouveau la tristesse l'envahir. Et soudain, elle comprit les paroles de la fillette.
Tu sais, moi quand je suis triste à cause de quelqu'un je lui en parle, comme ça, je suis plus triste.
Elle n'était pas forcément triste à cause d'Enzo, mais rien ne l'empêchait de s'appuyer un peu sur lui pour mieux se sentir.
— Ma mère est morte un jour d'hiver, avoua-t-elle de but en blanc. Je n'aime pas l'hiver.
— Je suis sincèrement désolé, dit-il en la prenant dans ses bras.
Camille haussa distraitement les épaules pour chasser cette excuse.
— J'avais huit ans, mais ça fait toujours aussi mal.
— On ne se remet jamais vraiment de la disparition d'un proche, soupira-t-il en l'embrassant sur le dessus du crâne.
Désireuse de ne pas s'attarder sur ce sujet, Camille en changea.
— Raconte-moi quelque chose de drôle qui t'est arrivé quand tu étais solitaire.
Enzo fit mine de réfléchir, puis il raconta.
— Je suis allé en prison, une fois, se remémora-t-il.
— Mais qu'est-ce que tu as fait ? s'exclama-t-elle en écarquillant les yeux.
Il grimaça.
— J'étais apprenti tailleur pour un homme vraiment méchant, et j'étais jeune aussi... et un peu bête. Un jour, j'ai été invité par une riche demoiselle à un de ses bals et j'ai... comment dire, j'ai volé du tissu à mon patron et je me suis cousu une veste de costume pour aller à cette soirée.
Camille gloussa malgré elle.
— Tu as fabriqué un costume avec du tissu volé ! Tu y es allé à cette fête ?
— Oui, et j'ai même dansé toute la nuit, mais le lendemain, mon patron à réalisé le vole et m'as dénoncé à la police, j'ai fait une semaine de prison pour le dédommager... et j'ai même eu droit à un article dans la presse.
— Je sors avec un voyou ! s'exclama Camille, hallucinée.
— Un voyou gentleman, contredit-il en remontant sa main contre sa cuisse.
Malgré le fait qu'elle portait un pantalon de pyjama, elle perçut clairement sa chaleur.
— Tellement gentleman que je vais te raccompagner à ta chambre pour que tu puisses dormir et être en forme pour demain.
Elle plissa les yeux.
— Que se passe-t-il demain ? demanda-t-elle, curieuse.
Il sourit avec un air mystérieux.
— Tu verras demain !
Il se leva et l'aida à se relever à son tour avant de l'accompagner jusqu'à ses appartements en la prenant par la main. Camille aimait sentir la grande main calleuse d'Enzo dans la sienne, c'était une sensation si agréable et à la fois si enfantine. Elle avait l'impression d'être une adolescente avec son premier petit copain et c'était une émotion... rafraîchissante.
— Bonne nuit, Camilla, chuchota-t-il en venant l'embrasser sur la joue.
Il attendit qu'elle rentre avant de s'en aller et Camille sentit son cœur se remplir de joie face à cette petite attention.
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