Chapitre 37.

Camille admira la somptuosité qui se dégageait du Nébuleux. C'était un restaurant-bar luxueux et très coté tenu par une famille de changelin renard influant sur plein de points... pas forcément légaux.

Camille n'ignorait pas que le sous-sol du bar accueillait une clientèle particulière, mais Éclipse fermait les yeux parce que toutes les prostituées, les strip-teaseuses et les combattants employés étaient bien traités et avaient le choix. En plus du fait que ça sortait de leur juridiction, bien entendu.

D'ailleurs, alors qu'Enzo, une main dans le bas de son dos, la guidait vers la réception, le patron de l'entreprise se dirigea vers eux en souriant. Comme tous les renards, Fox Lukav était roux, pas très grand avec des yeux en amande qui brillait de ruse.

— Enzo Solace ! Je t'attendais mon ami ! Je t'ai réservé le meilleur box, pour toi et ta compagne, s'exclama l'homme en venant prendre Enzo dans ses bras.

Il se tourna vers Camille avec un air approbateur et lui fit un baisemain respectueux.

— Et voici donc l'heureuse élue pour qui tu me demandes un retour d'ascenseur si... médiocre, vu tout ce que tu as fait pour moi.

Enzo passa un bras autour des épaules de Camille, légèrement possessif.

— Après ce soir, nous sommes quittes, mon ami. D'ailleurs comment va Karott ?

— Elle n'a jamais été aussi heureuse qu'avec moi, assura-t-il avec l'air fier.

Fox fit un clin d'œil à la rousse, lui confiant comme si Enzo ne pouvait pas entendre.

— Karott c'est ma compagne, Enzo m'a rendu un fier service à une époque, pour m'aider à la conquérir.

Camille hocha la tête, mais elle ne comprit pas ce qu'Enzo avait bien pu faire pour ça. Cela dit, vu la manière dont il s'était raidi à cette mention, ça promettait d'être un secret intéressant à découvrir.

Fox leur fit l'honneur de les conduire tous les deux à leur table. Le box était, en effet, très luxueux, près des cuisines et très bien insonorisé, ils avaient toute l'intimité qu'il pouvait désirer.

Le renard leur distribua une carte et se retira.

— Comment as-tu rencontré Fox Lucav ? demanda Camille, curieuse.

Enzo grimaça.

— Ce n'est pas quelque chose dont je suis très fier, je te l'avouerais.

Encore plus curieuse, Camille mit la carte de côté pour le clouer du regard.

— Tu en as trop dit, faut que tu avoues tout, maintenant.

Enzo passa sa main dans ses cheveux avec un petit air coupable.

— Les solitaires gagnent de l'argent comme ils peuvent... commença-t-il incertain.

Camille écarquilla les yeux.

— Tu t'es prostitué ? se moqua-t-elle.

Ça blague sembla le détendre un peu, et il se pencha vers elle, comme pour lui faire une confidence.

— J'ai pendant un moment fait partie de ses combattants illégaux, avoua-t-il.

Cette fois-ci, ce fut à Camille de prendre un air coupable. Enzo la dévisagea.

— Toi aussi !

En rougissant, Camille but une gorgée d'eau que le serveur avait apportée.

— C'est que... marmonna-t-elle en détournant le regard, avant de venir soutenir celui d'Enzo. Ce n'était pas tant pour l'argent que pour m'amuser. Tu sais, entrée dans l'arène et voir tous ces péquenauds rire et parier sur l'adversaire masculin face à moi... et bien c'était toujours amusant.

Enzo secoua la tête, amusé par l'image. Il ne doutait pas une seule seconde que Camille les ait tous mis à terre.

— Et Ethan te laissait faire ? s'étonna-t-il.

— Ethan le faisait aussi... et Alan... je les ai suivies un soir, c'est comme ça que je l'ai su, mais... bon d'accord, ils n'étaient pas au courant, quand ils l'ont appris, j'ai passé un sale quart d'heure dans le bureau de Lashlan.

— Et qu'est-ce qui s'est passé après ?

La louve rousse haussa les épaules.

— Lashlan m'a fait passer novice et j'ai commencé à avoir des cours de combat, j'étais tellement épuisé à la fin de mes journées que je ne songeais plus à y aller. C'était plutôt efficace finalement.

Enzo hocha la tête.

— Tu as eu une bonne éducation, parle-moi de ton enfance, réclama-t-il.

Et Camille se figea. Son enfance était un sujet sensible, elle n'en avait jamais parlé à qui que ce soit, même Ethan ignorait le pourquoi du comment elle avait été poussée à devenir solitaire à l'âge de onze ans. Tout ce qu'il savait, c'était que ses parents étaient morts.

— Je vois bien que tu essayes de changer de sujet, dit-elle pour reprendre le contrôle de la conversation. Tu n'as pas répondu à ma question.

D'un simple regard, le mâle lui fit clairement comprendre qu'il n'était pas dupe, mais finalement, il reprit la parole dans son sens.

— C'est en combattant pour lui que je l'ai connu, c'était il y a deux ans, à peu près. J'étais l'un des meilleurs, je n'ai jamais perdu aucun combat dans l'Arène. C'est vers cette période que Fox a rencontré Karott, sa compagne. Ils ne faisaient pas partie du même milieu social, mais ils s'aimaient profondément.

Camille sentit qu'il lui cachait quelque chose au sujet de cette relation, et que le milieu social n'était pas leur seul problème, mais elle respectait le fait qu'Enzo garde les secrets que Fox lui avait confiés.

— Les parents de Fox n'approuvaient pas sa relation et on fait enlever Karott par des trafiquants d'esclave.

Camille posa une main sur son cœur, choquée. Elle savait que des trafiquants d'esclave traînaient en ville, mais ils étaient discrets et ne s'attaquaient jamais aux meutes. Jaykams étant une ville neutre, il lui était impossible d'agir, puisque sa juridiction s'arrêtait au changelin loup, elle n'avait pas le droit d'intervenir, même en tant que lieutenante, tout ce qui concernait uniquement les humains où les autres changelins.

— Il m'a demandé mon aide pour les retrouver, je suis un excellent traqueur.

Il haussa les épaules comme s'il ne venait pas d'avouer qu'il avait traqué et probablement tué des chasseurs d'esclaves.

— Ils n'ont eu que ce qu'ils méritaient, décida Camille.

Enzo se détendit un peu.

— Dis-moi, comment cela se fait-il que je ne t'aie jamais croisé dans la meute.

Camille aussi s'était posé la question, quand elle avait compris qu'Enzo et elle avaient forcement du cohabité un moment donner ou un autre au manoir, puisqu'il était revenu plusieurs fois alors qu'elle y était déjà.

— Et bien, pour commencer, je suis arrivé à la meute Éclipse quand j'avais treize ans.

Enzo confirma.

— Et moi je l'ai quitté quand j'en avais quinze, tu es donc arrivé en automne, et moi je suis partie au printemps, comment à ton pus ne pas se voir !?

Camille gloussa.

— J'ai passé presque tout l'hiver dans la chambre avec mes quatre protéger, alors je suppose qu'on ne s'est pas croisé dans les couloirs.

— Je suis revenu deux ans plus tard, seulement pour l'hiver cette fois-ci...

La louve rousse réfléchit, ce qui marqua un petit pli soucieux entre ses deux sourcils.

— Je m'en souviens ! L'hiver a été particulièrement rude cette année-là, et je l'ai passé avec mes bébés dans l'une des villas de la meute, avec leurs grands-parents, ils étaient très vieux et sont morts dans l'année...

La serveuse revient prendre leur commande, puis ils discutèrent des retours d'Enzo à la meute, Camille réalisa qu'à chaque fois, elle était occupée, autre part, ou pas disponible. Une fois, elle s'était cassé une jambe et avait dû garder la chambre tout l'hiver, une autre fois elle s'était portée volontaire pour surveiller le périmètre extérieur, même si cela signifiait y rester toute la saison. Puis Enzo n'était pas revenu pendant près de cinq ans.

— On aurait pu se croiser encore une fois, cette année, s'exclama-t-il amusé.

Le sourire de Camille se fana, et elle se figea, aux aguets.

— Tu sens ? demanda-t-elle.

— Ce sont nos plats ? s'amusa-t-il.

Mais Camille ne riait plus.

— Non, cette odeur c'est...

Enzo reprit son sérieux et renifla à son tour, puis ils se regardèrent en se levant d'un même mouvement.

— ...Du gaz.

Les instincts de Camille l'avaient tout de suite alerté. Son nez, plus sensible que celui d'Enzo avait senti l'odeur du gaz à l'instant même où il avait commencé à se propager.

Sans réfléchir, les deux loups sortirent du box en courant avant de hurler.

— Tout le monde dehors ! Sortez tous ! Vite ! Ça va exploser !

La musique douce se coupa, et toutes les personnes présentes les dévisagèrent comme s'il était des fous. Heureusement, Fox qui était encore dans les parages, lui ne prit pas la menace à la légère.

— Que tout le monde quitte le restaurant immédiatement ! rugit-il.

Camille réitéra l'ordre en y mettant toute la puissance de son aura et cette fois-ci, la foule réagit. Tous les changelins présents quittèrent le bâtiment dans la précipitation, mais les humains restaient hébétés, se demandant ce qu'il se passait. Le problème des humains était qu'ils étaient bien trop souvent imperméables aux auras des loups, ils les ressentaient, mais n'avaient pas ce besoin d'obéir qui allait avec.

Enzo attrapa le bras de Camille pour la tirer vers la sortie, en hurlant à tout le monde de quitter le bâtiment.

L'odeur de gaz était plus forte, et enfin les humains commencèrent à réagir.

Mais il était trop tard. À peine elle et Enzo eurent-ils franchi la porte que le souffle brûlant d'une puissante explosion les projeta en avant.

Couché au sol, le souffle coupé, Camille avait un sifflement aigu dans ses oreilles, qui l'empêchait d'entendre ce qui l'entourait.

Soudain inquiète, elle chercha Enzo du regard et le trouva à quelques pas d'elle, qui se relevait difficilement en criant quelque chose. Elle avait dû perdre connaissance quelques secondes, car tous les gravats étaient retombés. Un énorme pan de mur s'était écroulé à deux pas d'elle et elle comprit qu'elle avait failli y rester.

Prudemment, elle commença à remuer les orteils, les jambes, les bras. Elle avait mal partout, mais rien ne semblait être cassé, c'était un miracle. Petit à petit, il lui semblait que son ouïe revenait et elle commençait à entendre des hurlements de douleur, de terreur, le bruit de flamme qui crépitait et dévorait la structure en bois du bâtiment.

Se relevant avec difficulté, Camille s'aperçut qu'Enzo claudiquait vers elle en tenant son bras. Il saignait abondamment, à travers sa veste déchirée et pleine de poussière.

À peine fut-il à sa hauteur qu'il la prit dans ses bras.

— Tu vas bien ? Demanda-t-il tout contre son oreille.

Son audition de changeline en avait pris un sacré coup, mais elle semblait revenir petit à petit, avec un peu de chance elle n'avait rien perdu.

— Juste des égratignures... tu es blessé, s'inquiéta-t-elle en déchirant sans ménagement le bras du costume.

Prendre soin des vêtements était vraiment le cadet de ses soucis. Elle sentit son cœur manquer un battement en apercevant l'énorme éclat de verre profondément fiché dans son bras.

— Il te faut un médecin, paniqua-t-elle en cherchant des yeux quelqu'un susceptible de l'aider.

Et l'ampleur de la situation lui arriva en pleine face.

Des hommes et des femmes blessées gravement se tenaient dans les décombres, un certain nombre de personnes étaient venues pour aider, mais d'autres regardaient la scène comme des curieux. Des cadavres jonchaient l'asphalte et une odeur de mort et de désespoir s'élevait autour d'elle.

Les gens s'agitaient, ne savaient pas quoi faire, ils n'avaient aucune coordination entre eux. C'était une véritable catastrophe à l'extérieur, et Camille préférait ne pas songer à tous les malheureux piégés à l'intérieur.

Son instinct de protection prit le dessus, et elle s'avança au centre du carnage.

— Que tout le monde m'écoute ! Hurla-t-elle à la foule qui se figea pour la dévisager. Je m'appelle Camille, je suis lieutenante de la meute Éclipse et je prends le commandement des opérations. Je veux que toutes les personnes ayant les capacités d'aider se fassent savoir, il y a encore des personnes coincées sous les gravats, il faut qu'on les aide et on ne réussira que si on s'entraide !

Toutes les personnes présentes hochèrent la tête. Contente de voir qu'ils étaient réceptifs à ses paroles, Camille commença à donner des ordres.

Enzo resta bouche bée face à la puissance que dégageait la louve rousse. Débous au milieu du champ de ruine, elle rugissait des ordres clairs et concis. Malgré sa crinière de feu emmêlé et flottant au vent, sa robe abîmée et déchirée par endroits et les nombreuses égratignures qu'elle abordait, elle était d'une beauté inégalée. Enzo en aurait presque oublié ses propres douleurs.

En moins d'une heure, Camille avait séparé les blessés graves et les blessées légers et les avait éloignés du site pour qu'il ne gêne pas les volontaires venues aider. Enzo était du côté des blessées graves et ne pouvait rien fait de plus que d'attendre son tour. Il aurait aimé aider, mais avec le morceau de verre fiché dans son bras, il ne pouvait rien faire. Une équipe médicale humaine était arrivée quelques minutes plus tôt et s'occupait des cas les plus critiques. Une femme brûlée au troisième degré, un homme aux jambes réduites en miette par un mur, et d'autres horreurs inimaginables.

Fox, à côté de lui, regardait son luxueux restaurant, sous le choc.

— Est-ce que les filles... s'inquiéta Enzo, qui avait longtemps travaillé avec les prostituées du Nébuleux.

Le renard secoua la tête.

— Elles n'étaient pas encore arrivées... à une heure près...

Une grimace de douleur qui n'avait rien à voir avec la douleur physique déforma ses traits. Enzo comprit ce qu'il voulait dire. À une heure près, toutes ses filles, mais aussi ses combattants et beaucoup de clients se seraient retrouvées piégées dans le sous-sol, ou pire, écrasées par les décombres.

Mais comment une telle horreur avait-elle pu arriver ? Était-ce un accident ? Où était-ce volontaire ? Et si s'était volontaire, qui pouvait être assez vils pour visé un restaurant ou des centaines d'innocents dînait ?

Il allait falloir qu'il tire ça au clair. Mais pas tout de suite.

La nuit fut longue, vraiment longue. Pas une seule fois Camille ne faiblit. À plusieurs reprises, on lui apporta de l'eau et parfois quelque chose à grignoter, mais elle prenait à peine le temps de se restaurer. Il y avait trop à faire. Des architectes travaillaient depuis des heures sur la structure du bâtiment pour trouver comment faire sortir les survivants piégés dans les décombres. Des soignants mais aussi beaucoup de bénévoles aidaient les personnes blessées. Elle avait vu Enzo se faire soignée une heure plus tôt, et les médecins lui avait administrer un calmant qui l'avait mis KO. Tant mieux, c'était un souci de moins sur sa liste de préoccupations qui ne faisait que s'allonger d'heure en heure.

Qui avait fait ça ? Et Camille était certaine qu'il y avait un "qui" derrière cette histoire. C'était trop bien mener pour que ce soit un accident, quelqu'un avait introduit le gaz dans la salle du restaurant, et les bougies avaient fait le reste.

Enzo se réveilla un peu avant l'aube pour venir proposer son aide. Camille était tenté de lui dire non. Son instinct lui hurlait de le protéger, de l'empêcher de se faire du mal, mais la lieutenante en elle savait qu'il avait besoin de toute l'aide possible. Alors elle lui donna des tâches faciles qui ne mettraient pas à rude épreuve son bras blessé. Allez chercher de l'eau pour les médecins et les blessés, découper et déchirer les vêtements mis à disposition pour faire des pansements sommaires, plein de petites tâches importantes qui permettait de libérer d'autre personne plus apte à aider autre part.

Sans protester, Enzo obéit et jusqu'à l'aube, ils travaillèrent à dégager les décombres, à sortir les survivants... et les cadavres qui s'alignaient, toujours plus nombreux.

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