Chapitre 29.

— Le Désert de Sang, aussi beau que mortel ! déclara Romeo, théâtrale en faisant mine d'englober le désert de ses bras. Il paraît que son sable était blanc comme la neige, jusqu'à ce qu'une déesse venge ses filles et y répande le sang d'un millier d'hommes.

Sahara, qui était resté en retrait jusque-là s'approcha.

— Des racontars de vieille femme, je suis née et j'ai grandi dans ce désert, je n'ai jamais vu une seule de ces prétendues filles de déesse.

Romeo claqua la langue, réprobateur.

— Chut ! Tu vas mettre la déesse en colère ! Es-tu folle ? Ce désert peut nous perdre !

Sahara leva les yeux au ciel en lui tendant une branche d'arbre morte.

— Comme tu es crédule ! Tiens, ça t'aidera à passer les dunes. L'oasis est à cinq kilomètres en suivant le chemin du soleil. En marchant vite, on devrait y être en quelques heures, avec un peu de chance, on sera les premiers !

Romeo prit la branche et lui fit signe de prendre la tête de la marche.

— C'est pas un peu dangereux de nous laisser traverser ce désert tout seul ? hasarda Romeo au bout d'une heure.

— Mais non, et puis tu n'es pas tout seul... Sahara lui lança un regard amusé. Tu veux que je te prenne la main pour que tu aies moins peur ?

— Non, ça va aller, siffla Romeo.

C'était la troisième dune qu'il franchissait, la chaleur faisait cuire sa peau et le soleil blessait ses yeux habitués à la pénombre de la forêt. Il avait déjà presque entièrement vidé sa gourde malgré les avertissements de Sahara, et ses lèvres sèchent recommençaient à se craqueler.

Sahara se tourna vers lui lorsqu'il sortit de nouveau sa gourde, tournant le dos au vide derrière elle, qu'ils allaient devoir descendre, de préférence sur leurs deux pieds. Romeo avait dégringolé la première dune, heureusement il avait l'habitude de tomber et ne s'était pas blessé, mais il avait du sable partout dans ses vêtements, c'était horriblement désagréable.

— Je te préviens, Don Juan, même pas en rêve que je te prête ma gourde quand tu n'auras plus d'eau.

— Écoute, Juliette, je ne comprends rien à ton charabia, et si je ne bois pas je vais me dessécher et devenir aussi moche que toi ! Ça s'entretient une peau aussi belle.

— Peuh ! Une vraie lady ! râla-t-elle. Tu ne survivrais pas deux heures dans un désert pareil sans moi.

Sans avoir l'air de prendre la mouche, Romeo s'approcha, l'air charmeur.

— Bien sûr, c'est la seule raison pour laquelle je ne t'ai pas planté dans la forêt. Ça et parce que... tu es vraiment très mignonne.

Sahara écarquilla les yeux, surprise avant d'ouvrir la bouche en « O » faisant un pas en arrière. Malheurs à elle, le sable de la dune se déroba sous ses pieds et elle dégringola jusqu'en bas de la petite montagne. Une couche de sable la recouvrit.

Romeo éclata de rire, elle était si facile à distraire !

Sauf que Sahara ne se releva pas.

— Juliette ? s'inquiéta-t-il lorsqu'elle ne fit pas mine ni de râler ni de se dégager de la couche de sable. Merde. Juliette !

Romeo se laissa glisser jusqu'en bas de la dune avant de se précipiter vers le corps immobile de la jeune lionne. L'odeur âcre et ferreuse du sang le prit à la gorge et il se dépêcha de la sortir du sable.

Il grimaça en apercevant une vilaine blessure sur son front.

— Ça va aller, minette, marmonna-t-il pour lui-même en la redressant délicatement avant de lui verser le reste de sa gourde sur sa blessure.

Sahara grimaça de douleur et sembla revenir à elle.

— Loup... balbutia-t-elle.

— Chut, tu t'es blessé. On est dans un foutu désert et tu as trouvé le moyen de te cogner sur la seule pierre à des kilomètres à la ronde.

Elle esquissa un sourire.

— C'est tout moi ça.

Il lui laissa quelques minutes pour s'en remettre, elle sembla revenir. Sa blessure n'était que superficielle, heureusement.

— Tu peux marcher ?

— Ouais, ça va aller, j'aurais dû être plus prudente.

Il l'aida à se lever, mais à l'instant où elle s'appuya sur sa jambe gauche elle poussa un cri et retomba.

— Laisse-moi regarder, ordonna-t-il en s'agenouillant près d'elle.

Il commença à tâter sa cheville et elle siffla.

— Ça fait mal ?

— Évidemment, imbécile ! râla-t-elle.

Faisant fit de ses insultes, Romeo déposa son sac à ses pieds.

— Ta cheville est cassée, je vais te mettre une attelle pour la maintenir en place le temps qu'on arrive à l'oasis. Il ne faut pas que ça s'aggrave.

Romeo sortit un canif de son sac et commença à découper la botte de Sahara.

— Et merde, j'adorais ces chaussures, grogna-t-elle pour se distraire de la douleur. D'où tires-tu ces connaissances ?

Romeo termina de retirer la chaussure avant de briser son bâton en quatre petits morceaux, puis le bâton de Sahara en cinq morceaux plus petits.

— J'étudie le secourisme en forêt, pour devenir garde-forestier. Ce travail nécessite de savoir porter les premiers secours, entre autres, limiter les dégâts d'un os cassé.

Il lui tendit un morceau de bois.

— Pour quoi faire ?

Il lui lança un regard extrêmement sérieux, à des lieux du jeune homme charmeur et léger.

— Mords, ça va faire mal.

Sahara ne protesta pas.

Avec des gestes fermes et précis, Romeo plaça les quatre longs bâtons autour de sa cheville et les relia avec les quatre autres plus petits bâtons qu'il attacha fermement avec des morceaux d'un t-shirt de rechange qu'il avait découpé.

Puis il enroula le tout avec un bandage que Camille avait insisté pour mettre dans son sac « au cas où ».

Ça ne lui prit qu'une dizaine de minutes, mais à la fin Sahara avait le visage marquer par les larmes qu'elle n'avait pu retenir.

Romeo fit passer son sac devant lui avant de lui tourner le dos, accroupis.

— Monte, je vais te porter, tu me guideras.

***

Camille se frotta le cœur, mal à l'aise. Quelque chose n'allait pas, elle ne savait pas quoi, mais il y avait un problème. Elle avait un mauvais pressentiment.

— Pourquoi m'as-tu emmenée au terrain d'entraînement ? demanda-t-elle à Enzo.

Celui-ci avait insisté pour la faire sortir de son bureau, elle n'avait pas protesté. Elle n'était vraiment bonne à rien aujourd'hui.

Le terrain d'entraînement était un grand terrain exempt de tout arbre ou pierre, assez loin du terrain de jeu des enfants. Camille y donnait des cours de combat adaptés aux femmes, plus dans la ruse et la vitesse pour qu'elles puissent compenser la force et la puissance des hommes. Ça faisait longtemps que les loups avaient compris qu'il ne servait à rien d'essayer désespérément de faire entrer les femmes dans le moule masculin.

Elle se mordilla la lèvre inférieure, il n'y avait presque personne en cette saison, car le sol était glissant, et il y faisait froid. Il y avait aussi des salles d'entraînement à l'intérieur. La culpabilité lui serra la gorge. Elle aurait dû être en train de contribuer au bien-être de la meute au lieu de se promener avec un homme qu'elle avait rejeté.

Ledit homme posa soudainement ses mains sur ses joues.

— Comme tu es belle, Camilla.

Stupéfaite par cette déclaration, Camille resta bouche bée. Personne ne lui disait jamais qu'elle était belle, non, elle, elle était bonne, elle était sexy, elle était bandante, pas belle.

Et soudain, il lui sembla que le sol se dérobait sous ses pieds et elle se réceptionna durement sur le dos, tout l'air de ses poumons fut expulsé et... Enzo éclata de rire.

— Allons, Camilla ! Tu te laisses distraire pour si peu ? se moqua-t-il en se penchant vers elle.

Camille savait reconnaître un défi, et ça, c'était clairement un défi. Plissant les yeux, elle se releva d'un bond et envoya un coup de pied dans les côtes d'Enzo, si rapidement qu'il n'eut pas le temps d'esquiver. Il se plia en deux. L'instinct de Camille la poussa à relever le genou pour lui casser le nez, mais sa louve la retint de justesse. Quelques secondes après, Enzo se laissa tomber en arrière en éclatant de rire.

— Déesse, que tu tapes fort !

Un jeu. Ce n'était qu'un jeu.

— Désolée, marmonna-t-elle en lui tendant une main pour qu'il se relève.

Il l'accepta, mais au lieu de se redresser il tira fort vers lui et elle tomba. Profitant de son instant de déséquilibre et de confusion, il la renversa sur le dos, la dominant de toute sa taille.

— J'ai gagné.

— Tu as triché ! se plaignit-elle.

Il sourit, avec ce petit air de voyou qui lui plaisait tant.

— Oui, c'est ce que j'enseigne à tes enfants.

Camille le regarda droit dans les yeux et réalisa la facilité avec laquelle il acceptait l'idée qu'elle ait des enfants. Elle avait quatre terreurs et il avait juste dit... OK, pas de problème. Bon nombre d'hommes auraient fui la queue entre les jambes en apprenant qu'elle avait déjà des gosses. Elle avait déjà fait fuir des mecs avec cette information. Mais pas lui.

— Tu me regardes bizarrement, Camilla... chuchota-t-il.

— Ah oui ? Je pense que c'est toi que me regarde bizarrement...

il était vraiment près maintenant, leur souffle se mêlait, elle se demanda s'il allait l'embrasser. Elle en avait vraiment envie. Vraiment très envie...

— Bah alors Camille ? On se fait mettre à terre par un Solitaire ? se moqua une voix masculine.

Camille repoussa brutalement Enzo qui roula sur le côté et elle se mit debout, époussetant ses vêtements avec embarras.

— On était juste en train de s'entraîner, Kylian, ne va rien t'imaginer, protesta Camille en prenant un air hautain qui décourageait la plupart des gens de la contredire.

— Oh, je ne m'imaginais rien du tout, assura-t-il de cette voix basse et sombre qui le caractérisait.

Kylian était un des loups les plus secrets que Camille connaissait. Elle s'était souvent inquiétée à son sujet. Il n'était pas né dans une meute, et n'avait rejoint Éclipse qu'à l'âge de quinze ans, après sa première transformation. Il ne parlait jamais de son passé, mais dans son regard se reflétait la lueur de ténèbres qu'il avait entrevue et peut être même quelque chose de plus terrible encore, qu'il avait fait. Camille avait toujours eu des réticences envers le mâle. Il était fort, certes, mais ce n'était pas suffisant pour être lieutenant.

Il arrivait parfois que des loups rejetant tout à fait leur humanité deviennent les pires monstres que le monde ait connus. Tous les loups ne devenaient pas sauvages, certains... ce transformait. Devenaient des animaux humains meurtrier et intelligent, capable de se fondre dans la masse, capable de disparaître et de tuer. C'était rare, mais ça existait, on les appelait les Renégats.

Camille craignait que ce soit ce qui arrive à Kylian. Et c'était pour ça qu'elle s'opposait à son entrée chez les lieutenants. Ce serait un coup dur pour toute la meute si en virant Renégats il tuait d'autres lieutenants.

— Oui, avec Camilla, on s'entraînait juste, je lui apprenais quelques techniques, tu veux t'entraîner avec nous ?

Kylian secoua la tête.

— Non merci, les entraînements à trois ce n'est pas mon truc, je suis solo, moi.

Et Enzo éclata de rire comme si c'était la meilleure blague qu'il avait entendue.

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