Chapitre 7 : Un Débordement Imprévu

Oscar de Millicent, ancien Duc de Millicent et actuellement incube renvoyé dans les Enfers aux côtés de son infâme créateur, toisa l'assistance avec désinvolture. Comme si apparaitre dans un miroir n'était pas le comble de la goujaterie.

-Oh, quelle effusion sentimentale ! ricana le démon en détaillant l'assistance.

-Espèce de sinistre cuistre ! tonna la Duchesse, retenue par son époux. Tu as tenté de faire tuer ma fille ! Tu as fait du mal à mon fils !

Le regard d'améthyste glissa vers Florentin, dont tous les muscles étaient contractés, prêts à agir.

-J'avais d'autres plans pour ton fiston. Mais Valérian, en loupant sa mission, a tout de même réussi quelque chose. Alors, mon petit Marquis d'Aresac ? Tu te plais dans ta nouvelle vie de lilliputien ? Oh, mais non ! C'est vrai que mademoiselle de Briac est là pour t'aider ! Comme elle tombe à point nommé... ronronna-t-il en baissant les yeux sur la sorcière.

-Oscar, fit calmement le Duc. Tu n'es pas là pour rien. Que veux-tu ?

-Me venger.

L'ambiance parut encore s'alourdir. Florentin baissa les yeux sur Léopoldine. Elle avait les yeux révulsés, le front couvert de sueur.

-Tu m'as tout pris, mon frère. Ma fiancée, mon titre, ma vie.

L'incube esquissa un sourire cruel.

-Soit certain que je te reprendrai tout. J'apporterai la misère et le désespoir sur ta famille. Je vous détruirai tous, jusqu'au dernier.

-C'est une déclaration de guerre ? siffla Angèle. Très bien ! Ne crois pas que nous allons t'attendre les bras croisés !

-Oh mon chat, ricana Oscar. J'aime te voir aussi combattive. Ta chute n'en sera que plus délicieuse...

-Ça suffit ! Espèce de...

Florentin fit la chose la plus évidente en cet instant : glissant sur le côté du siège de Léopoldine, il prit son visage à deux mains... Et l'embrassa, au vu et au su de toute l'assistance. Cela eut l'effet recherché. Perturbée dans sa transe, la sorcière coupa tous liens avec l'outre-monde, pour se retrouver bien présente à cet instant, contre la bouche du Marquis.

Oscar de Millicent poussa un rugissement de rage à l'instant où son miroir volait en éclat, faisant pousser des cris de stupeurs à l'assistance. Léopoldine, elle, sombra dans l'inconscience la seconde suivante.

*

Elle se réveilla en pleine nuit, en position d'étoile de mer. Bras et jambes écartés, elle avait la nette impression d'avoir bavé durant son sommeil. Bon. Cela lui arrivait uniquement lorsqu'elle abusait de ses pouvoirs de sorcière. Mais elle aurait été bien incapable de dire de quoi il en retournait réellement.

Se redressant avec un grognement dans son lit, elle se découvrit nue et frissonnante de froid. Son drap se trouvait roulé en boule par terre. Bien, bien... Elle avait vraiment abusé de ses dons. Épuisée, elle se leva lentement, pour aller chercher une chemise de nuit près du lourd chevalet destiné à soutenir son grimoire.

Elle était peut-être prisonnière, mais les Millicent savaient recevoir. Elle ne manquerait de rien. Néanmoins, elle ne pouvait rester indéfiniment leur « invitée », songea-t-elle, l'esprit confus. Elle devait trouver une potion capable de définitivement rendre sa taille au Marquis d'Aresac.

Ensuite, peut-être partirait-elle en voyage... Oui... Mais pour cela, elle devait trouver une solution. Bien qu'un peu confuse, elle prit son grimoire sous le bras, et retourna dans le cocon protecteur de son lit. Par bonheur, une chandelle se consumait toujours sur sa table de chevet.

Elle entreprit donc de relire la recette de la potion briseuse de sortilèges. Pourquoi ses effets restaient-ils temporaires ? De coutume, la rupture du sort était définitive. Les lignes magiques n'étaient pas censées pouvoir se réassembler pour de nouveau contrarier la victime. Tiens, elle était en train de se réveiller, ses pensées étaient de nouveau cohérentes.

L'auteur devait être un sorcier particulièrement puissant. Elle devrait en parler avec monsieur Florentin. Connaitre son identité et sa force lui permettrait certainement de...

Un rire aigu la fit brusquement baisser son ouvrage. Les yeux écarquillés dans la pénombre de la chambre, elle regarda tout autour d'elle, le cœur battant la chamade. Non. Cela n'avait dû être qu'une illusion. Elle reprit donc sa lecture.

La potion devait se faire avec de la betterave, du persil, du crapaud, du... Un ricanement résonna soudain près de son oreille. Jaillissant presque de son lit, le souffle court, Léopoldine fixa ses draps, vides de tout occupant.

-Sooooorciiière... susurra-t-on, avant de glousser.

Elle tourna lentement la tête, cherchant la source du bruit. Rien. Le son s'était tu, à l'instar des paroles. Plus perplexe qu'effrayée, la jeune femme s'en retourna sous la couette... et poussa un hurlement.

Deux mains décharnées s'enroulèrent autour de sa gorge, dans un concert de rires hystériques. Dans un visage calciné par les flammes, deux yeux luisaient de haine.

-Sorcière ! Tes péchés sont éternels, gravés dans ta chair souillée par le Diable !

Elle frappa sur les poignets, se débattit du mieux qu'elle le pouvait. Désormais incapable de crier à cause des pouces écrasés sur sa trachée, elle sentit la panique monter en elle. Elle reconnaissait ces traits décharnés !

-Tu périras, comme ton père avant toi, comme ta mère avant toi !

L'air lui manquait ! Affolée, Léopoldine tenta de proférer une incantation, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Non ! Pas maintenant ! Pas par sa main à lui !

-Tu vas rejoindre ton père Satan ! Tu vas rejoindre sa horde de démons hurlants, et croupir pour l'éternité dans la colère de Dieu ! Pécheresse !

Mu d'une vie propre, ou par son instinct de survie, son genou remonta violemment, pour cueillir la partie la plus délicate de l'anatomie masculine. L'apparition avait beau être d'un autre monde, elle pinça les lèvres. Et desserra la prise sur sa gorge quand ses ancestraux bijoux de famille furent écrasés dans un bruit spongieux.

-Va donc rejoindre le Diable toi-même ! siffla Léopoldine.

Un flot de paroles thébaines franchir ses lèvres, pour former un sortilège dont les mots percutèrent l'homme calciné. Il se retrouva plaqué contre le mur, à deux pieds au-dessus du sol, ses yeux luisants toujours d'une haine féroce.

-Catin ! Sorcière ! Va pourrir avec les démons !

Elle ne pouvait rien contre lui. Elle ne pouvait rester dans cette pièce. Tournant les talons, elle abandonna l'apparition, son grimoire, son lit, incapable de rester un instant de plus dans l'air consumé de rage et de dégout de la chambre. Les ricanements n'avaient de cesse de résonner, des centaines de petites mains tentèrent de la retenir dans ce lieu hanté... Quand, enfin, elle se retrouva dans le couloir, elle claqua la porte, faisant disparaitre les effluves malfaisants.

Haletante, elle chancela en reculant. Pourquoi ? Elle avait cru... elle avait cru que loin de Paris, cela n'arriverait plus ! C'était insensé ! On ne pouvait la poursuivre jusqu'ici ! Nul n'aurait dû la...

-Mademoiselle Léopoldine ? Jarnicoton ! Que vous arrive-t-il ?

Le souffle court, elle vit monsieur Florentin se précipiter vers elle. Toujours dans sa tenue pour la séance de spiritisme, il la rattrapa à l'instant où ses genoux se dérobaient sous elle.

-Le... La... Vous ne pouvez pas me garder chez vous ! Je dois partir !

-Quoi ? Mais pourquoi ?

-Le Diable... Vous avez fait entrer le diable chez vous en même temps que moi ! Je ne vous apporterai que le malheur ! Vous devez me laisser partir ! Vous devez... Vous devez... Me tuer...

*

Il fut relativement évident, pour Léopoldine, qu'elle avait cédé à la panique cette nuit. Ce qui l'avait conduit à se répandre de malheureuse façon sur l'épaule d'un Marquis, dans le lit duquel elle se réveilla en forte mauvaise posture.

Allongée sur le flanc, le corps indécemment beau de monsieur Florentin plaqué contre le sien, elle sentait le souffle régulier du dormeur contre son oreille. L'un de ses bras était négligemment passé autour de sa taille, l'autre faisant office de coussin pour la sorcière.

La présence de sa chemise de nuit, sur elle, la rassura. Étant donné la personnalité de monsieur, elle soupçonnait qu'un ébat se serait soldé par une nudité totale. Donc, il n'avait pas profité de la situation. Mais alors, pourquoi se trouvaient-ils tous deux dans les mêmes draps ?

Bon. S'il dormait, elle ne trouverait aucune réponse. Roulant dans ses bras, elle se retrouva nez à nez avec ses traits détendus par le sommeil. Dieu ! Elle rougit de cette proximité avec un tel Adonis. Vraiment, s'il avait travaillé à La Cuisse Dorée, il aurait été une véritable vedette.

-Monsieur Florentin ?

Il émit un grognement en l'attirant de nouveau à lui, son bas ventre exprimant un début d'éveil manifeste. La rougeur à ses joues ne s'améliora pas.

-Heu... monsieur Florentin !

Son cri eut le mérite de l'arracher brutalement des bras de Morphée... ainsi que de le faire revenir à l'état d'une miniature de quinze centimètres. Disparu sous les draps, il lâcha une bordée de jurons retentissants pour sa taille. Léopoldine, elle, éclata de rire.

-Oh, vous pouvez vous gausser, râla-t-il en émergeant du tissu de coton. Cela n'a rien de drôle !

-Voyons, ce n'est pas bien grave ! Cela vous arrive-t-il tous les matins ?

-Oui ! Votre potion ne dure pas la nuit ! Le matin je suis contraint d'en prendre une gorgée pour redevenir normal. Savez-vous ce que cela implique ?

Il déploya ses ailes translucides, irisées de couleurs magnifiques tirant sur le rose. Puis il s'envola vers la table de nuit, où un dé à coudre rempli l'attendait.

-Non, je ne vois pas, gloussa Léopoldine en l'observant revenir avec son récipient dans une main, l'autre servant à dissimuler son anatomie.

Prenant le temps de boire avant de répondre, il se retrouva soudain de nouveau à l'échelle humaine. Le matelas s'enfonça brusquement sous son poids, manquant faire rouler la jeune femme dans sa direction.

-Que ma prochaine compagne ne devra pas être humaine, pour pouvoir supporter ma vue de bon matin.

-Oh, fit-elle, douloureusement consciente de la nudité du Marquis.

-Oui, oh.

Il eut la gentillesse, ou la cruauté, de se couvrir du même drap qu'elle. Léopoldine tenta de s'enfuir, mais il la bloqua sur le lit d'une impérieuse main sur son ventre. Au travers du coton, elle se crut presque brulée par sa chaleur. Bon. Le plafond paraissait soudain très intéressant.

-Que s'est-il passé, cette nuit ? lui demanda-t-il.

-J'allais vous poser la même question.

-Je peux vous répondre : vous étiez dans un tel état de panique que je vous ai ramené dans ma chambre pour vous calmer. Sur quoi vous vous êtes endormi dans mes bras, et j'en ai fait de même. Donc, que s'est-il passé hier soir ? Avant que je ne vous découvre dans le couloir ?

Bon. Au moins avait-elle obtenu une réponse à sa question. Malheureusement, elle n'avait aucune envie de répondre à la sienne.

-Rien de significatif.

-Vous moquez-vous de moi ?

-Non. Mais effectivement, il n'y avait là rien de significatif pour vous.

-Vous avez prétendu avoir amené le Diable en cette demeure. Je trouve cela plutôt significatif.

Ha. Mince. Son débordement était allé jusque-là ?

-Je ne me sens pas de vous en parler dans un lit.

-Cela peut se comprendre. Me trouvez-vous attirant, mademoiselle Léopoldine ?

Le changement de sujet la déconcerta tant qu'elle se tourna vers lui. Grossière erreur. Car il l'observait d'un regard marron intense. N'avait-il donc jamais la même couleur d'iris, cet homme ? Étrange.

-Heu... répondit-elle plutôt intelligemment.

-Voyez-vous, vous êtes terriblement attirante et j'ai bien envie de vous embrasser.

-Mais mais... mais... non !

D'instinct, elle se tourna sur le ventre, les draps enroulés autour d'elle, les joues plus embrasées que jamais. Elle pouvait presque le voir sourire.

-Mes lèvres ne valent pas la peine d'être embrassées, monsieur Florentin.

Il se déplaça sur le lit, de telle sorte que son poids fit s'enfoncer le matelas autour de la sorcière. Oh mon dieu ! Que faisait-il !?

-Croyez-vous ? J'ai trouvé l'expérience plutôt agréable.

-Je... non, vraiment. Si vous saviez ce dont je suis coupable, vous ne penseriez même pas à me toucher.

Il rit doucement, tout contre son oreille. Ses doigts glissèrent sur sa peau, écartant une mèche de cheveux roux de sa nuque.

-Oh, mademoiselle Léopoldine... je ne pense qu'à cela...

Sa bouche effleura la peau ainsi découverte, lui arrachant un frisson sensuel... Puis son poids disparut du matelas. Elle battit des paupières, surprise. Léopoldine roula sur le dos, pour le découvrir au bas du lit, en train d'enfiler un pantalon gris.

-Je ne saurais vous contraindre. À plus tard, mademoiselle.

Chemise en main, torse nu, il quitta la chambre avec une certaine précipitation. La laissant dans un silence particulièrement perplexe. Pourquoi... comment...

Indécise quant à ses sentiments envers ce soudain abandon, la sorcière s'assit dans le lit, les yeux rivés sur la porte traitresse. Bon. Elle devrait peut-être mettre ses propres intentions au clair dans cette histoire. Elle lui était gré d'être intervenu et de l'avoir protégé cette nuit, mais elle ne pouvait se permettre aucune privauté avec le Marquis. Cela la mènerait à sa perte, c'était certain.

Donc, il n'y avait aucune question à se poser : elle devait sortir au plus tôt de cette chambre respirant la sensualité. Malheureusement, il ne lui restait que sa chemise de nuit pour pleurer. Elle allait devoir traverser tout le couloir en petite tenue pour rejoindre ses appartements !

Hantés, soi-disant passant.

Léopoldine prit une profonde inspiration. Cette journée commençait fichtrement mal.

Passant la tête dehors, elle évalua les probabilités de se retrouver nez à nez avec un membre de la famille Millicent. Elle n'était certes pas une noble dame, mais elle n'appréciait pas pour autant d'être surprise en chemise sortant du lit d'un homme. Même si sa vertu n'avait pas été comprise, personne ne la croirait.

-Ah, mademoiselle Léopoldine !

Fichtre. Elle n'avait pas vu arriver mademoiselle Aliénor. Resplendissante dans une robe vert pomme, elle s'approchait d'elle en trottant presque.

-Je comprends mieux pourquoi mon frère vient de se jeter dans la fontaine du jardin, rit-elle. Vous avez repoussé ses avances de bon matin ?

-Heu... monsieur Florentin vient de se jeter dans la fontaine ? fut tout ce qu'elle trouva à dire.

-Han, han... acquiesça la jeune femme en passant son bras sous le sien, le plus naturellement du monde. Voyez-vous, en ce début d'automne, l'eau est particulièrement fraiche. C'est très salvateur pour le caractère... enflammé de la famille.

Mademoiselle Aliénor la conduisit d'un pas tranquille jusqu'à ses appartements, quittés la veille. Pourquoi Diable ne semblait-elle pas offusquée par son absence de tenue ? Par la situation ? Cette famille était véritablement étrange. Et pourtant, elle avait vécu dans un bordel !

Les Millicent... Elle commençait à comprendre pourquoi leur nom était sur toutes les lèvres. Sulfureuse, dangereuse, létale... Cette famille avait de quoi attiser toutes les curiosités. Et malheureusement pour elle, elle se retrouvait bloquée avec eux en tant qu' « invitée » forcée, sous le nom de mademoiselle de Briac...

Soudain, elle fronça les sourcils.

Mais, attendez... N'avait-elle pas effectué une séance de spiritisme la veille au soir ?


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