Chapitre 5 : Un Parasite de Lit


-Vraiment ? fit monsieur Florentin, un long moment plus tard. Maitresse du Spiritisme de Paris ?

Mortifiée, Léopoldine fixait un arbre joufflu de la serre tropicale. Ils se trouvaient dans le château, et l'épreuve des présentations passées, ils avaient profité des préparatifs du repas pour s'éclipser. Cela avait momentanément soulagé la sorcière.

-Que vouliez-vous que je dise ? gémit-elle en se prenant la tête entre les mains. Vous avez vu ma tenue ? Mes manières ? Je ne peux que me faire passer une médium ! C'était la seule explication logique pour les humains qui sont présents pour le mariage !

-Ha, mais je suis tout à fait d'accord avec vous, mademoiselle de Briac ! C'est une très bonne excuse. De plus, avec les récents évènements survenus dans notre maison, cela ne surprendra personne. Vous avez choisi la meilleure des couvertures.

-V... Vraiment ? balbutia-t-elle en regardant le Marquis.

Installé sur une chaise en fer forgé, rehaussé d'un coussin moelleux, il lui adressa un grand sourire. À peine moqueur.

-Oui. Au fait, d'où vous est venue l'idée du nom ?

-Je m'appelle réellement Briac. Léopoldine Briac.

-Oh, ciel. Vos parents ont vraiment été d'une cruauté sans bornes, avec le choix de votre prénom.

-Monsieur Florentin !

-Quoi ? Je ne fais que dire la vérité !

-Toute vérité n'est pas bonne à dire ! Je l'aime bien, moi, mon prénom.

-Ma foi, c'est l'essentiel. Allez, venez.

Sautant eu bas de sa chaise, il la prit de nouveau par la main. Les sourcils froncés, elle le suivit de bonne grâce, en grande partie parce qu'il n'y avait pas grand-chose d'autre à faire.

-Où allons-nous ?

-Dans vos appartements. Vous allez résider dans l'aile familiale.

-Pourquoi donc ? Ma place est dans le quartier des domestiques.

Il roula des yeux exaspérés à son adresse. Le couloir, décoré de peintures et d'armures anciennes, les conduisit jusqu'au hall d'entrée. Tout de marbre blanc, il était impressionnant, surtout en raison de son escalier monumental menant à l'étage. C'est là que le Marquis la conduisit.

-Mademoiselle de Briac, il s'avère que vous êtes la seule à pouvoir me guérir d'un mal qui, selon toute vraisemblance, est incurable. Je tiens donc à vous avoir à portée de main.

Hum. Vue sous cet angle, elle trouvait cela plutôt logique.

-Rassurez-moi, je ne vais pas loger avec vous ?

-Bien sûr que non. Nous aurons chacun notre intimité, rassurez-vous.

Comportant un petit salon et une chambre, les appartements de Léopoldine s'avérèrent tout à fait charmants. Les murs, parés de tissus d'un jaune doré, surpiqués de petites fleurs blanches, illuminaient les deux pièces. Dans la première, une table ronde cernée de quatre chaises et des canapés laissait deviner un lieu de discussion. La seconde, avec son lit à baldaquin plaqué contre un mur, et le chaudron accompagné d'étagères garnis d'ingrédients et d'ustensiles, lui correspondait plus.

-Fichtre ! s'exclama-t-elle en regardant autour d'elle, éblouie. J'aurais de quoi vous refaire de la potion, monsieur Florentin !

-Nous y avons pensé. Bien. Maintenant, ne m'en voulez pas, mais il va falloir faire quelque chose pour votre tenue.

Elle baissa les yeux sur ses vêtements. Bon, ils étaient usés, élimés, mais encore utilisables.

-Je suppose que cela ne sied guère à des hôtes tels que vous.

-Ce n'est pas cela. En toute honnêteté, votre mise, je m'en fiche. Mais les nobles qui viennent parasiter notre table y prêterons importance.

-C'est pour cela que j'entre en scène !

Une belle femme aux cheveux châtains arriva, suivit d'un majordome aux bras chargés de cartons. Une main sur la hanche, celle qui s'était présentée comme étant Aliénor de Millicent adressa un sourire éblouissant à Léopoldine.

-Des trois enfants, je suis la plus à jour sur la mode féminine, explique-t-elle. J'ai récemment fait un séjour à Paris avec mes parents pour sauver le derrière rebondi de mon futur beau-frère.

Le majordome posa les paquets sur une console en chêne, avec un air de soulagement évident.

-Qu'est-ce donc ? s'enquit la jeune sorcière, curieuse.

-Des robes. Les miennes. Selon toute vraisemblance, nous faisons les mêmes mensurations.

-Mademoiselle de Briac a une poitrine plus imposante que la tienne.

-Monsieur Florentin !

-Effectivement, approuva mademoiselle Aliénor sans s'offusquer. Mais les décolletés sont faits pour être ajustés. Donc, grand-frère... Dehors.

*

Découvrir la salle du repas fut un choc pour Léopoldine. Dans les teintes pistache, elle arborait des moulures, une cheminée gigantesque. Installés autour d'une longue table préparée par les serviteurs, une cinquantaine d'invités dardèrent sur elle des regards curieux.

Elle se félicita de se trouver au bras de monsieur Florentin, fermement décidé à l'accompagner dans ce choc des cultures.

-Mesdames et messieurs, je vous présente mademoiselle de Briac. Maitresse du Spiritisme.

-Ooh ! s'exclamèrent-ils dans un parfait ensemble.

Les Millicent eux, la fixaient avec des sourires goguenards. Forcement. Ils savaient exactement d'où elle venait. D'ailleurs, ni sa robe ni sa coiffure sophistiquée faite par Gloria, la femme de chambre, ne les tromperait.

-Mademoiselle de Briac, vous êtes une maitresse du spiritisme ? s'extasia une femme, à côté de laquelle elle s'installa. C'est tellement à la mode ! Allez-vous nous faire une séance ?

-Ce serait si atypique, approuva un homme, de l'autre côté de la table.

-Nous pourrons ainsi tester l'étendue de vos capacités... ajouta une autre femme.

Cette dernière, assise juste en face de Léopoldine, l'observait d'un regard perçant. Elle fronça les sourcils en en faisant de même. Le cheveu brun, la peau blanche, elle avait un décolleté plongeant bien rempli. Le dos droit, elle offrit un sourire glacial à la sorcière.

-Madame de Crisance, intervint monsieur Florentin. En quoi auriez-vous les capacités de tester celles de mademoiselle de Briac ?

-Oh, monsieur le Marquis... Nous en serons tous juges.

Pensait-elle mettre Léopoldine mal à l'aise ? Cela aurait peut-être marché, si cette dernière avait été un charlatan. Mais en tant que sorcière, elle connaissait suffisamment de choses du spiritisme pour être capable de lui rabattre son caquet.

-Madame de Crisance, susurra-t-elle en coupant délicatement son blanc de poulet aux épices, vous verrez de vous-même de quoi je suis capable.

La femme plissa les paupières, soudain belliqueuse. Pourquoi ne l'aimait-elle pas, alors qu'elles ne s'étaient jamais adressé la parole ? C'était un comportement obscur pour elle.

-Soit. Nous ferrez-vous l'honneur d'exécuter une séance de... spiritisme ce soir ?

Quelque dix minutes plus tard, la conversation avait de nouveau dévié vers les futurs mariés : Aurore de Millicent et le Duc de Lucassi. Installés un peu plus loin sur la table, les futurs époux resplendissaient littéralement. Cela donna l'occasion à Léopoldine d'échapper aux attentions désagréables de madame de Crisance, et de se pencher vers monsieur Florentin.

-Auriez-vous, par le plus grand des hasards, eu une relation avec cette charmante veuve ? fit-elle en désignant la femme au décolleté.

Il prit le temps d'avaler sa gorgée de vin avant de répondre. Le dos droit, il semblait incroyablement plus tendu à cette table que la veille face aux gaillards d'Enguerrand.

-Effectivement. Elle était ma maitresse il y a encore une semaine.

Fichtre. Elle ne pensait pas que c'était si récent. Cela expliquait son hostilité envers une inconnue qui arrivait au bras de son ancien amant. Néanmoins, Léopoldine n'avait aucune intention de faire les frais d'une relation arrivée à son terme.

-Pourquoi vous êtes-vous séparés ?

La prenant au dépourvu, il se pencha à son oreille, devant toute cette aristocratie. Si la plupart ne virent rien, cela n'échappa à madame de Crisance. Le rouge aux joues, mademoiselle de Briac, elle, avait terriblement conscience de la main du Marquis sur le dossier de sa chaise, de son souffle effleurant la peau délicate de sa nuque.

-Elle m'a trompé avec l'homme qui a tenté d'assassiner ma sœur.

-Diantre !

L'exclamation lui avait échappé, attirant par-là l'attention malvenue sur le sujet de leur conversation. Comme pour tenter de l'apaiser, monsieur Florentin posa sa main sur la sienne, bien en vue sur la table.

-Surprise ?

-Assez, oui. De là où je viens, on ne couche pas avec l'ennemi de son amant.

-Si je ne m'abuse, elle ne savait pas que Valérian était notre ennemi. Moi non plus, d'ailleurs, ajouta-t-il avec regret. Tout du moins, au début.

-Au début ?

-C'est une longue histoire. Mais quoi qu'il en soit, c'est fini entre nous. Elle ne semble pas l'avoir compris, voilà tout.

-Oh. Donc elle continue... À vous faire des avances ?

-Effectivement. C'est assez désagréable.

Elle s'abstint de faire un commentaire.

Le repas achevé, il s'avéra qu'il était l'heure de la sieste. Le voyage au travers des cercles micellaires avait dû fatiguer les fées de la famille Millicent, car la Duchesse et son fils se retirèrent les premiers. Léopoldine ne se fit pas prier non plus. Rejoignant l'aile où se trouvait sa chambre, elle découvrit rapidement qu'il était malaisé de s'allonger avec un corset.

Après dix minutes à se tortiller pour tenter de se déshabiller, elle abandonna la partie. Ha, tant qu'à être une sorcière, autant utiliser la chose pour le quotidien ! Psalmodiant une rapide formule, elle sentit les lacets du corset se relâcher. Elle eut l'impression de respirer pour la première fois depuis quatre heures !

Immensément soulagée, elle laissa sa tenue mondaine glisser sur sa peau, pour aller se draper sagement autour du mannequin dans un coin de la chambre. En chemise de corps et bas blanc, Léopoldine poussa un soupir de soulagement.

Qui resta bloqué dans sa gorge quand on toqua à sa porte. Celle de la chambre, pas celle du salon ! Le rouge aux joues, elle chercha vivement quelque chose pour dissimuler sa petite tenue. Malheureusement, il n'y avait rien.

Diantre !

-Oui ? fit-elle timidement, en se rapprochant du battant.

-Mademoiselle de Briac, c'est Florentin.

Interloquée, elle s'arrêta devant le pan de bois peint.

-Pourquoi êtes-vous là ?

-J'ai un parasite dans mon lit.

Quoi ? C'était quoi, encore, cette histoire ?

-Je ne fais pas dans l'éradication des nuisibles, monsieur le Marquis.

-C'est madame de Crisance, qui est dans mon lit.

Cette fois-ci, elle ouvrit la porte sans réfléchir. Il haussa un sourcil en découvrant sa tenue, ce qui la fit rougir comme une pivoine. Elle referma aussitôt, mais il bloqua le battant avec sa main.

-Je ne suis pas décente !

-Oh, pitié ! J'ai séjourné entre les globes magnifiques de votre poitrine. Je ne vois pas en quoi la situation est gênante.

-Ce n'est pas pareil ! Il y avait une différence de taille.

-Vous tentez de faire un jeu de mots ? C'est plutôt réussi.

Elle avait beau appuyer de tout son poids sur la poignée, impossible de le faire flancher ! La sueur au front, elle réfléchit rapidement.

-Avez-vous une veste ?

-Effectivement. Je suis une victime de la mode parisienne le temps de la présence des humains ici.

-Donnez-la-moi, ordonna-t-elle en passant son bras par l'entrebâillement.

Elle devina son air interloqué. Au terme de trois courtes secondes, un vêtement lourd pesait au bout de son bras. Elle s'en enveloppa immédiatement, ferma tous les boutons et se découvrit protégée ainsi jusqu'aux genoux. Ce n'était pas suffisant à son gout, mais elle ne pouvait pas faire mieux.

-Pouvez-vous m'expliquer, fit-elle en libérant le passage au Marquis, pourquoi vous venez ici ? De toutes les pièces du château, vous êtes obligée de venir dans ma chambre ?

Il haussa les épaules en se laissant tomber sur son lit sans autre forme de procès.

-Connaissez-vous l'histoire de ce lieu ? rétorqua-t-il.

-Mmh ? Non. Pourquoi ? Qu'y a-t-il de spécial ?

Son fin sourire n'augurait rien de bon, en vérité.

-Il s'agit là de la première chambre occupée par ma mère, à son arrivée chez les Millicent. Quand mon oncle Oscar était le Duc, et mon père son homme de main.

Malgré elle, Léopoldine écarquilla les yeux, avant d'observer la chambre d'un œil neuf.

-C'est aussi celle où une vampire a bien failli la tuer, et où elle a vu mon père nu pour la première fois. Il avait arrêté la vampire en quittant sa forme de loup, aussi a-t-il atterri sur le parquet nu comme un vers !

Son rire résonna dans la pièce, laissant la sorcière médusée. Oh mon dieu ! C'était une famille de fou ! C'était ainsi, les débuts entre le fameux couple Millicent ? Elle comprenait mieux les rumeurs à leur sujet !

-Écoutez, monsieur Florentin... Jouons franc-jeu, voulez-vous ? Vous avez un problème avec madame de Crisance.

Il leva les yeux vers elle. D'un violet clair, aujourd'hui, ils reflétaient une once de colère.

-Effectivement. Cette peste est dans mon lit. Je ne parviens pas à lui faire comprendre que je ne veux plus d'elle.

-Lui en avez-vous parlé ?

-Je lui ai écrit une lettre. Voyez-vous, j'ai subi une réduction de taille avant d'avoir pu lui en toucher un mot.

-Sa conduite vient donc de cela. Vous devez le lui dire.

-Ma fuite de ma chambre, en raison de sa présence, doit être claire, non ?

-Pas à un cœur amoureux, monsieur Florentin.

Contre toute attente, cela le fit rire. Gênée, Léopoldine resserra les pans de sa veste contre elle. En chemise et veston, il était charmant. Et installé sur son lit. Son... Une idée germa dans son esprit trop fertile.

-Madame de Crisance n'est pas amoureuse de moi. Elle aime mon titre, la gloire qui va avec le fait de coucher le Marquis d'Aresac, futur Duc de Millicent.

-Elle vous pourchassera donc jusqu'à ce que vous cédiez.

-Effectivement, soupira-t-il en se laissant aller en arrière sur le lit, les bras en croix.

Il y eut un petit instant de silence. Mal à l'aise, la sorcière se dandina d'un pied sur l'autre. Bah. Après tout, elle n'était pas à ça prés.

-J'ai une idée pour vous débarrasser d'elle.

Il se hissa aussitôt sur les coudes, pour l'observer d'un œil soudain très intéressé. Il parvint même à ne pas fixer ses chevilles dénudées. Le rouge aux joues, Léopoldine pria en silence pour ne pas avoir la même teinte que ses cheveux.

-Je peux me faire passer pour votre maitresse.

Ses yeux ronds la firent rougir un peu plus encore.

-Je... Heu... Ainsi elle ne vous approchera plus, bafouilla-t-elle. Vous seriez tranquille et...

-C'est une excellente idée ! la coupa-t-il en bondissant sur ses pieds, plein d'une énergie renouvelée. Mais... Je vous vois mal dans le rôle de la maitresse. Vous êtes trop timide pour cela.

Elle osa enfin le regarder dans les yeux.

-Je travaille depuis des années dans un bordel, monsieur Florentin. Ne vous en faites pas, je sais comme agissent... Des connaissances intimes.

Le violet de ses iris sembla soudain pétiller d'amusement. Il fit un pas en avant, lui arrachant un gargouillis indigné. Ça partait mal !

-Mais... Nous ne sommes pas intimes, mademoiselle de Briac.

-Je... Heu... Nous ferons semblant...

-De quoi ? souffla-t-il en prenant son menton entre ses doigts, son timbre se faisant soudain terriblement rauque. De connaitre le gout de votre peau ? De connaitre le son de votre voix en pleine extase ? De connaitre l'expression de votre visage quand l'orgasme vous emporte ?

Elle en resta coite. La bouche ouverte, les yeux écarquillés, elle était absolument incapable de répondre à ces diverses questions. Monsieur Florentin sourit doucement, son pouce dessinant la courbe de sa lèvre inférieure.

-Soit. Nous ferons semblant, mademoiselle de Briac. Je sens que nous allons bien nous amuser.


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