Chapitre 17 : Le Pacte
Un grand palefroi noir franchit les portes de l'au-delà. Bien campée sur ses pieds, Léopoldine regretta de porter une simple robe de chambre sur sa chemise de nuit. En cet instant, le carcan du corset et la tournure volumineuse d'une robe lui auraient conféré plus d'assurance.
Néanmoins, elle se tint droite devant Cimeriès. Marquis Infernal, perché sur son imposant cheval, il darda des yeux de feu sur elle.
-Léopoldine de Briac... fit-il d'une voix rocailleuse. Que puis-je pour toi, sorcière ?
-Vous êtes capable de révéler des choses cachées. Un de vos... compères, le démon Succor-Bénoth, nous a dérobé un objet d'importance.
La lumière, tout autour d'eux, baissa d'un coup. Soudain tendue, Léopoldine se tint un peu plus sur ses gardes. Bientôt, il ne resta plus que la lueur de l'au-delà, filtrant par la porte, pour éclairer le cavalier.
-Et vous me convoquez pour ça !? Misérable petite...
La voix du démon s'évanouit dans le néant, à l'instant où deux mains jaillissaient de derrière Léopoldine, pour se plaquer sur sa bouche. Soudain terrifiée, elle écarquilla yeux dans les ténèbres absolues. Même les portes n'étaient plus visibles ! Son interlocuteur non plus !
-Ne t'a-t-on jamais dit qu'il ne fallait jamais marchander avec le démon, petite sorcière ?
La voix, moqueuse, la fit se figer.
-Que voulais-tu demander à ce tendre Cimeriès ? Les os de ce charmant Arioch ?
Il ricana à son léger tremblement. Comment pouvait-il... par Dieu ! Comment pouvait-il connaitre l'histoire des os !? Oh non... était-ce Oscar ? Non... non !
-Oh, pitié ! Ne me compare pas à cet arriviste.
Les mains cessèrent de faire un bâillon sur ses lèvres. La présence dans son dos disparu, tandis que, haletante, Léopoldine tentait de percer les ténèbres. Elle n'en eut pas besoin. D'un pas tranquille, le démon entra dans son champ de vision, pour lui faire face avec un sourire insolent.
Deux grandes ailes ornaient son dos. Il les bougeait doucement, extension naturelle de sa personne. Les mains dans les poches, torse nu et arborant un pantalon rouge sang, il lui fit un grand sourire. Avec ses cheveux noirs, il était effrayant.
Terrifiant.
-Je me nomme Bérith, se présenta-t-il avec un sourire carnassier. Ton cas m'intéresse tout particulièrement, Marquise d'Aresac.
-Lisez-vous dans mes pensées, pour savoir tant de choses ?
Il haussa un sourcil.
-Oui, mon chat, sinon comment aurais-je su que tu pensais à Oscar ? Bref... je suis tout disposé à t'aider... mais bien sûr, cela a un prix.
La sorcière plissa les paupières, le cœur battant la chamade.
-Que pourrais-tu donc me proposer, rit-il en lui tournant autour, qui me ferait travailler pour toi ?
-Pourquoi vous intéresser à moi ? Est-ce à cause de cet Oscar de Millicent ?
Le sourie carnassier du démon se fit plus dangereux encore. Léopoldine déglutit nerveusement. Bérith. Elle ne connaissait pas de malin de ce nom. Mais à le voir ainsi, elle savait qu'il était dangereux. Plus dangereux encore que Cimeriès, qu'elle s'était risquée à invoquer. Pourquoi était-il venu à elle ?
-Oscar est un gêneur. Depuis son arrivée en Enfer, il a pris du grade. Et maintenant, il tente de me prendre mes terres. Voyez-vous, je suis plutôt possessif, Marquise. Aussi suis-je tout disposé à lui nuire.
-S'il vous est insupportable, pourquoi ne pas nous proposer votre aide de façon... plus collaborative, disons ?
Bérith haussa un sourcil, avant d'éclater de rire.
-Non, les choses ne se font pas de cette façon, mon chat ! Je peux tout à fait lui nuire tout en le laissant détruire les Millicent. Et le laisser commencer par ton petit... tout petit mari.
-Hors de question ! siffla Léopoldine. Je suis prête à sacrifier ma vie... mon âme pour le sauver.
-Oh...
Le démon se rapprocha d'elle, avec l'air du chat lorgnant une souris.
-Comme c'est charmant, ronronna-t-il en lui prenant le menton entre les mains. Mais je n'ai que faire de ton âme.
Elle fronça les sourcils, un instant décontenancée.
-Mais... c'est tout ce que j'ai à offrir.
-Toi, oui. Mais toi, Aliénor ?
Stupéfaite, elle suivit le regard du démon, pour découvrir la cadette des Millicent. Debout dans ce lieu normalement inaccessible, elle dardait sur Bérith un regard sans peur.
-Mon âme, démon, je te l'offre si tu jures de sauver mon frère.
Léopoldine ne présentant plus aucun intérêt, le démon se rapprocha de la jeune femme. Furieuse, elle toisait cet être effrayant. En cet instant, elle rappelait énormément la Duchesse à la sorcière.
-L'âme d'une Millicent, moitié louve, moitié fée... un être unique en son genre. J'accepte ta proposition, Aliénor. Ton âme, ton corps, tout m'appartiens à partir de cet instant.
-Uniquement mon âme.
-Oh ? Tu te refuses à moi ?
-Mon corps ne présente aucun intérêt pour toi, démon, rétorqua-t-elle avec aplomb. Accepte mon âme, ou nous demanderons à un autre de nous aider.
-Oh, un caractère bien irascible... j'accepte, Aliénor. Mais sache que corps et âme vont de pair avec moi.
Le monde disparut aux yeux de Léopoldine, une nouvelle fois. À l'instant où elle reprit pied dans la salle de spiritisme, elle aurait juré entendre des portes claquer. La brèche sur l'au-delà était fermée.
En prenant conscience de son environnement, la jeune sorcière posa un regard furieux sur Aliénor... avant de pousser un cri.
Dans la table, Oscar de Millicent les fixait au travers des centaines de fragments de miroir de la table.
-Invoquer le Duc Bérith... fit-il avec son ricanement si caractéristique. Le mensonge personnifié. Croyez-vous réellement sauver votre Florentin de la sorte ?
Nul n'eut à répondre. Car une femme tomba littéralement du plafond, pour s'effondrer dans un torrent de froufrous sur les multiples visages d'oncle Oscar. Madame de Crisance, aussi surprise que les trois invocatrices, regarda autour d'elle. En voyant Léopoldine, elle poussa un sifflement haineux.
Léopoldine n'eut pas la présence d'esprit de se pousser. Un instant perplexe, elle fixa le plafond, en se disant « Le Duc de Bérith est vraiment efficace ». Cette réflexion passagère manqua lui être fatale. La possédée lança ses mains, avec des ongles tels des griffes, en direction de sa gorge... mais une forme la percuta, la faisant tomber de la table et rouler sur le sol.
À sa place se trouvait désormais un loup... un loup à la robe marron clair, aux babines retroussées sur des crocs énormes, avec... avec... Des ailes de fée. Cela n'arrangea pas l'état de stupéfaction de la sorcière.
Surtout quand deux yeux d'un bleu céruléen se dardèrent sur elle, avant que la tête canine ne désigne Mamie Millicent. Fais la sortir, comprit-elle.
Retrouvant l'usage de sa raison, Léopoldine bondit enfin sur ses pieds... pour sentir une main agripper sa cheville. Elle poussa un cri aigu à l'instant où une force inhumaine la tira en arrière. Madame de Crisance riait telle une démente, son visage crasseux déformé par la folie. Non. Le visage déformé par la folie de Succor-Bénoth, le démon qui l'habitait à présent. Elle claqua des dents en direction de son mollet.
-Ha non ! Tu ne vas pas me manger !
Sa mâchoire rencontra la bottine de Léopoldine. Aliénor suivit, ses dents se plantant dans son poignet pour lui faire lâcher prise. Roulant sur le côté pour se libérer, la sorcière chercha du regard Mamie Millicent. Évanouie sur le sol.
Fantastique ! Elle ne pourrait jamais la sortir de là !
Pourtant, faisait fi de la douleur à sa cheville, elle claudiqua vers elle, la saisit par les bras... et ne parvint pas à la bouger d'un centimètre. Bon sang de bon sang ! Elle avait certes une circonférence généreuse, mais elle n'avait jamais imaginé la grand-mère aussi lourde ! Après deux tentatives, des claquements de dents violents, des grondements et des rires déments derrière elle, Léopoldine se rendit à l'évidence : Mamie Millicent resterait sur place.
Aliénor percuta le miroir juste à côté de Léopoldine, avant de glisser sur le sol. Apparemment, elle aussi resterait sur place.
-Je ne sais pas comment tu m'as fait venir ici, fit madame de Crisance d'une voix brisée. Mais tu n'auras jamais les os !
Ce faisant, la sorcière baissa les yeux. Une tête de fémur dépassait du généreux décolleté de la possédée.
Bon. Au moins savait-elle où se trouvait son objectif.
-C'est ce que nous allons voir, gronda-t-elle.
Ravie de ne pas porter de robe encombrante, elle sauta littéralement sur son adversaire. Les deux femmes s'empoignèrent, avec une violence inattendue pour Léopoldine. Saisissant la longue chevelure brune de madame de Crisance, elle fit une chose qu'elle mourrait d'envie de faire depuis des jours : elle fracassa son front contre le rebord de la table, à deux reprises. Si du sang en tacha l'angle, cela perturba à peine la possédée. Tendant un bras en arrière, elle griffa la joue de la sorcière, avant de saisir sa gorge.
Ni une, ni deux, Léopoldine poussa un cri en Thébain. Madame de Crisance alla aussitôt s'écraser contre l'un des miroirs du mur, sur la silhouette d'Oscar de Millicent. Ce dernier se décala de quelques pas, pour passer sur une autre surface. Il avait l'air très concerné par le combat.
-Je ne te laisserais pas gagné si facilement, fit-il calmement.
Léopoldine ne l'entendit qu'à demi-mot.
Car entre elle et sa cible, se dressait à présent le spectre calciné. Il ouvrit la bouche sur des dents tachées de sang, ses joues perforées laissant entrevoir ses tendons. La jeune sorcière eut un mouvement de recul, qui faillit lui être fatal. Ces démons minuscules étaient tombés du plafond, pour peser sur épaules, la renversant sur le sol. Un cri furieux lui échappa. Non ! Non, pas si près du but ! Les os se trouvaient là ! Juste là, de l'autre côté de cette maudite pièce ! Le spectre planta ses ongles dans l'une de ses cuisses, prenant son temps pour faire claquer sa mâchoire, son rire d'outre-tombe lui glaçant le sang. Il allait lui déchiqueter la gorge, ce maudit...
Des mains surgirent de nulle part. Elles empoignèrent le spectre par les épaules, le jetant littéralement de l'autre côté de la pièce. Un nouveau miroir fut brisé sous l'impact, arrachant un rugissement de rage à l'Oncle Oscar.
Florentin n'y prêta pas attention. Il donna un coup de pied à un petit démon, libérant l'un des bras de Léopoldine. Cette dernière tendit la main, qu'il saisit, la remettant sur pieds et l'arrachant à la poigne de ces êtres infernaux.
Surprise par la force qu'il mit dans son geste, elle rebondit sur son torse nu. À peine habillé d'un pantalon mal boutonné, il avait les cheveux en bataille et l'air colérique. Non. Furieux. Il était littéralement hors de lui.
-Je...
-Fffffflorentin !
Le sifflement de madame de Crisance glaça Léopoldine. Elle voulut avertir le Marquis, mais il réagissait déjà. Pivotant d'un bloc, il arrêta la femme, l'attrapant à la gorge. La surprenant dans son bond, il contracta le moindre de ses muscles pour la renverser et la plaquer violemment au sol.
-Hawk !
Ce ne fut qu'à cet instant que Léopoldine aperçut l'exorciste. Habillé de la tête aux pieds, son haut-de-forme bien en place sur le sommet de son crâne, il s'accroupit prestement prés de son ami. La possédée s'agita soudain comme un beau diable, griffant le bras de Florentin, cherchant à lui donner des coups de pieds. Sans réfléchir, la sorcière lui saisit les jambes, pour tenter de l'immobiliser. Elle eut bien du mal, sous le regard glacial de son amant.
S'ils sortaient tous entiers de cette pièce, elle sentait qu'elle allait se faire sermonner.
-Au nom du père, commença Lord Abiscon en saisissant le menton de madame de Crisance, et du Fils, et du Saint Esprit. Amen.
Il plaqua une croix en or sur le front de la possédée. Elle hurla, claqua des dents. Ils eurent du mal à la tenir au sol, mais ce n'était pas ce qui inquiétait le plus Léopoldine. Autour d'eux, la pièce semblait devenir plus sombre encore, comme si le mal se massait autour d'eux. La peur pointant le bout de son nez, Léopoldine jeta un coup d'œil à l'endroit où le spectre était tombé. Sur les ordres de l'oncle Oscar, il se relevait déjà.
Non !
-Nous t'exorcisons, qui que tu sois esprit immonde, puissance satanique, horde de l'infernal ennemi, semblait psalmodier Hawk, son ton se faisant de plus en plus fort.
-Plus vite, le pressa Florentin, conscient du danger rôdant autour d'eux.
-La Ferme ! Il te commande, le Dieu Très Haut, à qui, en ton grand orgueil, tu prétends encore être semblable ! Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la Vérité !
Léopoldine entendit le bruit caractéristique d'un chien que l'on désarme. Les yeux écarquillés, elle vit son amant tenir madame de Crisance d'une main, et pointer son pistolet sur le spectre de l'autre. La pauvresse, elle, hurlait à gorge déployée.
-Il te commande, Dieu le Père !
Un coup de feu atteignit le revenant à l'épaule.
-Il te commande, Dieu le Fils !
Le deuxième tir fit exploser son crâne.
-Il te commande, Dieu le Saint Esprit ! rugit Hawk.
Le troisième fit voler en éclat le dernier miroir, emportant le cri de rage d'Oscar de Millicent. Au même instant, madame de Crisance s'immobilisait. Le mal semblant refluer, la flamme des bougies se fit plus vive, éclairant jusqu'aux moindres recoins de la pièce. L'espace d'un instant, elle crut voir deux ombres en forme d'ailes dans le dos de l'exorciste. Mais l'espace d'un clignement de paupières, elles avaient disparu. Un tour de l'esprit, certainement...
-Bien. Le malin a quitté ce corps et cette pièce, déclara Lord Abiscon en se redressant, avant d'épousseter ses genoux. Néanmoins, ce n'est que temporaire pour le château.
-Fantastique ! s'exclama la Duchesse en entrant dans la pièce, suivie de son époux. Non seulement nous avons des travaux à engager, mais en plus l'autre gagne en puissance. Jarnicoton ! Aliénor ! Maman !
Elle se précipita vers elles, le visage tordu par l'anxiété. Le Duc la suivait de près, non sans s'assurer d'un coup d'œil que tout allait bien du côté de son fils.
Dont le regard était planté dans celui de Léopoldine. Cette dernière arborait son plus beau sourire crispé, à s'en faire mal à la mâchoire. Il était vraiment furieux !
-Léopoldine de Briac ! rugit-il, faisant sursauter toutes les personnes –conscientes- présentent. Comment as-tu pu prendre un tel risque !?
-Je...
-Même pas une journée après notre mariage !
-Florentin, je...
-QUOI !?
-LAISSE-MOI PARLER, BOUGRE D'ÂNE !
Cela eut le mérite de le surprendre, à défaut de le calmer. Dans tous les cas, elle eut le temps de se lancer :
-Tu étais minuscule même en dormant ! Ton état s'aggrave, Florentin, et je devais agir vite !
-En appelant un démon !? s'exclama-t-il avec de grands gestes. Jarnicoton, Léopoldine ! Il ne faut jamais faire de pacte avec un démon !
-Jamais, confirma lord Abiscon, comme pour lui-même.
-Je n'ai pas fait de pacte !
Son époux fronça les sourcils, cette fois-ci interloqué... avant de devenir soudain à taille réduite. Il poussa un juron en agitant vivement ses ailes de libellule, pour se porter de nouveau à sa hauteur, ses mains devant ses attributs virils. Les fesses à l'air, il n'en démordait pas.
-Comment ça, tu n'as pas fait de pacte ? Tu as invoqué un démon, oui ou non ?
-Oui. Mais je n'ai pas fait de pacte.
Pas elle, en tous cas. Néanmoins, elle eut l'intuition que mademoiselle Aliénor souhaitait qu'elle garde cela sous silence.
-Bérith, c'est ainsi qu'il s'appelle, est apparemment en guerre contre Oscar, en enfer. Il était ravi de lui mettre des bâtons dans les roues !
Ce qui n'était pas tout à fait faux. Néanmoins, cette dernière déclaration attira l'attention de tout le monde. Profitant de l'instant, Léopldine se pencha, arracha le fémur d'entre les seins de madame de Crisance, et le brandit sous le nez de Florentin.
-Ça, mon très cher époux, est ce qui va sauver notre mariage. Alors si tu le veux bien, les grandes explications seront pour plus tard. J'ai une potion à concocter.
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