Chapitre 16 : La Réponse
-Veux-tu m'épouser ? demanda à nouveau monsieur Florentin.
La bouche ouverte, les yeux écarquillés, Léopoldine le fixait avec stupéfaction. Il voulait.... il voulait... ça faisait trop en une seule journée. Monsieur Enguerrand, madame de Crisance, sa déclaration, la perte des os, la demande en mariage... elle allait finir par s'évanouir telle une midinette de roman !
-F...
Elle s'éclaircit la gorge, pour tenter de retrouver un brin de contenance.
-Florentin. Tu ne vas pas mourir.
Il haussa un sourcil. De l'autre côté de la pièce, les Millicent ne perdaient pas une miette du spectacle.
-Ce n'est pas ma question.
-Tu crois que je ne te vois pas venir ? Je ne permettrai pas que tu disparaisses, alors le mariage est hors de question.
-Je t'aime, rétorqua-t-il, avec un grand sourire. Je souhaite te mettre en sécurité avant qu'il ne m'arrive quelque chose. Où est le mal ?
-Le mal est que tu te vois déjà six pieds sous terre, Marquis d'Aresac !
-C'est faux. Je me vois avec toi devant l'autel.
-Florentin ! s'écria-t-elle, sans pour autant retirer sa main de la sienne.
-Léopoldine ! Tu sais bien que je ne lâcherai pas le morceau si facilement. Veux-tu m'épouser, oui ou non ?
M'aimes-tu ?
Elle pouvait presque entendre sa question, muette mais pourtant si claire. Le cœur battant la chamade, inconsciente de la présence du reste de la famille, Léopoldine frappa le sol de sa bottine avec énervement.
-Évidemment que je t'aime, sombre idiot ! Mais je refuse de t'épouser dans ces circonstances ! Ce sera après t'avoir sauvé la vie.
-Non, avant. Sinon, je ne t'aurais pas mise à l'abri du besoin.
-Florentin ! Non !
-Léopoldine ! Ne m'oblige pas à t'attacher et à te ligoter !
-Non mais tu t'entends !? C'est une demande en mariage ou une menace !?
-Les deux, fit-il en se redressant, pour la toiser.
Ils se tenaient toujours par la main, tout en se défiant du regard.
-Je veux partir l'esprit en paix, Léopoldine. Pour ça, je souhaite que tu deviennes la Marquise d'Aresac.
-Non ! Je te sauverai !
-Léopoldine !
-Il est hors de question que tu disparaisses, Florentin ! cria-t-elle en retirant sa main de la sienne. Quoi qu'il m'en coûte, je t'assure que tu resteras avec moi ! Je ne veux pas que tu partes...
Des larmes traitresses roulaient à présent sur ses joues. Soudain adouci, Florentin la prit dans ses bras. Il la serra contre lui, enfouit son visage dans son cou.
-Je ne veux pas partir non plus, mon amour. Mais si cela doit arriver, je veux pouvoir t'appeler « ma femme » au moins une fois avant.
Cette fois-ci, ses sanglots furent incontrôlables. Elle s'agrippa à sa chemise, tentant désespérément d'endiguer ses pleurs. Pourtant, elle en était incapable. Il lui fallut de longues minutes avant de pouvoir se calmer. Quand enfin elle retrouva une certaine contenance, elle renifla de façon pitoyable.
-Je te hais, toi et tes arguments.
-C'est donc un oui ? rit-il.
-Mmph... Oui. Mais c'est vraiment pour te faire plaisir.
Il lui embrassa doucement la tempe, avec un sourire à faire fondre le plus dur des cœurs. Dans un coin de la pièce, elle entendit soudain des cris de joie. Surprise, elle redécouvrit la présence de la famille Millicent. Écarlate, elle réalisa à quel point elle s'était donnée en spectacle. Ils les congratulèrent avec de grands sourires, faisant fi de la situation. Faisant fi des raisons de ce mariage. Faisant fi de ses origines, de son statut de sorcière.
Les Millicent étaient réellement une famille étrange. Mais tellement accueillante...
-Aurais-je l'honneur de vous unir ?
Lord Abiscon se tenait à la porte. Son haut-de-forme à la main, il leur adressait un sourire calme. Ses yeux vairons les contemplaient, toujours aussi étonnants.
-Avec plaisir, Hawk.
Un exorciste avait donc le droit de célébrer des mariages ? Si cela étonna Léopoldine, elle ne s'appesantit pas plus sur la question. Car tout se précipita. Aurore lui confia les fleurs contenues dans le vase du bureau. Aliénor lui remit les cheveux quelque peu en place, et Rodolphe confia son veston à son fils afin de le rendre plus présentable.
Sommairement préparés, ils se tournèrent vers Lord Abiscon. Porte close, dans un bureau retourné par une possédée, à la vitre brisée, ils célèbrent un mariage aussi intime qu'imprévu. Le père était couvert de sang, le fils également, Léopoldine finissait de sécher ses larmes. C'était un tableau incongru, mais empli de sincérité.
-Je vous préviens, je suis plus habitué à bouter des démons hors d'un corps que de bénir des unions. Donc...
Il sortit un petit carnet de la poche de sa redingote, qu'il consulta rapidement. Le Duc et la Duchesse d'un côté, pour faire les témoins, leurs filles et le Duc de Lucassi de l'autre, Léopoldine se sentait bien entourée, soudain.
Florentin serra sa main dans la sienne, avant de la porter à ses lèvres avec un doux sourire. Elle ne put s'empêcher de le lui rendre. Florentin de Millicent. Marquis d'Aresac. Son faux amant devenu une réelle aventure, avant de se transformer en son fiancé. Son époux imminent.
La vie allait bien vite, parfois. Une semaine plus tôt, elle se trouvait encore dans le grenier de La Cuisse Dorée, sans rêve ni perspective d'avenir.
-Ha, voilà ! Florentin et Léopoldine... Vous avez écouté la parole de Dieu, qui révèle la grandeur de l'amour humain et du mariage.
Dieu ? Léopoldine regarda subrepticement le plafond. Dieu n'avait rien à faire dans cette histoire. Néanmoins, elle ne pouvait pas empêcher un exorciste de le mettre au milieu.
-Vous allez vous engager l'un envers l'autre. Est-ce librement et sans contrainte ?
Les futurs mariés se regardèrent du coin de l'œil.
-Oui, répondirent-ils en cœur.
-Bien, fit Lord Abiscon. En vous engageant dans la voie du mariage, mes tourtereaux, vous vous promettez amour mutuel et respect. Est-ce pour la vie ?
-Aussi longue soit-elle, fit Florentin.
Monsieur Hawk ne prit pas ombrage de cette remarque. Il continua sa lecture.
-Êtes-vous prêts à accueillir les enfants que Dieu vous donne et les éduquer selon l'évangile du Christ et dans la foi de l'Église ?
Cette fois-ci, il y eut un petit silence.
-Hawk. Je te rappelle que tu célèbres le mariage d'une fée et d'une sorcière. C'est assez païen comme union.
L'exorciste leva le nez de son carnet. Suite à une courte réflexion, il haussa les épaules en empochant de nouveau le petit livre.
-Bien. Vous allez avoir une cérémonie de mon cru, dans ce cas. Florentin, Léopoldine, vous vous unissez dans l'adversité, mais non pas sans amour. Je conçois que les choses sont compliquées pour vous, néanmoins je ne saurais permettre une union contrainte. Quelqu'un s'oppose-t-il à ce mariage ?
Ha. Il semblait plus sérieux soudain, car ses yeux vairons scrutèrent le visage des deux mariés. Comme personne ne répondait, il reprit.
-Je vous souhaite de vivre dans l'amour et le respect mutuel. Pour ce qui est des enfants, qui seront un joli mélange de fée et de sorcière, je vous souhaite de les éduquer comme vous le pouvez, envers et contre tous, mais avec amour. Je vous assure que l'on vous fera une vraie cérémonie plus tard. Pour le moment, tu peux embrasser la mariée, Florentin.
Quand ils se firent face, les nouveaux époux avaient du mal à ne pas rire. Néanmoins, une fois leurs lèvres scellées, il n'y avait plus la moindre trace d'humour. Seulement un amour révélé de force, qui les unirait pour la vie.
Aussi longue soit-elle...
*
Léopoldine se réveilla en sursaut en pleine nuit. Les yeux écarquillés dans le noir, elle fronça les sourcils. Après leur célébration, Florentin et elle s'étaient retirés dans sa chambre. Ils avaient fait l'amour, puis s'étaient endormi dans les bras l'un de l'autre... mais elle ne sentait plus la chaleur de son époux contre elle.
Paniquée, elle trouva la chandelle. D'un rapide mot thébain, la mèche s'enflamma, lui donnant la lumière nécessaire pour confirmer son inquiétude : la place à ses côtés était vide. Inquiète, elle leva la bougie devant elle, afin d'éclairer les moindres recoins de la pièce. Il n'y avait personne.
-Mmh...
La plainte, un peu plus aigüe que d'ordinaire, attira son attention. En soulevant les draps, elle découvrit la forme minuscule de son mari. Allongé sur le ventre, il dormait à poings fermés.
Oh non... Il n'était jamais à cette taille dans son sommeil ! C'était le seul moment où le sortilège ne lui faisait aucun effet ! Comment... pourquoi... affolée, Léopoldine le toucha délicatement, de crainte de lui faire du mal.
-Mmh. Moui ?
Il entrouvrit ses yeux verts, sans se réveiller réellement. Sa taille resta la même.
-Rien. Rendors-toi, Florentin.
Sans attendre, un léger ronflement retentit dans la chambre. En silence, Léopoldine quitta le lit, avant de remonter la couverture sur son minuscule époux. Elle l'observa un instant à lueur de la bougie. Sa décision était prise.
Une robe de chambre en satin sur le dos, elle dévala les escaliers. Les nobles dormaient tous, encore. Avait-elle mis trop de belladones dans sa potion ? Certainement, car ils semblaient plus tenir du conte de la belle aux bois dormants qu'autre chose, depuis cette histoire de fantômes.
Quoi qu'il en soit, elle fila avec sa chandelle, au travers des couloirs ténébreux du château des Millicent. Le spectre de son passé pouvait venir, les démons mineurs pouvaient envahirent les murs tels des araignées, rien ne l'arrêterait en cet instant.
En arrivant devant la salle de spiritisme, elle ne prit pas le temps de la réflexion. Elle ouvrit en grand les portes... et découvrit Marie de l'Esprit Saint. Un chandelier posé sur la table, elle offrit un sourire amical à la jeune sorcière.
La pièce était restée la même : tous les miroirs tapissant les murs étaient fêlés, preuve de la violence de la séance. La table était craquelée sur toute sa surface, renvoyant des centaines de fois son regard à Léopoldine.
-Je sais ce que vous souhaitez accomplir, fit la grand-mère de Florentin. Je souhaite vous apporter mon soutien.
Léopoldine fronça les sourcils.
-Je ne vois pas de quoi vous parlez, madame.
-Vous allez soigner le mal par le mal.
-Mais encore ? rit la sorcière. Vous avez des idées étranges. Vous devriez...
-Allez dormir ? Je vous rassure, jeune femme, je suis en grande forme.
Elles se défièrent du regard. Finalement, Léopoldine entra complètement dans la pièce... pour sursauter lorsque la porte se referma dans un claquement. Les yeux ronds, elle découvrit mademoiselle Aliénor. Le dos droit, toujours vêtue de sa robe de la journée, elle adressa un sourire à Léopoldine.
Le sourire typique des Millicent. Celui qui n'augurait rien de bon.
-Mademoiselle de Briac... ou plutôt, Marquise d'Aresac. Nous sommes d'accord : il est hors de question d'attendre les bras croisés que mon grand-frère disparaisse de cette terre.
Léopoldine resta un instant silencieuse.
-Vous m'attendiez donc ?
-Le temps nous est compté, alors ne jouons pas sur les mots, fit mademoiselle Aliénor. J'ai une idée pour sauver mon frère.
Elle le lui expliqua rapidement. Lentement, Léopoldine hocha la tête.
-J'avais la même idée en tête.
-Bien. Cela nous facilite la tâche : vous vous chargez de cela. Pendant ce temps, ma grand-mère et moi, nous nous occuperons de votre protection sur le plan physique.
-Vous ?
Mamie Millicent, comme l'appelaient ses petits-enfants, acquiesça.
-Ne vous fiez pas aux apparences, jeune femme. Je suis une femme pleine de surprise.
C'était, après tout, la mère d'Angèle de Millicent. Léopoldine ne doutait pas d'elle.
-Très bien. De toute façon, avec ou sans vous, je l'aurais fait.
Elles s'installèrent donc autour de la table. Le plus calmement du monde, mademoiselle Aliénor posa un poignard, un pistolet et quatre couteaux de lancés devant elle. Mamie Millicent, elle, commença à disposer toute une panoplie d'herbes et de bâtonnets sur le miroir brisé de la table.
Prenant une profonde inspiration, les mains jointes devant elle, Léopoldine tenta de calmer son esprit. Lentement, trop lentement à son gout, elle parvint effleurer l'au-delà. À toucher du doigt ce film si fin entre le vivant et le mort. Ses yeux se révulsèrent, sa tête partit en arrière.
Puis elle se retrouva devant les portes entrouvertes des jours plus tôt. Par-delà, elle pouvait voir une nuée de spectres de fantômes, tous tentant de passer le voile de la vie.
Déterminée, la jeune sorcière se tint droite face à cette foule.
-Oh, Cimeriès, Marquis Infernal. Je demande audience avec toi, démon.
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