Chapitre 15 : L'Art Délicat du Soin
Il s'avéra qu'ils avaient, tout d'abord, reçu la visite de quelques sbires démoniaques dans les sous-sols où gisait le corps d'Arioch. Puis qu'ils avaient croisé la route de madame de Crisance, qui les avait passablement pris au dépourvu. Les blessures de monsieur Florentin provenaient des premiers, celles de mademoiselle Aurore de la seconde.
Malheureusement, la possédée s'était de nouveau échappée.
En l'occurrence, Léopoldine s'en fichait comme d'une guigne. Agenouillée sur le grand lit du Marquis, elle aidait le Duc à l'installer confortablement.
-Succor-Bénoth, dites-vous ? faisait Lord Abiscon. Oui, je connais ce démon.
Mademoiselle Aliénor avait posé la question. La Duchesse s'inquiétait trop pour son fils pour parler, monsieur Erik serrait sa fiancée contre lui à l'en étouffer, et les autres étaient occupés avec le Marquis. Aussi était-elle la seule disponible pour l'investigation.
-Quelle est sa spécialité ?
-Oh, la jalousie. Cela ne m'étonne pas. Madame de Crisance est follement jalouse de mademoiselle de Briac et de sa relation avec Florentin.
-Oui. Vu sous cet angle...
L'intéressée n'écoutait que d'une oreille distraite. Avec un linge, elle essuyait le visage de son amant. Des griffures fraiches courraient le long de sa tempe, pour franchir son arcade sourcilière. C'était là la provenance de tout ce sang... Sans compter son épaule droite, où de profondes marques de dents attestaient de la violence de l'attaque. Et d'autres, bien plus proches de sa gorge, firent monter un peu plus son angoisse.
-Voici des larmes de fées.
Elle leva les yeux sur la Duchesse. Elle lui tendait une fiole contenant un liquide translucide. Elle semblait rassurée à présent, comme si tout allait se régler.
-Cela marchera-t-il sur lui ? s'inquiéta la jeune sorcière.
-Oui. À merveille, répondit le Duc. Je vous laisse vous occuper de lui. Les os d'Arioch doivent être mis en sécurité.
-Je vais t'aider.
-Nous aussi.
En quelques secondes, il ne resta bientôt plus personne dans la chambre. Le cœur battant la chamade, Léopoldine tenta de réveiller monsieur Florentin. Il revint à lui avec un grognement, ses paupières papillonnèrent. Le sang recommençait déjà couler le long de son visage.
-Mmh... quoi... ?
-Tiens. Tu dois boire ça...
Elle porta à ses lèvres la fiole. Louchant dessus, il battit plusieurs fois des paupières, avant de soupirer.
-Ce n'est pas ainsi qu'il faut me le donner.
-Comment, alors ?
La prenant par surprise, il lui arracha l'objet des mains, avala tout le contenu... Avant de la renverser sur le lit. Elle poussa un cri étonné, mais il la fit taire d'un baiser au gout salé. Au gout de larmes de fées.
Quand enfin leurs lèvres se séparèrent, elle avait le souffle court. Florentin lui adressa un sourire coquin.
-C'est ainsi qu'il faut me donner la potion, ma petite sorcière.
-F... Florentin ! Tu n'étais pas si mal que ça ! Avoue !
Il tâta ce qui fut d'horribles griffures sur son visage, avant de sourire de nouveau.
-Non, j'ai réellement perdu connaissance. Mais j'adore te voir si attentionnée !
Sa bouche s'y fit aussitôt un devoir de couvrir sa gorge, la naissance de ses seins de baisers, tandis que ses bras enserraient sa taille. Léopoldine poussa un nouveau cri, avant de lui taper sur le sommet du crâne.
-Florentin !
-Aïe ! Quoi ?
Il releva la tête. Les lèvres à un cheveu de sa peau, elle sentait nettement son souffle chaud la caresser.
-Je me suis fait du souci ! Tu pourrais au moins penser à autre chose qu'à la bagatelle !
-Voyons, voyons... c'est une façon comme une autre de te prouver que je suis vivant.
-Que... que... ha, non !
Outrée, elle le repoussa, avant de rouler tant bien que mal sur le lit pour s'asseoir. Maudite robe ! Maudit Marquis ! Maudite angoisse ! Des larmes perlaient déjà au coin de ses yeux, quand ses bras chauds l'enlacèrent.
-Je suis désolé, soupira-t-il contre son oreille. C'est juste que... je ne suis pas très doué sur le versant sentimental.
-Ha ? Parce qu'il y a des sentiments entre nous, maintenant ?
Il y eut un petit silence. Elle regretta aussitôt ses paroles inconsidérées.
-Fl...
-J'ai conscience que nous ne nous connaissons pas depuis longtemps, souffla-t-il. Néanmoins... Léopoldine, j'ai bien des sentiments pour toi.
Elle se figea entre ses bras. Non. C'était impossible. Il était Marquis. Elle était une ancienne prostituée. Il ne pouvait rien y avoir de ce genre entre eux. C'était inconcevable.
Cette fois-ci, les larmes roulaient bien le long de ses joues. Le cœur battant fort dans sa poitrine, elle s'accrocha aux bras qui l'enlaçaient. Ce ne pouvait être vrai. C'était un doux rêve, fomenté par ce démon d'Oscar, pour mieux la berner...
-Si tu me sors que tu es une prostituée et moi un Marquis et que c'est impossible, je vais me fâcher, lança-t-il en la serrant un peu trop fort.
Lisait-il dans son esprit !?
-Je...
-Tu es une sorcière, courageuse, caractérielle, vaillante, surprenante, adorable, séduisante, attendrissante, aimante... comment pourrais-je ne pas m'éprendre de toi, Léopoldine ?
-Je... suis... la Cuisse Dorée...
-Du passé. Souviens-toi, j'ai effacé toutes les traces sur ton corps.
Elle rit faiblement à cette idée.
-Je t'aime, Léopoldine.
Son cœur, son pauvre petit cœur, parut se figer en sa poitrine. Lentement, elle leva la tête vers lui. Il plongea ses yeux d'un vert pomme dans les siens. En cet instant, il respirait la tendresse. La douceur. Incapable de parler, elle ouvrit la bouche, la referma. Une fois, deux fois. Finalement, il sourit tendrement, cueillit une larme sur sa joue du bout des lèvres.
-Ne dis rien. Je ne te demande rien.
Lentement, délicatement, il l'embrassa. Comme pour une demande. Une question muette, mais si claire... Léopoldine passa les bras autour de sa taille, afin de se rapprocher un peu plus de lui. De sa chaleur, de sa sécurité, de son amour...
-RODOLPHE !
Ils se figèrent l'un contre l'autre, avant de bondir sur leurs pieds.
La Duchesse de Millicent ne hurlait jamais, au grand jamais, d'une voix affolée.
À moitié vêtus, ils se précipitèrent hors de leur chambre. Ils eurent tout juste le temps d'apercevoir la silhouette d'Erik et d'Aurore, qui filait déjà vers madame Angèle. Dévalant les escaliers en dépit de sa robe, Léopoldine découvrit une scène de carnage dans le bureau du Duc. Dans un coin de la pièce, la Duchesse se tenait agenouillée près de son époux, une plainte déchirante sur les lèvres. De l'autre... madame de Crisance, les mains couvertes de sang, poussa un sifflement dans leur direction, avant de se jeter en arrière. La mère de Florentin venait d'ouvrir le feu de son pistolet. Elle tira cinq fois, avant que la possédée ne prenne la fuite par la fenêtre, sa longue robe rouge disparaissant un étage plus bas.
-Papa !
Les enfants Millicent se précipitèrent vers lui. La Duchesse, le souffle court, reporta son attention sur son époux. Inconscient, il gisait, la gorge déchiquetée, comme griffée. Madame de Crisance était-elle l'auteur de ce...
-Les larmes ! Florentin, en as-tu encore ?
-Non...
Une plainte désespérée franchit les lèvres de sa mère. Elle prit le visage de son époux entre ses mains, le suppliant de revenir, le suppliant de rester. Les larmes roulaient sur ses joues, et perles capables de le soigner. Malheureusement, dans son état, il ne serait jamais capable de les avaler.
Léopoldine prit d'autorité place à la tête du Duc, posa ses mains sur sa gorge. Madame Angèle poussa un cri furieux, mais ses enfants la retinrent. La vieille comptine remonta en sa mémoire. Elle se mit à chanter, avec un calme déconcertant dans le chaos ambiant. La chaleur irradia de ses mains, et bientôt, elle perçut la moindre nuance de la plaie. Les paupières closes, la jeune sorcière se concentra. La magie afflua. Et la souffrance du Duc reflua. Bientôt, il se mit à battre des paupières, reprenant connaissance avec toute sa famille au-dessus de lui. Plus une sorcière, qui retira ses mains avec un soupir soulagé.
-Non de...
-Oh, Rodolphe !
La Duchesse le serra à l'en étouffer. Loin de s'en formaliser, il l'étreignit avec un rire ravi. Ils n'étaient pas réellement portés sur les marques d'affection publique. Néanmoins, à les voir ainsi, ils étaient éperdument amoureux l'un de l'autre, c'était évident.
-Tout va bien, chérie. Je... oh non ! L'os... Arioch...
-Elle est partie avec, souffla son épouse.
Tous les regards se posèrent sur Florentin. Livide, il avisa le sang sur le mur, les griffures sur le bureau. Madame de Crisance savait. Elle savait qu'ils possédaient les os d'Arioch. Pour l'empêcher, lui, de guérir du sortilège du démon, elle était venue les voler. Les déposséder, tandis qu'il faisait sa déclaration à mademoiselle de Briac.
Ils n'auraient peut-être pas le temps de retrouver les os avant qu'il ne... disparaisse ? Reste bloqué dans cette ridicule forme de fée de conte ?
-Lord Abiscon est un exorciste, fit Léopoldine en lui prenant la main. Peut-être pourrait-il la traquer et...
-Non, fit-il, sans la regarder.
Son père se remettait déjà sur pieds. Ses sœurs observaient la scène, anxieuses.
-Il ne pourra jamais les retrouver. J'ai bien peur que mon temps ne soit compté, Léopoldine.
-Non ! Je t'interdis de dire une telle chose !
Avec un soupir, elle le vit baisser les yeux sur elle. Il semblait étonnamment calme. Trop calme, même, étant donné la situation. Mon Dieu, on vient de lui voler ce pour quoi il a manqué mourir !
-Les seuls à pouvoir nous aider seraient les vampires.
Tous les regards se tournèrent vers mademoiselle Aliénor. Elle aussi très posée, en dépit de son jeune âge, elle continua :
-Ce sont des chasseurs de démons, et notre demeure en est infestée. Ils ont remonté la trace de Valérian jusqu'ici. Pourquoi ne pourraient-ils pas retrouver madame de Crisance ?
-La théorie est bonne, ma fille, mais il en est hors de question, rétorqua monsieur Rodolphe. Pour la simple et bonne raison qu'ils tenteront au passage de tuer ta mère et ton frère.
-Alors, que pouvons-nous faire ? demanda la cadette des Millicent. Attendre et voir Florentin disparaitre, à cause d'un Oncle psychopathe qui ne supporte pas de voir le bonheur de notre famille !? Il en est hors de question !
-Donne-moi le temps de la réflexion, Aliénor. Il y a une solution à tout... il faut seulement me laisser le temps, ma fille.
La main de monsieur Florentin sur sa joue attira l'attention de Léopoldine. Elle abandonna la confrontation du père et de la fille, pour se plonger dans ses yeux verts. Ses yeux si beaux... La jeune sorcière fronça les sourcils quand, soudain, il se mit à genoux devant elle. Cela attira l'attention du reste de la famille, dont le silence se fit soudain attentif.
-Mademoiselle de Briac, fit-il d'une voix douce. Voulez-vous m'épouser ?
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