Lord Oward Ethan Hawk Abiscon n'était pas venu pour conter fleurette aux Millicent. En vérité, dès l'instant où Léopoldine avait réveillé, par mégarde, tous les fantômes du château, monsieur Florentin était allé le chercher diligemment. Pour une très bonne raison.
Lord Abiscon était un exorciste officiel de la papauté.
Il avait donc fait disparaitre de ce plan tous les ectoplasmes venus hanter les couloirs de la demeure des Millicent. La chose lui ayant pris toute la journée de la veille, il était quelque peu perclus de fatigue. Néanmoins, il adressa un sourire serein à Léopoldine.
Qui l'était beaucoup moins.
Assise au milieu du salon jaune de ses appartements, elle observait les personnes en présence avec méfiance. Monsieur Florentin, mademoiselle Aliénor, et Lord Abiscon. Les futurs mariés étant occupés dans leur chambre, le Duc et la Duchesse également, il ne restait plus qu'eux pour assister à cette séance d'exorcisme.
-Je ne vois pas réellement l'intérêt de la chose. Vous avez déjà vu une sorcière être exorcisée, vous ?
Monsieur Hawk, qui faisait négligemment tourner sa canne entre ses doigts gantés, lui adressa un sourire. De leur côté, le frère et la sœur l'observaient, lui, avec attention. Surtout la sœur. Toujours en robe dédiée aux invités, elle fixait Lord Abiscon comme s'il risquait de sortir un couteau et d'égorger tout le monde avec un rire de dément. Ou quelque chose approchant.
-J'ai exorcisé des êtres plus retors que vous, mademoiselle de Briac, rétorqua l'anglais. De plus, je ne souhaite pas faire cela contre votre gré. Si vous voulez, je peux vous faire un résumé de votre situation...
-Non ! Merci.
-Moi je veux bien, fit mademoiselle Aliénor. Je n'ai pas toutes les lignes de l'histoire.
La sorcière poussa un soupir, avant de se lancer :
-Un spectre me poursuit depuis des années, mais ne m'avait plus attaqué depuis un moment. Malheureusement, la séance de spiritisme a ouvert les portes de l'au-delà. Non seulement cela a permis à votre oncle de franchir le plan, pour au moins posséder madame de Crisance, mais en plus la porte est restée ouverte. Résultat, le spectre a tenté de me tuer par trois fois, j'ai paniqué et réveillé tous les fantômes du château. Maintenant, Lord Abiscon souhaite m'exorciser afin de couper les liens entre moi et ce spectre.
Il y eut un petit silence.
-Et pour la porte ? demanda monsieur Florentin.
-La rupture entre le spectre et mademoiselle de Briac devrait briser le lien qui lui permet de maintenir la porte ouverte. Ainsi, votre oncle ne pourra plus se manifester aussi facilement.
Léopoldine fixa ses mains jointes sur ses genoux. Bon.
-Va pour l'exorcisme, râla-t-elle en regardant de nouveau la petite assemblée.
Un large sourire fendit le visage de Lord Abiscon. Avec sa peau pâle et ses cernes, il faisait vraiment penser à un vampire. Mais étant donné son calme tout naturel aux côtés de la fée masculine, il n'en était pas un. Il était seulement un exorciste, un humain initié par la papauté aux arcanes occultes.
-À la bonne heure ! s'exclama-t-il, ravi. Maintenant, racontez-moi pourquoi ce spectre vous mène la vie dure.
Ha. Soudain encore plus mal à l'aise, elle coula un regard à monsieur Florentin. Tout ouïe, ce dernier haussa un sourcil à son adresse.
-C'est si grave que cela ?
La gorge nouée, elle reporta son attention sur lord Abiscon.
-C'est que...
-Mademoiselle de Briac.
La voix d'Aliénor l'attira. La jeune femme la rejoignit, au milieu du salon, pour lui prendre les mains. Avec un sourire radieux, elle lui dit :
-Nous sommes tous coupables de méfaits plus ou moins avouables, dans cette pièce. Vous êtes chez les Millicent, et lord Abiscon est... un agent du pape.
-Je... Je ne comprends pas, avoua Léopoldine, une goutte de transpiration commençant à rouler le long de sa gorge.
Les yeux de la jeune femme plongèrent dans les siens. Ils semblaient la sonder jusqu'à son âme.
-Si. Vous savez tout à fait de quoi je parle. Nous sommes tous coupables d'au moins un meurtre entre ces murs. Moi comprise. Donc, quoi que vous puissiez nous dire, ne croyez pas pouvoir nous choquer.
-Et nous ne vous jugerons pas, ajouta monsieur Florentin.
Elle les regarda, tour à tour.
-Après, vous vous étonnez d'avoir mauvaise réputation, vous, les Millicent !
-Oh, ils l'ont bien cherché, rit Lord Abiscon. Maintenant, trêve de plaisanteries. Il est bientôt minuit, j'aurais besoin d'avoir des réponses maintenant.
-D'accord, soupira-t-elle.
La gorge nouée, elle se tourna vers son amant. Aussitôt, ce dernier la rejoignit, pour lui prendre les mains. Une confession publique n'était pas l'idéal, mais contre mauvaise fortune bon cœur...
-Ce spectre... est le fantôme de l'homme qui a envoyé mes parents au bucher.
Si l'anglais haussa un sourcil, ce fut l'unique marque de surprise de la pièce.
Elle les voyait encore sur le bucher. Elle avait été contrainte d'assister à la scène par monsieur Enguerrand. En une froide nuit d'hiver, les Parisiens s'étaient regroupés sur l'une des places de la ville, pour y festoyer. Car les exécutions étaient toujours sujettes à des festivités en ce temps, surtout pour les sorcières. Ils avaient couvert de quolibets ses parents, leur avaient jeté des choses au visage. Ils avaient ri quand la sentence avait été rendue, avaient béni le Seigneur quand le feu avait fait flamber la paille.
Leurs cris hantaient encore ses nuits.
-Après être... tombée sous la coupe de monsieur Enguerrand, je l'ai retrouvé. Je l'ai tué. Puis j'ai brulé son corps et je l'ai enterré.
Il y eut un petit silence, durant lequel elle se remémora ce moment. Il s'agissait de leur voisin, du vivant de ses parents. Ivre de jalousie face à leur prospérité, il avait vendu aux autorités sa famille. Il ne savait pas, alors qu'ils étaient réellement une famille de sorciers. Trop petite pour avoir encore péché, Léopoldine avait été épargnée. Monsieur Enguerrand, un des clients de ses parents, l'avait prise sous son aile. Elle était devenue prostituée, puis sorcière à son service, avant de rencontrer monsieur Florentin.
-Bon. Ce n'est donc pas un démon, fit Lord Abiscon en regardant le plafond. Il s'agit simplement d'un spectre caractériel.
-L'exorcisme n'est pas nécessaire, conclut le Marquis en la rejoignant. Comme je suis soulagé...
Il serra sa petite sorcière dans ses bras, avec un soupir. Un peu surprise de cette marque d'affection publique, elle lui caressa doucement le dos. L'exorcisme était-il une chose si terrible ?
-Bien. Dans ce cas, nous allons pouvoir nous pencher sur le cas de madame de Crisance, fit Lord Abiscon avec aplomb. Mademoiselle Aliénor, savez-vous ce qu'en ont fait vos parents ?
-Enfermée dans un cachot, répondit-elle platement. Moi, ce qui m'intéresse surtout, c'est de savoir comment nous allons pouvoir débarrasser mademoiselle de Briac de cet affreux spectre.
Florentin déposa un baiser sur la tempe de la jeune sorcière, avant de s'écarter. Pas assez, néanmoins, pour ne pas garder son bras autour de sa taille. Grand et protecteur tout contre elle, il lui offrit un petit sourire rassurant.
Oh, Dieu ! Quand il était près d'elle, elle se sentait tellement en sécurité...
-Les portes, murmura-t-elle. Les portes de l'au-delà sont restées ouvertes. Pour me débarrasser des spectres, je vais devoir refaire une séance de spiritisme afin de les fermer.
Le grognement désapprobateur de Florentin était éloquent : il était contre cette idée.
-Oncle Oscar en a profité pour nous atteindre, fit-il. Je désapprouve.
-Oui, mais...
-Non ! C'est trop dangereux pour toi !
-Elle ne va pas passer sa vie à redouter la nuit, rétorqua mademoiselle Aliénor. Rends-toi à l'évidence, grand frère : elle va devoir refaire une séance.
-Elle a raison, approuva Lord Abiscon. Mademoiselle Léopoldine est la mieux placée pour régler le problème. Mais pour lors... Je souhaiterais exorciser madame de Crisance, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
La sorcière cligna bêtement des paupières, avant de froncer le nez.
-Je vous accorde que je ne la porte pas dans mon cœur. Néanmoins, pourquoi faudrait-il exorciser cette avertineuse ?
-Parce qu'elle a la mauvaise tendance à parler avec une voix gutturale depuis qu'elle t'a tirée dessus.
Léopoldine cligna des paupières... Avant de comprendre.
-Morbleu ! Elle serait possédée par un démon !?
-Ce n'est pas impossible. Après tout, l'un d'eux nous a déjà attaqué, et Oncle Oscar est un incube.
-Parlons-en, justement ! s'exclama-t-elle, en enfonçant son index dans la chemise de monsieur Florentin. Ce démon, qui vous a attaqué... vous ne m'avez toujours pas dit de qui il s'agissait !
Du coin de l'œil, elle aperçut mademoiselle Aliénor, en train de tirer Lord Abiscon par la manche tout en lui faisant signe de sortir. Mmh...
-Tu commences à me vouvoyer, c'est mauvais signe, remarqua le Marquis.
-Évidemment ! Tu connais la situation ! J'ai besoin de plus d'informations pour pouvoir trouver un remède au sortilège dont tu es affligé !
Il grimaça en se passant une main dans les cheveux.
-Je suis tout à fait d'accord. Mais maintenant n'est pas...
-Si !
-Bon, d'accord ! s'exclama-t-il. C'est Arioch, Démon de la Vengeance ! Mon oncle nous l'a envoyé pour détruire psychologiquement ma sœur ainée ! Voilà, ça te va !?
Non. Cela ne lui allait pas. Léopoldine fronça le nez en fonçant dans la chambre à coucher. Étrangement, monsieur Florentin la suivit telle son ombre. Elle buta sur lui quand elle pivota, son grimoire à la main.
-Tu as quelque chose à son sujet là-dedans ? s'enquit-il.
-Oui. Les démons les plus dangereux y sont répertoriés. Et je t'assure qu'un fanatique de la vengeance doit y être !
Assise sur le lit, elle le laissa s'installer à ses côtés. Il passa un bras autour de sa taille pour l'attirer contre lui, afin de lire en même temps. Malheureusement, sa chevelure rousse le gênait, aussi lui dégagea-t-il la nuque du côté opposé, afin d'apercevoir les pages du grimoire. Couverte de cette fine écriture thébaine, il était obscur pour lui.
Mais terriblement claire pour elle.
Un démon aux yeux d'acier brillant la fixait.
-C'est bien Valérian, murmura Florentin tout contre son oreille.
-Mmh... oh oh... il faut une cérémonie spéciale pour se débarrasser des sortilèges d'Arioch. Regarde, s'est écrit ici, dit-elle en pointant un paragraphe particulièrement long.
-Et qu'est-ce que ça dit ?
-Ça dit... oh non...
Pâle comme un linge, elle se tourna vers le Marquis. Son visage tout près du sien, il haussa un sourcil, en attente d'une explication.
-Hé bien ? Que se passe-t-il, pour que tu sois dans un tel état ? Je te préviens, si je dois me faire eunuque, je préfère rester minuscule par intermittence.
-Quoi ? Mais non, Florentin ! Ce n'est pas le sujet. Je... vous avez tué Arioch, c'est bien cela ?
Il plissa les paupières, soudain méfiant.
-Oui...
-Tu dois m'emmener sur sa tombe.
-Sur sa... quoi !? Qu'est-ce qu'il raconte, ce livre !?
S'emparant du grimoire, il chercha à comprendre les lignes courant sur le papier. Léopoldine posa une main apaisante sur son avant-bras. Pourtant, elle-même ne se sentait pas très bien.
-J'ai besoin de la poudre d'os d'Arioch pour pouvoir annuler son sortilège.
Ses beaux yeux écarquillés, il la fixa... avant de s'éclaircir la gorge.
-Cela va être compliqué.
-Pourquoi ?
-Parce qu'il n'a pas de tombe.
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