Chapitre 1 : Une Fée Masculine
Une fée, oui. Mais pas avec une jolie petite robe lumineuse et fleurie, non. Paré d'un minuscule costume tout à fait aristocratique, la fée, qui était un mâle, un homme, bref, de sexe masculin, riait de son incrédulité.
Assis sur ses talons, et perché sur son genou, le malotru se gaussait ouvertement.
-Qui êtes-vous !? siffla-t-elle, sans oser bouger.
-Oh, vous verriez votre tête, mademoiselle !
Mademoiselle ? On donnait rarement du mademoiselle à Léopoldine. Plutôt du « hé, toi là-bas ! » ou du « plus vite, incompétente », ponctué parfois de « tu es une inutile ». Mais du mademoiselle, c'était du jamais vu. De la bouche d'une fée masculine, en plus.
Décidément, la soirée prenait des tournures étranges.
-Elle vaut le détour ! ajouta-t-il avec un immense sourire.
Enfin, il lui semblait immense. Car il faisait tout au plus quinze centimètres de haut. La taille d'une petite poupée pour enfant, et encore.
-Navré, je me comporte comme un rustre, toussota-t-il en se redressant sur son ménisque, pour se tenir bien droit.
Il tira vers le bas son veston, remonta le menton, l'air soudain grave. Léopoldine avait l'impression d'avoir chaviré dans un rêve éveillé.
-Florentin de Millicent, se présenta-t-il.
Hein ?
-Le fils des deux autres... Heu... Des visiteurs de tantôt ? bafouilla-t-elle, incrédule.
-Effectivement.
-Mais... Mais... Vous n'êtes pas à la bonne taille !
Mince, elle n'aurait pas dû élever la voix ! Elle regarda vers les escaliers, soudain effrayée de voir Enguerrand débarquer. Quand elle revint sur ce Florentin, il avait les bras croisés et tapait du pied sur son genou, l'air agacé.
-Merci, je suis au courant, fit-il. C'est d'ailleurs pour cela que nous cherchons un sorcier.
Oh. Cela ne l'éclairait pas plus, mais Léopoldine venait d'être rappelée à la réalité. Avec l'entretien qu'il venait d'avoir avec les Millicent, Enguerrand allait certainement monter la voir ! Dans sa chambre ! Autant dire qu'elle avait tout intérêt à ne pas traîner !
-Écoutez, monsieur Florentin, fit-elle. Je dois absolument retourner dans ma chambre. Alors je suis dans le regret de devoir vous quitter.
-Il en est hors de question.
-P... Pardon ?
Elle considéra le petit homme, qui avait l'audace de lui parlait sur ce ton. Elle n'était certes pas grand-chose dans la vie, mais ce n'était pas une petite fée faite garçon qui allait lui dicter sa conduite !
-Je viens avec vous.
Quoi !? Avec ses ailes, sa taille, et le fait qu'il était une poupée vivante !? C'était un coup à provoquer un scandale indigne de La Cuisse Dorée ! Ici, seules les tragédies sexuelles étaient ébruitées, pas les affaires tenant du surnaturel ! Surtout à Paris ! C'était un coup à finir guillotiné, pour elle ! Pour lui, ils ne trouveraient rien à sa taille. Quoique, avec un coupe-cigare.
-Bon, soit, fit-elle, devinant l'individu entêté.
Sans faire de cérémonie, elle l'attrapa, lui faisant pousser un glapissement indigné. Qui se coupa net quand il comprit son intention. Écartant largement le devant de son corsage, elle le laissa tomber dans son décolleté. Heureusement, elle ne portait pas le corset à la mode pour les galantes ! Il se logea entre ses seins, et fut complètement dissimulé par le devant sa robe une fois celui-ci réajusté. Parfait !
Elle dévala ensuite les escaliers, cherchant à ignorer la présence d'un inconnu dans son corsage. Par bonheur, les dernières marches se trouvaient non loin des cuisines. Elle put ainsi éviter les clients de la maison close, pour se précipiter au couvert de l'arrière du bâtiment. Là, les employés, essentiellement masculins ceux-là, la saluèrent, sans lui prêter trop attention. Ils avaient des petits plats à préparer pour repaître ces messieurs après leurs prouesses en chambre, et ils devaient tenir le rythme !
Léopoldine se glissa donc entre eux sans être inquiétée, pour atteindre l'escalier de service. Là, elle monta à toute vitesse, ses jupons relevés sur ses chevilles. Elle sentait le dénommé Florentin rebondir entre les globes de ses seins, et crut même entendre un juron étouffé.
Les deux étages réservés à la clientèle dépassés, ainsi que les bruits d'amour tout sauf romantiques, elle franchit celui de l'administration, pour enfin atteindre les combles. Là, entre les chambres des filles se trouvait le repaire de la jeune femme. Elle s'y précipita, et aurait crié victoire si une haute silhouette bedonnante ne s'y était pas tenue.
Les mains dans le dos, monsieur Enguerrand la considéra avec une sévérité de mauvais aloi.
-Tu as quitté ta chambre, constata-t-il, belliqueux.
-Heu...oui, fit-elle, incapable de nier l'évidence. J'étais simplement allée prendre un morceau de pain aux cuisines, j'avais faim...
-Léopoldine ! rugit-il, l'œil injecté de sang. Tu sais parfaitement que tu n'as pas le droit de quitter cette pièce quand les clients sont là !
-Je... Je sais.
-Ne m'oblige pas à t'enfermer.
-Non, je... Je suis désolée, monsieur Enguerrand. Je ne le ferai plus, promis.
-J'y compte bien.
Son pas lourd fit trembler les lattes du plancher tandis qu'il sortait, laissant la jeune femme seule. Elle poussa un immense soupir de soulagement, ses épaules s'affaissèrent. Au moins, cette fois-ci, ne l'avait-il pas giflé.
Fermant soigneusement la porte, elle alla allumer les bougies. Trois chandelles étaient disposées dans sa chambre, permettant de l'éclairer de façon égale. Dans un coin, près de l'entrée, son lit était tiré à quatre épingles. Sous la fenêtre des toits, son bureau était recouvert de liasses de papiers, de livres épais et anciens. De l'autre... Oh, fichtre ! Florentin !
Elle écarta le tissu de son corsage. Le petit homme fit surface en prenant une grande goulée d'air, tel un noyé. Émergeant d'entre ses seins, il s'appuya sur le rebord de sa robe comme s'il eut s'agit d'une balustrade.
-J'ai rarement été en aussi charmante compagnie, fit-il, mais je vous avoue que j'ai failli mourir étouffé.
-Oh, je suis désolée, bafouilla-t-elle en l'aidant à s'extraire de sa tenue.
-Désolée de quoi ? D'avoir une poitrine généreuse ? C'est le genre de chose dont une femme devrait s'enorgueillir, pas se désoler.
Il voleta à hauteur de ses yeux, tout en haussant un sourcil. Déconcertée de se faire complimenter ainsi par une miniature de personne, Léopoldine toussota.
-Passons. Je n'aime pas parler de mes mensurations avec un inconnu.
-Oh, voyons, rit-il. J'ai vu votre gorge de très près, nous ne sommes plus des inconnus.
-Monsieur Florentin ! Seule votre taille m'empêche de vous gifler !
-Oh, ça va. Si on ne peut même plus rire.
Les mains sur ses hanches, ses ailes de libellule irisées battant l'air frais, il avisa sa chambre. Le cheveu châtain clair, il semblait avoir des yeux d'un bleu éclatant en plus de dents particulièrement blanches. Enfin, vu sa taille, la jeune femme avait bien du mal à se faire une idée de sa beauté.
-Vous êtes une prostituée ? demanda-t-il.
Question légitime en pareil lieu.
-Je ne vois pas en quoi cela vous concerne, monsieur Florentin.
-Bon. Commençons par le commencement, voulez-vous ? bougonna-t-il en se posant sur l'un des livres. Quel est votre nom ?
Elle prit place sur la chaise, avec un petit soupir. La nuit allait être longue, elle le sentait. La lueur de la lune se déversait dans la chambre par la fenêtre du toit, rivalisant avec la lumière des chandelles.
-Léopoldine.
-Léop... Oh mon dieu ! Qui a donc bien pu vous affubler d'un prénom aussi laid !?
-Hé ! Je ne vous permets pas ! C'est peut-être moche, mais c'est mon nom !
-Tout de même, vos parents sont des êtres bien cruels.
-De la part d'une fée qui est un homme et qui se prétend le fils des Millicent, je trouve ça limite.
-Vous l'avez mal pris, c'est ça ?
-À votre avis ?
Il se pinça l'arête du nez, visiblement mécontent. Qu'il était étrange de voir un si petit homme avec de tels gestes ! Léopoldine l'observa, amusée malgré elle.
-Bon, je m'excuse. Depuis mon changement de taille, je perds mes bonnes manières. Voyez-vous, il est assez frustrant de se retrouver à quinze centimètres de hauteur quand on culmine normalement à un mètre quatre-vingt.
Oh. Effectivement, il ne voyait plus du tout le monde sous le même angle.
-Que vous est-il arrivé ? s'enquit-elle.
Florentin la détailla, avant de s'asseoir sur le livre avec un soupir. Apparemment, ça risquait d'être long. Mais Léopoldine avait tout son temps. Contrairement aux autres filles de La Cuisse Dorée, son travail se faisait de jour. Elle était donc, en cet instant, de repos.
-Un individu a tenté de tuer ma sœur aînée. Je me suis interposé, et son sortilège a dû faire interférence avec ma nature féerique. De fait, je ne suis pas mort. Mais je suis minuscule.
-Une interférence ? Mais ce sort était destiné à votre sœur, non ? Si c'était pour la tuer, il devait connaître sa nature de fée.
-Hein ? Oh, non, ma sœur est une lycanthrope.
C'était quoi cette famille ?
-Ha. Je comprends mieux pourquoi il y a eu une altération du sortilège quand il est entré en contact avec vous, dans ce cas. Vous devriez aller voir le responsable de votre état. Il est le seul susceptible de...
-Il est mort, la coupa Florentin. Tué par mon futur beau-frère en colère.
-Elle est compliquée, votre histoire.
-Je ne vous le fais pas dire.
Il y eut un moment de silence. Léopoldine se renversa sur sa chaise, pour contempler la lune par la petite fenêtre. Un sentiment de paix l'envahit. Elle adorait la lune. Être sous ses rayons l'apaisait toujours.
-Or, ajouta Florentin, ma sœur aînée va se marier sous peu. Et il est hors de question que j'assiste au mariage en l'état.
Elle baissa de nouveau les yeux sur lui. Il paressait caractériel, soudain.
-Mademoiselle Léopoldine, je sais que vous est une sorcière.
-Allons bon. Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
-Ça.
Il pointa du doigt l'autre côté de sa chambre. Un sourire crispé figea les lèvres de la jeune femme. Fichtre. Effectivement, entre le chevalet soutenant un lourd grimoire et la marmite pleine d'un liquide fluorescent et bouillonnant, elle aurait bien du mal à mentir.
-Je...
La porte de la chambre s'ouvrit à la volée, les faisant sursauter de concert. Ciara se tenait sur le seuil, dans un corset rouge mettant en valeur la carnation de sa peau ainsi que sa blondeur. Sans parler de sa poitrine à assommer un adversaire. Mais là, en plus de ses longues jambes chaussées de bottines, elle avait des crocs et des yeux rouges sang. Oh oh...
-Fée ! siffla-t-elle en se jetant en avant.
Léopoldine poussa un glapissement en plongeant de côté. Ciara s'écrasa sur le bureau, tandis que son petit invité s'envolait vers le plafond avec un juron retentissant. Mais qu'est-ce que... qu'est-ce que c'était que cette histoire, encore !?
Toutes dents dehors, la prostituée sauta pour atteindre Florentin, qui échappait à ses mains uniquement grâce à une certaine agilité. Il ne semblait pas être à son coup d'essai.
-Ciara ! s'exclama Léopoldine. Hé ! Que fais-tu !?
-Saaaang !
Sang. Sang ? Oh fichtre, sang ! Elle se souvint, pour l'avoir lu dans un grimoire, que les vampires devenaient fous en la présence des fées, car leur sang était une drogue pour eux ! Elle allait croquer Florentin telle une olive sur un bâtonnet à apéritif !
Paniquée, Léopoldine regarda autour d'elle. Ils n'y avaient qu'eux à l'étage à cette heure-ci ! Ciara avait dû monter pour prendre un peu de repos avant le prochain client, et résultat... Elle avait senti Florentin. Bon. Il n'y avait pas trente-six solutions.
Se glissant derrière son amie, elle profita de son attention détournée par la fée pour poser sa main sur l'arrière sa tête. Une phrase en langue bannie plus tard, elle s'écroulait comme une masse sur le sol, endormi. Satisfaite, la jeune femme attrapa un morceau de corde dans son placard.
-Tout va bien, monsieur Florentin ?
-Heu, oui. Et vous ?
-À merveille, confia-t-elle en ligotant son amie d'une main experte.
-Dites-moi... Vous êtes coutumière du fait ?
-Lequel ? Gérer les sautes d'humeur de mes collègues non humains ? Plutôt, oui.
Elle adressa un sourire un peu crispé à la fée, posée sur son lit. Il pencha la tête de côté, visiblement amusé. La vampire commençait déjà à ronfler. Elle la prit sous les aisselles, pour la traîner jusqu'à sa chambre. Par bonheur, c'était la porte juste à côté.
-Vous allez encore tenter de me faire croire que vous n'êtes pas une sorcière ?
Léopoldine glissa un coussin sous la tête de Ciara installée sur son propre sol, puis la drapa d'une couverture. C'était peut-être une morte-vivante, mais elle ne méritait pas de mourir de froid. Cela fait, elle épousseta ses mains sur sa longue robe d'un vert terne.
-Non. Je suis bien la personne que vos parents recherchent. Mais dites-moi... comment avez-vous eu vent de mon existence ?
Florentin haussa les épaules.
-Une connaissance de mes parents. Une certaine Berthe vous a recommandée, puisqu'elle-même n'est plus en âge de faire usage de son art.
Oh, Berthe. Elles avaient travaillé ensemble, effectivement. Ou plutôt, la vieille magicienne lui avait enseigné les rudiments de la magie. Elle lui devait beaucoup. Par contre, elle était loin de ne plus pouvoir faire de la sorcellerie. Pourquoi diable avait-elle renvoyé les Millicent sur elle ?
-Mmh, je vois. Je vais vous aider.
-Oh. Cette petite altercation vous a fait changer d'avis ?
-Vous êtes au plus bas de la chaîne alimentaire, monsieur Florentin. Je ne peux décemment pas vous laisser dans cet état.
Elle alla chercher son grimoire, qu'elle revint poser sur son lit. Là, elle s'allongea de tout son long, bientôt suivie de la fée. Assis en tailleur contre son coude, il lisait lui aussi. Enfin... Du moins il tenta de déchiffrer l'écriture compliquée.
-Quelle est cette langue ?
-C'est du Thébain. Nous autre sorcière l'utilisons, afin d'empêcher les non-initiés d'utiliser notre savoir.
Il leva ses yeux bleus sur elle. Ainsi, elle le voyait de très près. Il semblait moins jeune qu'au premier abord.
-Vous avez peur d'être détrônées par de simples humains ?
-Non. C'est surtout qu'au moindre faux pas, un sortilège peut faire sauter une maison au lieu d'allumer le foyer.
Cela lui coupa la musette. Il se contenta donc d'observer l'écriture runique, tandis qu'elle lisait les titres. Non... Guérir l'eczéma, les cors au pied, une crise de foi, la jaunisse, une appendicite... Non, ce n'était pas là. Elle devait aller dans la catégorie des inversement de sortilèges.
Elle alla presque à la fin du livre. Ici, les entêtes étaient bien différents : comment faire disparaître une queue de lézard, se débarrasser de la malédiction d'une méchante fée, vaincre les lutins des bois un jour de pleine lune... Ha ! Annuler l'effet d'un sortilège ! Parfait !
-Alors... ouh, ça demande quelques ingrédients... mmh... c'est impossible. Je vais d'abord devoir aller faire des courses sur le marché, déclara-t-elle en fermant le grimoire.
-Quoi !?
-Oh, ne boudez pas, monsieur Florentin. Vous n'êtes pas à une demi-journée prés, si ?
-C'est que... oh, et puis zut. Puis-je dormir ici ?
La question la prit par surprise. Elle considéra le petit homme, qui lui fit un sourire charmeur.
-Et vos parents ?
-Dites-moi, vous me prenez pour un enfant ou quoi ?
-Heu... votre âge est difficile à déterminer.
Il éclata de rire. Même ainsi, le son grave avait quelque chose de séduisant. Elle aurait cru, en raison de sa taille, qu'il serait doté d'une voix fluette. Mais les légendes avaient tort sur ce point. Et puis, il n'était pas en robe évanescente non plus.
-Mademoiselle Léopoldine, je suis largement majeur.
-Vous êtes tout de même jeune.
-Un Millicent est plus mature que la moyenne, rétorqua-t-il en se relevant. Nécessité fait loi.
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