Chapitre 17 : Pleine Lune


-Courrez ! Vite ! Que tout le monde rentre dans le village !

Les rugissements de Nergal couvraient le vacarme ambiant, en dépit du chaos. Tous les habitants et réfugiés se précipitaient le long de la pente, pour rejoindre la sécurité toute relative des remparts. Sans que quiconque ne sache, en définitive, pourquoi il y avait une telle urgence. Bathin était mort. Ils avaient récupéré l'épée. Quant à Lucifer... Depuis la chute de Barbatos, Silke n'avait pas eu le temps d'en voir plus. Le démon les évacuait à toute vitesse, reflet même d'une anxiété proche de la panique.

En queue de fil, Svenn et elle courraient à toute vitesse, laissant les corps des morts derrière eux. Alastor ? Pas de signe de vie. Lorsque l'ange était tombé, il avait poussé un rugissement. De colère ? De douleur ? Les deux ? Silke n'aurait su le dire.

A ce moment-là, Cassandra et Blanche avaient surgit de nulle part, harnachées pour la guerre, couvertes du sang de leurs ennemis. On lui avait ordonné, à elle, de protéger le village, quoi qu'il arrive. Quelle que soit la menace.

-On y est presque ! Haleta-t-elle, en raison de la pente escarpée. Svenn ? Tout va bi...

Le jeune loup venait de s'écrouler avec un cri de souffrance une flèche en travers de l'épaule. Stupéfaite, elle voulut se précipiter pour lui porter secours, mais une main la tira en arrière.

-Rentre tout de suite ! Lui ordonna Fergus sans même la regarder. Je m'occupe de lui !

-Non ! Hors de question que je...

-On ne te demande pas ton avis ! Siffla un double de Nergal, en la soulevant de force.

Il n'avait encore jamais usé de force contre elle. Sidérée, la Némésis en oublia un instant de protester. Mais il était trop tard. Svenn était à genoux, la pointe de la flèche pointant devant lui. Pour autant, il ne semblait pas s'en apercevoir. Tout ce qu'il voyait, c'était le ciel. Le cœur serré, Silke suivit son regard. Là-haut, des nuages s'amoncelaient à toute vitesse, voilant en un clin d'œil la lune, haute et ronde.

La... Pleine lune.

Elle baissa aussitôt les yeux sur Svenn. Il ne parut pas la voir. Ses iris étaient voilés par la souffrance, à tel point qu'il ne semblait plus savoir où il se trouvait. Nergal la tira à l'intérieur des remparts. Elle se jeta aussitôt en avant, pour lui venir en aide, en dépit de la présence du Ferguson. Mais les portes d'Exil se refermèrent brutalement entre eux. La seconde suivante, un rugissement inhumain déchirait la nuit, faisant trembler le bois sous ses mains.

*

Barbatos avait bien peu de regrets dans la vie. Il avait toujours agit selon une ligne de conduite qui lui semblait bonne. Certes, lors de son exil du Paradis, il avait attrapé un mauvais caractère. Voir même, il était imbuvable. Mais il avait toujours fait en sorte de ne rien regretter. Il avait épousé la cause d'Alastor et de Nergal. Il avait rencontré Cassandra, Blanche, ainsi que les jeunes. Il avait redécouvert les Némésis. Il avait décidé de se battre pour eux. D'arracher leurs âmes aux griffes de Lucifer.

Il avait échoué.

Il s'en rendait compte, en chutant inexorablement. Le vent sifflait à ses oreilles, l'empêchant d'entendre quoi que ce soit. Son corps, incapable de bouger, l'entraînait vers le sol, tandis que le sortilège gravé dans son dos se propageait en lui, infestant ses veines, ses muscles, inondant les moindres recoins de son cerveau de Séraphin. Un cerveau pas assez efficace.

Car s'il l'avait été assez, il n'aurait pas connu ces regrets. Celui de l'échec. De savoir que tout était perdu. De ne pas avoir eu le courage de confesser à Hell ses sentiments. Il s'en était aperçu un peu tard. Néanmoins, il l'aimait. Paradoxale, non ? Comme quoi, il n'y avait qu'un pas entre l'amour et la haine...

Il toucha terre. Ou plutôt, il tomba en plein milieu du champ de bataille, creusant un cratère sous la violence de l'impact. Il ne le sentit même pas. Un nuage de poussière l'enveloppa, le laissant comme seul parmi les soldats stupéfaits. Comprendrait-elle ? Hell... Comprendrait-elle ce qu'il avait été incapable de dire ? Il l'espérait. Car ses derniers instants en tant que vivant ne seraient pas bien flamboyants. Il laisserait un goût amer à tous les êtres de sa connaissance.

Oh, Dieu, songea-t-il. Ne pouvait-on pas lui épargner la honte d'être vue par son aimée ?

Non. Apparemment, le Créateur, dans son infini désir de lui pourrir son restant de vie, en avait décidé autrement. Il apprécia de voir le beau visage de la rousse, au milieu de la poussière. Déjà, cette dernière se déposait autour d'eux. Elle lui parla. Ça, il le savait. Mais il était incapable de comprendre, ni même de répondre. Elle était belle. Inquiète, mais belle. Comment avait-il pu perdre autant de temps ? Comment avait-il pu gâcher ces instants ? S'il avait compris plus tôt...

Puis il réalisa ce qui se passait. Une décharge d'adrénaline envahit son corps, née du désespoir. Ses sens s'abattirent sur lui brutalement, tandis qu'il attrapait Hell par les épaules, son instinct de protection prenant le pas sur tout le reste. Sur l'incendie dans ses veines.

-Pars ! Rugit-il, lui coupant la parole. Pars d'ici, tout de suite !

-Quoi... Quoi ? Balbutia-t-elle, sans comprendre. On doit te ramener en sécurité au village... Bathin est décédé, le sortilège de mort qui pesait sur toi est rompu ! Tu...

Le séraphin regarda autour de lui, de plus en plus affolé. Alastor ? Où se trouvait donc Alastor !?

-Bathin n'est pas le responsable ! Je m'en suis aperçu trop tard !

-Hein ?

Le cœur battant à cent à l'heure, il contempla le visage de la métamorphe. Belle -nue?-, elle semblait sur le point de l'étrangler. Elle n'appréciait guère les devinettes, il avait oublié.

-Lucifer m'a tatoué un sortilège lors de mon emprisonnement ! Rugit-il. Avant que je ne retrouve mes pouvoirs ! Alors dégage d'ici, Hell ! Sinon je risque de...

-Hell, dis-tu ?

Lucifer se posa juste derrière la métamorphe, ses ailes de magie noire rabattues dans son dos. Le Séraphin n'eut pas le temps de la sauver. Il était trop tard. Car le Déchu saisit la nuque de Hell, tout en lui ordonnant :

-Ne bouge pas, Barbatos.

*

Sentir les griffes empoisonnées de Lucifer contre sa peau ne fut pas la chose qui choqua le plus Hell. Non, ce fut de voir le Séraphin lui obéir. Devenir aussi immobile qu'une statue, en dépit de ses poings serrés à s'en planter les ongles dans les paumes, jusqu'au sang. Sa fureur n'égalait que le désespoir qu'elle pouvait lire sur son visage.

-B... Barbatos ?

-Oui... Hell Ferguson... Bathin m'a parlé de toi. La dernière fille en date qu'ait culbuté notre Séraphin, susurra Lucifer. Tu tombes sacrément bien, ma belle...

Le timbre emplit d'une supériorité sans nom du Déchu lui glaça le sang. Elle l'avait déjà vu, sur les champs de bataille, au cours de ces derniers siècles. Elle l'avait pourchassé, pour venger la mort de sa sœur. La haine qu'elle lui avait alors vouée avait été sa ligne de conduite. Puis ils avaient retrouvé Blanche. Elle leur avait demandé d'abandonner leurs projets de vengeance.

Mais jamais, au grand jamais, elle n'aurait imaginé qu'une telle aura de puissance enveloppait cet être. A présent, elle comprenait la terreur qu'il était capable d'inspirer.

-Laisse la tranquille, Lucifer. Elle n'a rien à voir avec ça.

En dépit de ces paroles, Barbatos ne bougea pas. Hell était complètement perdue. Il se jouait une chose importante, en cet instant. Elle le savait, elle le sentait. Mais elle était incapable de savoir de quoi il s'agissait.

Tout autour d'eux, les combats avaient cessé. Pour une raison inexplicable, chaque partie courait vers son camp, vidant l'espace autour d'eux. Tels des rats fuyant un incendie.

-Rien à voir ? Railla Lucifer. Ai-je besoin d'une bonne raison pour vouloir torturer ton esprit ? Non. Mais tu viens de m'en donner une bonne.

Le souffle du Déchu effleura son oreille, lui glaçant le sang. Elle devait réagir. Faire quelque chose, bon sang de bonsoir ! Elle n'était pas bloquée comme Barbatos, elle allait... Ses flammes moururent sur son corps, incapables de se propager, incapables de lui donner sa forme létale. A cet instant, l'affolement la gagna.

-Tu me crois incapable de te bloquer sous ton apparence la plus inoffensive, petite Ferguson !? Railla Lucifer.

Non... Non ! Son cœur manqua un battement lorsqu'elle fit une nouvelle tentative, infructueuse. Et pendant tout ce temps, Barbatos la fixait, au désespoir, incapable d'intervenir. Leurs regards se croisèrent. En cet instant, Hell y lut un milliers de choses, des non-dits, des excuses, des promesses, des regrets. Le temps parut se suspendre, alors qu'un sentiment brûlant éclatait dans sa poitrine. Puis le réel la rattrapa.

-Bien... Passons aux choses sérieuses, Séraphin. Nous avons un village à détruire après ça. Tues-la.

L'ange leva alors son épée de cristal, ses yeux d'un bleu irréel paraissant implorer le ciel, ou n'importe qui d'autre, d'intervenir. Hell tenta de se dégager, mais la poigne de Lucifer était trop forte.

Rien n'empêcha la lame de s'abattre sur elle.


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Tags: #paranormal