Chapitre 12 : Un Poulet à la Broche
Hell ne chercha pas à s'empêcher de hurler, en voyant l'épée s'enfoncer dans le torse de son amant. Elle ne fut peut-être pas la seule. Mais elle n'eut pas l'occasion de s'en souvenir. Car une colonne de lumière jaillit du sol, balayant la silhouette de Barbatos. La puissance de cette vague de pouvoir provoqua une bourrasque sur tout le monde, anges compris. Ses cheveux lui fouettèrent le visage, blessant ses joues. Soufflée, elle écarquilla les yeux, incapable de les détourner. Aussi soudainement qu'elle était apparue, la colonne de lumière s'évanouit. A aucun moment Métatron n'avait cessé de sourire.
Pas même lorsque le corps de Barbatos réapparut. A genoux sur le sol, il était appuyé sur ses bras, l'épée devant lui, ensanglantée. Vivant ! Il était vivant ! Par quel miracle !? Comment était-ce possible ? Attendez... Il avait changé.
De long cheveux blonds balayaient les débris des pavés, et... Des ailes ornaient son dos. Six. Trois paires d'ailes. Trois paires d'ailes bougeaient lentement, rattachées à lui. Lui faisant lui rappeler les cicatrices, de part et d'autre de la colonne vertébrale de l'ange déchu. Déchu ? Vraiment ? Etait-ce vraiment le cas ?
Puis il prit une inspiration. Il s'assit sur ses talons, avec une lenteur née de la stupéfaction. Il ouvrit les yeux.
A cet instant, en croisant ces iris d'un bleu irréel, Hell prit conscience d'un changement de la texture de l'air même. Comme s'il était chargé d'un pouvoir jusqu'alors absent, plein d'une électricité propre à détruire toute chose sur terre. Plus d'une personne fit un pas en arrière. Anges comprit.
Par tous les dieux... C'était... La véritable forme de Barbatos ? Ce qu'il était avant de tomber des cieux ?
-Bon retour parmi nous, mon ami, fit Métatron.
Sans répondre, il se remit sur pied. Une lueur dorée semblait irradier de tout son corps, drapé de ses longs cheveux blonds, pareils à des fils d'or. Sa musculature n'avait pas changée, pourtant, en cet instant, il ne semblait plus appartenir à ce monde.
Il était un enfant du Créateur, fait pour vivre parmi les Divins.
Jusqu'à ce qu'il ouvre la bouche.
- « Bon retour » ? Bon retour !? Tu te fous de ma gueule, espèce d'emplumé de bas étage !?
Il empoigna Métatron par le devant de sa tenue immaculée, trop vite, cette fois-ci, pour que le Séraphin puisse lui échapper. Dans les cieux, la lumière divine était soudain voilée par d'épais nuages, chargés de tonnerre.
-Tu as retrouvé tes pouvoirs.
-Encore eu-il fallu que je les veuille ! Rugit Barbatos. Si vous aviez besoin de mon aide, vous n'aviez qu'à la demander, au lieu d'agir comme une bande d'abrutis !
-C'est un cas de force majeure ! Et tu ne nous aurais jamais écoutés !
-J'en ai déjà fait, des missions pour ta sale gueule !
-Tu veux que je reprenne tes pouvoirs !? tonna Métatron en perdant un peu de sa superbe.
Barbatos eut un ricanement tout sauf angélique. Tout à fait propre à sa personnalité défaillante.
-Ben vas-y. Oh, mais... Si tu t'es donné la peine de descendre ton cul maigrelet, c'est qu'il faut que je les ai, non ?
Métatron se dégagea de sa poigne, sourcils froncés. De toute son existence, Hell n'aurait jamais cru rencontrer cet être. Et encore moins le voir dans un tel état d'énervement exaspéré. Il ne pouvait pas supporter Barbatos, c'était une évidence. D'un autre coté, qui le pouvait ?
-Le Créateur t'ordonne de nous aider.
-Il m'a privé de mes pouvoirs.
-Il vient de te les rendre.
-Pourquoi ? gronda l'ancien déchu.
-Nous ne pouvons pas en parler devant des démons.
Barbatos jeta un coup d'œil à Alastor et Nergal, complètement dépassés par la situation. Il haussa les épaules.
-Soit. Mais nous n'allons pas au Paradis.
-Tu oses vouloir me faire rester sur cette Terre !?
-Tu n'imagines même pas le nombre de péchés que j'ai accomplis depuis ma chute, ricana-t-il. Tu veux vraiment me voir retourner là-haut ?
Métatron eut un air horrifié.
-C'est bien ce que je pensais. Et puis, je n'ai aucune envie de voir le Vieux.
-Tu parles du Créateur !
-Tu vois, même toi tu l'as identifié. Hé. Remballe tes chevaliers du zodiaque. Si je les vois encore traîner ici quand je reviens, je me fais du poulet à la broche.
En une minute, il n'y eut plus personne. Plus de Barbatos. Plus de Métatron. Plus de lumière, de tonnerre, de nuages. Tout avait disparu, donnant l'impression que rien ne s'était passé. Comme si on ne venait pas de rendre ses ailes à un Déchu, comme si le plus puissant des anges ne venait pas de demander son aide à son ancien ennemi.
Dépassée, Hell sursauta quand son frère posa une main sur son épaule. Alastor aussi se trouvait là, alors que, plus loin, Nergal s'occupait de Silke, Svenn et Blanche.
-Tout va bien ?
-Heu... Je... Oui.
Elle avait trop de questions en tête pour pouvoir en formuler une seule. Elle était... Désorientée. Balayée par une tempête.
-En tous cas, soupira Alastor, si les casse-pieds d'en haut sont venus trouver Barbatos, c'est que les choses vont très mal. Nous devons nous préparer au pire.
Par tous les dieux. Que pouvait bien leur réserver l'avenir ?
*
Voilà des siècles qu'il n'avait plus discuté de la sorte. Installé en tailleur, à des kilomètres au-dessus du sol, il battait à peine des ailes pour se maintenir dans sa posture. Six ailes. Il les avait toutes retrouvées ! Depuis ces décennies passées tel un invalide, amputé de tout ce qui faisait de lui un Séraphin, il avait l'impression de ne plus être dans son corps. D'être un autre.
Mais certainement pas d'être redevenu celui qu'il fut, jadis.
-Comment as-tu pu devenir un être aussi grossier ? Marmonnait Métatron, debout, occupé à faire des allers-retours dans les airs.
-Tu y as bien contribué, en me jetant du Paradis. Ça t'a fait du bien ? De me voir réduit à un moins que déchu, privé de la quasi-totalité de mes pouvoirs ?
Métatron eu un haussement d'épaule irrité. Barbatos serra les dents. Il ne reconnaitrait jamais sa culpabilité dans cette histoire.
-Ne soit pas vulgaire. Tu nous avais trahi.
-Tu n'as pas retrouvé la vue, depuis le temps ? Décidément, il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis.
-Ne rouvrons pas un dossier désormais clos, fit le Séraphin, visiblement exaspéré. Nous avons un problème de la plus grande importance.
Occupé à dompter ses cheveux -il n'avait plus l'habitude de les avoir aussi longs, on aurait dit une femme-, Barbatos encouragea son ennemi à continuer. Il avait tout intérêt à se les faire couper, dès son atterrissage. Il allait s'embroncher dedans, à ce rythme.
-Tu te souviens de l'archange Saint George ?
-Ouais.
-Son épée a été volée.
Pour un peu, il en aurait oublié de battre des ailes. Une blague. Ce devait être une blague. Mais Métatron ne se dérida pas d'un pouce. Sans rire !? On avait volé le vieux George !? Le pourfendeur de dragon en titre du Paradis !?
-Arrête de rire ! L'heure est grave !
-Pourquoi ?
-Sais-tu qui a volé cette épée ?
Ha. Ils en arrivaient enfin aux choses sérieuses.
-Bathin.
Un éclat de fureur s'empara de lui. Les nuages s'amoncelèrent autour d'eux, le tonnerre se mit à gronder. Mince. Il n'avait plus l'habitude de devoir juguler sa colère. Mais Bathin... Il n'avait pas encore eu le temps d'y penser. Or, il avait retrouvé ses pouvoirs. Il allait pouvoir lui faire payer ses actes au centuple.
-Efface ce mauvais sourire de ton visage, Barbatos. Si Bathin a pris l'épée, à ton avis, qui va en profiter ?
-Oh merde.
-Vulgaire.
Il se redressa dans les airs, comprenant maintenant l'agitation de Métatron. La situation était des plus mauvaises. Il commençait à percevoir les raisons de sa réhabilitation. On voulait le voir verser du sang. Encore.
-Pourquoi Lucifer aurait-il besoin de l'épée de Saint George ? Enfin, il a déjà du pouvoir. Qu'est-ce qui pourrait le conduire à...
Il s'arrêta, en comprenant brusquement. Les pièces du puzzle s'assemblèrent dans son esprit, formant un tout des plus inquiétants. L'épée, trempée dans du sang de dragon. Avec ça, on pouvait pourfendre n'importe qui. Et avec une armée de Némésis, on pouvait atteindre n'importe qui. Ou n'importe quoi.
-Lucifer va probablement profiter de la Guerre Civile pour prendre le Trône des Enfers, fit Métatron d'une voix blanche. Et alors... il sera capable de s'attaquer au Paradis.
Il étudia Barbatos, dont l'esprit fusait dans tous les sens. Pas étonnant que le Vieux lui ai rendu ses pouvoirs.
-Rien ne pourra plus l'empêcher de se présenter aux portes d'Exil, pour éradiquer tout ce que toi, et tes amis démons, avaient construit.
Non. Il ne pouvait pas laisser faire une telle chose. C'était absolument inimaginable.
-Te joins-tu à moi, mon ami ? Vas-tu m'aider à arrêter Lucifer ?
-Je t'aiderais, répondit-il sans hésiter. Mais au moindre coup fourré, je t'arrache les globes oculaires pour m'en faire un apéritif.
-Il y a toujours de la place en toi pour la rancune, n'est-ce pas ?
Barbatos eu un ricanement, vraiment fort peu angélique.
-Tu t'es vu, tête d'ampoule ? Ta seule face me donne des envies de meurtre. Et vu ton expression, c'est réciproque. Oh, quoi ? Déçu de devoir venir me lécher les bottes pour me demander un service, Métatron ?
Le Séraphin, les joues rougies par la fureur, le contempla, les poings serrés. Barbatos éclata d'un rire méchant.
-Ça doit te faire un choc que le Vieux t'ait ordonné de me réhabiliter ! Tu ne pourras plus cracher sur mon nom sans te faire griller les fesses par sa divine colère !
-Le Créateur est juste, Barbatos. S'il te fait confiance... Alors moi aussi.
-Tu ne devrais point, mon chou, susurra-t-il. Car je n'hésiterais pas à me venger.
Ils se toisèrent, toutes leurs vieilles rancunes les séparant définitivement. Or, pour la première fois depuis des siècles, il était en capacité d'exécuter ses menaces. Oh, pas maintenant. Plus tard. Un jour. Pour lors...
Le Déchu était capable de semer le chaos dans les enfers, la terre, et le paradis, tout cela pour se venger et prendre le pouvoir. Si une telle chose arrivait... Il n'osait pas imaginer la souffrance que les mondes subiraient.
-Je dois retourner en bas. Je vais avoir bien des choses à faire, pour protéger le village. Ne viens pas me casser les pieds pour des broutilles, du genre : une harpie est devant les portes du Paradis, pourrais-tu la descendre, s'il te plaît ?
Il lui avait déjà fait le coup. Autant dire qu'il n'avait pas apprécié sa réponse de nouveau déchu, à l'époque. C'était bon, de pouvoir blasphémer !
-Je vois. Ah, au fait...Tu en as conscience, n'est-ce ? Ton tatouage... Tu vas devoir régler le problème. Et vite.
Barbatos se détourna, prêt à plonger à pic vers le sol pour rejoindre Exil. Pour rejoindre les siens.
-Ne t'avise pas de fourrer ton nez dans cette histoire, Métatron.
-Loin de moi l'idée de t'aider, grinça le Séraphin.
-Tu peux crever la bouche ouverte toi aussi, mon poulet.
*
-Mais laisse-moi parler, enfin !
-Non, non, non et non !
-Holly, je t'en prie...
-Non, c'est non ! Explosa la vampire, dans l'enceinte de sa maison.
Ils venaient tout juste de se remettre de l'attaque des anges, ses enfants traînaient dans les rues pour se rassurer avec leurs amis, et elle, elle se retrouvait avec un pot de colle ! Après s'être retrouvée avec, au comble de la honte !, un homme qui n'était pas son mari dans son lit, elle avait eu droit à un réveil catastrophique. Or, désormais, Morténe semblait bien disposé à discuter avec elle de leurs coït particulièrement sauvage, vu l'état de sa maison !
Sauf que non ! Elle avait eu sa dose de catastrophes pour la journée ! Elle n'allait pas en plus se rajouter une histoire de cœur là-dessus ! Ou une histoire de sexe, plutôt.
-J'ai des enfants, Morténe, siffla-t-elle en pivotant vers lui. Alors je suis peut être veuve depuis peu, je peux être vulnérable pour vous, je suis peut être une femme facile vu ce que nous avons fait, mais je refuse d'être une mauvaise mère ! Disparaissez de mon lit et de ma vie !
Elle repoussa cet homme au corps d'athlète, d'espèce non identifié par ailleurs, dont l'air piteux lui aurait presque fait peine. Il était sur le pallier, lorsqu'il s'agenouilla devant elle.
-Holly ! Je t'en prie, écoute moi ! Je t'aime...
-C'est ce que mon mari me disait aussi avant de cocufier, cingla-t-elle en claquant la porte.
Puis elle se ravisa, l'ouvrit de nouveau.
-Et ne vous avisez plus de me tutoyer. M'avoir vu nue ne vous en donne pas le droit.
*
C'était hors du temps. Complètement irréel. Jamais, de toute l'histoire connue du monde de l'Invisible, un ange n'avait pu retourner au ciel. Encore moins un ange qui n'en avait pas envie.
A cause de cet état des choses, Hell ne cessait de se poser des centaines de questions. Dont la première était :
-Pourquoi a-t-il été déchu ?
Le créateur n'aurait jamais réhabilité un monstre tel que Lucifer. Or, Barbatos n'était pas non plus en odeur de sainteté. Alors qu'est-ce qui changeait ? Occupé à affûter l'une de ses épées, sur le pouf du salon, Nergal haussa un sourcil.
-En quoi ça t'intéresse ? Demanda-t-il calmement, sans s'interrompre dans sa tâche.
-Tout le monde doit se poser la question !
-C'est un sujet épineux. Tu devras le lui demander directement.
-Tu m'es d'une aide, beau-frère...
A ce qualificatif, il eut un grand sourire niais, en toute inadéquation avec son activité. Dire qu'elle sympathisait avec des démons. Le monde ne tournait vraiment pas rond, en ce moment. Elle avait même couché avec l'un de ses pires ennemis, à plusieurs reprises, en plus. A cette pensée, elle se demanda si ses joues n'étaient pas devenues cramoisies. Elle avait honte, mais elle avait beaucoup de mal à regretter ce temps passé entre les draps de Barbatos. D'autant qu'ils ne pourraient plus se permettre une telle chose.
-Tu seras là, à notre mariage ?
-Bien entendu ! Je ne raterais ça pour rien au monde ! Mais, hé... Ne change pas de sujet ! Comment était Barbatos avant ?
-Bon sang, tu me fatigues. Il était coincé, casse-pied, mal dans sa peau et dévoué totalement à une bande de lopettes à plumes ! Ça te va !?
Hell éclata de rire. Ça, c'était de la description ! Pourtant, cela s'acheva dans un gargouillis incompréhensible, lorsqu'un pouvoir gigantesque parut écraser l'atmosphère. Nergal, lui, sourit en posant son épée.
-Notre ange est de retour.
Sans rire ? Je n'aurais jamais deviné ! Songea-t-elle, ironique. Dans la rue, elle découvrit l'ange, déjà environné d'une nuée de personnes. Auréolé d'une lueur dorée, il adressa un coup d'œil exaspéré à tout le monde, avant de foncer droit sur Alastor, et une autre version de Nergal. Tout en leur parlant, il se fit une queue de cheval, tirant ses longs cheveux blonds en arrière. Une cascade d'or... Toujours torse nu, il arborait ce tatouage si étrange. Et surtout, il n'y avait plus de cicatrices, sur son dos dépourvu d'ailes.
-Tu es à deux doigts de baver, petite Hell.
-Hein ?
A sa grande surprise, ce n'était pas Nergal qui venait de parler, en dépit de son sourire ricaneur. Non, c'était Blanche, dont l'expression ne valait pas mieux. Bon sang... Elle ne bavait pas ! Elle flippait carrément ! Cette version-là de Barbatos avait quelque chose de bizarre. De... D'inabordable. Il dégageait de la lumière, bon sang !
-Je vais rentrer voir le Clan, lâcha-t-elle finalement. Je ne pense pas qu'il ait encore besoin de moi.
Sous cette forme, le sortilège qui le faisait souffrir tel un damné, à la tombée de la nuit, devait être inopérant. Un être divin ne pouvait être infligé d'une telle chose. Ce qui signifiait la fin de leur relation déplacée. D'ailleurs, elle ne comprenait toujours pas pourquoi il lui avait sauté dessus, la première fois.
-Tu fuis ton ange non déchu ? Lança sa sœur, en se tournant vers la source de son problème.
-Je ne fuis pas, Blanche. Et ce n'est pas « mon » ange. Tu connais la réputation de coureur de jupons de Barbatos.
-Comment tu as fait pour coucher avec lui ? Vous ne pouvez pas vous supporter.
-JE SAIS ! Explosa-t-elle, attirant sans faire exprès l'attention du trio, un peu plus loin, à son grand damne. Et puis merde ! Je pars maintenant. Tu diras à Fergus où je suis.
Elle en avait ras le pompon, de cette histoire ! Barbatos était un Séraphin ? Il avait toutes ses ailes ? Grand bien lui fasse ! Maintenant, elle n'avait plus à être impliquée avec cette tête de mule sans nom ! Elle allait même lui envoyer des fleurs de remerciement, pour mettre fin à tout ça. Des chrysanthèmes, ce serait très bien.
Hell ronchonnait encore en sautant par-dessus le bord de la falaise d'Exil. Elle n'y reviendrait que pour le mariage de sa sœur, dans ce fichu village !
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