Chapitre 1 : Une Volaille Avariée


La nuit tombait déjà lorsque Barbatos posa le pied sur le promontoire rocheux. Épuisé, il se serait laissé tomber par terre, si cette garce de Hell ne venait pas d'atterrir près de lui. Essoufflés tous les deux, ils avaient décidé de rejoindre la porte démoniaque suivante, mais les ténèbres les avaient contraints de s'arrêter. Si jamais Bathin c'était aperçu de la destruction de son château et de sa disparition à lui, il allait forcement faire garder la première des portes. Or, là, il était vraiment trop épuisé pour se crêper le chignon avec des démons, ou même franchir le voile séparant les Enfers de la Terre. Une vraie lavette.

-Mmh... fit la métamorphe en s'étirant, toujours aussi nue. Je n'avais pas pris mon autre forme depuis longtemps ! Ça fait un bien fou !

La rousse n'avait décidément pas froid aux yeux. Ses seins ronds exposés à la vue de tous, elle paressait parfaitement à l'aise en lui passant devant, pour s'enfoncer dans la grotte. Ses fesses aussi étaient un appel à la débauche, pourtant, il eut un frisson de dégoût. Plutôt mourir que de coucher avec elle. Ils se détestaient !

-Tu peux me dire pourquoi tu es venue ici ? Demanda-t-il, de mauvais poil.

-Pour t'aider.

Il la suivit, en habitué des lieux. Il s'agissait d'une de ses retraites courantes dans les Enfers. Uniquement accessible par les airs, elle éliminait déjà un certain nombre de nuisibles susceptibles de venir le déranger. Néanmoins, il n'aurait jamais pensé se retrouver avec cette garce de Hell ici. Surtout maintenant !

-C'est complètement idiot de venir seule et à poil, lança-t-il en examinant l'entrée.

-Tu as vu de quoi je suis capable. Et ma nudité est une conséquence de la transformation.

-Ha, tu n'es pas juste exhibitionniste, alors ?

-Tu es stupide, tu sais ?

-C'est un de mes traits de caractère favoris. En leur temps, les bardes composaient des chansons dessus.

-Des chansons à boire, certainement.

-Y a pas de mal à ça.

Il soupira, perclus de fatigue. Il était plus que l'heure de se reposer. Tapant du pied, il fit jaillir du sol de la grotte une série de cristaux bruts, qui vinrent barrer l'entrée. Voilà. Ainsi, ils étaient en sécurité pour la nuit. Rien n'était plus solide qu'un bon vieux cristal !

En se retournant, il aperçut l'air quelque peu surpris de Hell. Ha, ouais. Ce n'était pas le genre de chose que l'on faisait couramment. Mais ce n'était rien comparé à ce dont il était capable, d'habitude. D'habitude, hein ?

Barbatos poussa un soupir en s'écroulant dans un coin de la grotte. Sa notion du temps passé lui jouait des tours. Son « d'habitude » était devenu « autrefois » depuis longtemps. Quelle plaie. Bathin avait réveillé de vieilles rancœurs en lui, en le traitant de Séraphin.

-Tiens, prends ma chemise, fit-il en lançant le vêtement à Hell. Tu vas tomber malade.

-Moi ? Impossible, rit-elle en l'enfilant néanmoins.

Il garda le silence. A moitié vêtue, Hell observa les lieux, tout simplement de pierre brute, et de cristaux pour la porte. Finalement, elle haussa les épaules, claqua des doigts. Une boule de feu se forma dans sa paume, venant éclairer le début de nuit des Enfers.

-Alors ? Tu as fait comment pour te faire avoir par un autre déchu ?

-Mmh ? Marmonna-t-il, les yeux mi-clos. Oh, il m'a téléporté dans son antre. Après, je suis tombé sous le joug d'un sortilège de type angélique. Vu ma condition, j'ai été piégé.

-Piégé ? Répéta-t-elle en laissant la boule léviter dans les airs. Non seulement tu es la lie de l'humanité, mais en plus tu es un gros naze.

Il rouvrit complètement les paupières, énervé.

-La ferme, volaille avariée ! Je ne pouvais pas tout faire : sauver Cassandra, Alastor, et mes fesses !

-Mouais. A défaut de servir à quelque chose, tu es loyal.

Il étudia la métamorphe, hésitant franchement à la passer à tabac. Mince, assez grande, elle était couronnée d'une chevelure rousse flamboyante. A l'inverse de Rika, cette Némésis complètement dingue qui les aidait à lutter contre Lucifer, dont les mèches tendaient plus vers le rouge sang. Hell avait un physique de guerrière couplée à celui d'une playmate. Mais son caractère tendait plutôt vers le fou total et le désaxé absolu. Elle l'avait quand même coulé par le fond !

-Dis-moi.... Je te hais, parce que tu es une emmerdeuse de première. Mais moi, qu'est-ce que je t'ai fait, à la base ? Je veux dire... On s'est battu dès le début, pourtant, cela ne justifiait pas de me noyer dans l'océan Atlantique.

Occupée à s'étirer, elle haussa un sourcil.

-Tu as soudain envie de parler, angelot ?

-Non, mais on a que ça à faire. Et comme je n'ai aucune envie de te sauter...

-Mouais, c'est valable. Réfléchis : un ange déchu a transformé ma sœur, que je croyais morte des mains de la même personne, en esclave durant des siècles. J'ai moi-même eu quelques déboires avec d'autres déchus. Ce qui fait de toi mon ennemi naturel.

-Ha, je comprends mieux. Non seulement tu es folle, mais en plus tu es stupide. Incapable de faire la différence entre moi et les autres.

-Tu m'as décapité, connard.

-C'était pas moi. C'était un autre.

-Par ta faute !

Il gloussa, particulièrement content de lui. Oui, il l'avait fait décapiter pour se venger. Qu'est-ce qu'il avait ri, ce jour-là ! Oups... Il évita de justesse une boule de feu, qui grésilla contre la paroi de la grotte. Complètement timbrée, cette fille !

*

Silke se jeta de côté, sans parvenir à complètement éviter l'épée. Une longue estafilade barrait désormais sa taille. Devant elle, Cassandra fit tournoyer son arme, avec un petit sourire.

-Alors, mini-Némésis ? Lança-t-elle, narquoise. On déclare forfait pour ce soir ?

Vêtue d'une robe gothique noire, bardée de cuir et de dentelle savamment travaillée, la nymphe se battait sur des talons de dix centimètres de haut. Certes, elle était la dernière gagnante en titre du Tournoi des Arènes, mais elle ne l'avait pas fait dans cette tenue. C'était dire à quel point Silke était mauvaise élève.

-Pas encore, répondit-elle, en nage.

La sueur collait ses cheveux à son front, son soutien-gorge de sport était noyé et son short ne valait pas mieux. Pourtant, elle devait continuer. Elle devait apprendre à se battre à l'épée, au lieu de tout le temps se reposer sur ses pouvoirs ! Ainsi, elle pourrait agir quelques soient les circonstances.

-Silke, ça fait déjà une heure que je t'attends.

Elle jeta un coup d'œil à Svenn. Assit sur les chaises de la classe de mademoiselle Damon, il grignotait une crêpe tout en révisant ses cours. Oui. Exil ne comportant pas un nombre grandiose d'élèves, la salle de classe se trouvait au même endroit que le gymnase d'entraînement, où elle affrontait actuellement Cassandra. Le jeune loup, aux cheveux blancs depuis seulement quelques jours, lui adressa un petit sourire.

-On rentre ?

-On habite pas au même endroit, je te rappel.

-Mais c'est bientôt l'heure du repas.

-Ce n'est pas parce que tu squattes chez moi pour manger que l'on doit rentrer ensemble.

-Moi, par contre, j'ai faim, intervint Cassandra, en posant son arme sur le râtelier. Silke, ça ne sert à rien de s'obstiner jusqu'à l'évanouissement. Dormir fait du bien.

A contre cœur, elle hocha la tête. Elle devait bien l'écouter, étant donné la force qu'elle était capable de déployer. De plus, Alastor en personne lui avait appris à se battre. Silke avait alors voulu avoir le Bourreau comme enseignant, ce à quoi elle lui avait répondu « il n'a pas été tendre avec moi, qui était déjà sa femme, alors toi, il va te réduire en charpie ». Autant dire qu'elle n'avait pas réitéré sa demande.

Svenn la raccompagna chez elle, sa haute stature la dominant malgré lui. Ils étaient redevenus comme avant. De bons amis, en dépit du fait qu'ils avaient bien faillit faire l'amour. Faillit... A chaque fois qu'elle y pensait, Silke avait des aigreurs d'estomac. Aussi évitait-elle d'y songer. Svenn, même s'il avait frôlé la mort quelques fois ces derniers temps, était égal à lui-même : souriant, râleur. Pourtant il avait refusé de s'entraîner avec elle. Elle ne comprenait pas pourquoi. Sa réponse avait été vague, aussi n'était-elle pas beaucoup plus éclairée sur le sujet.

-Oh, bonsoir, Svenn.

La Némésis leva les yeux, surprise. Ils avaient déjà atteint sa maison, où elle vivait avec Blanche et Nergal, désormais. Le couple s'entendant à merveille, ils avaient décidé d'emménager ensemble. Sur le pas de la porte, la lare, un esprit serviteur, alias sa meilleure amie, lui fit un grand sourire.

-Tu manges avec nous ? Demanda Blanche, en regardant le jeune loup.

-Non, désolé. Je suis un peu fatigué, aujourd'hui. Bonne nuit, Gothica.

En l'observant s'éloigner, Silke plissa les paupières. Fatigué ? Son œil ! Il n'avait rien fait de la journée ! Il était bizarre, ces derniers temps. De plus en plus bizarre, songea-t-elle en observant ses épaules voûtées.

*

Incapable de dormir, Hell regardait tour à tour sa boule de feu, ses pieds nus, et le mur de cristaux, bouchant la seule sortie disponible. Elle n'avait jamais vu quiconque faire jaillir du cristal d'un simple mouvement de pied. Ce n'était peut-être pas une attaque létale, mais bon sang, c'était impressionnant !

Elle reporta son attention sur l'ange déchu, assoupit à même le sol. Ce sale type était un malade mental. Pas étonnant qu'ils l'aient viré du paradis, avec ce mode de pensée ! Toujours à râler pour un oui ou pour un non, à se venger de la plus atroce des façons.

C'était un mensonge ambulant.

Les cheveux blonds, les yeux bleus, il était d'une beauté quasi parfaite, à en faire pleurer les chasseurs de tops modèles. En plus, il n'était pas taillé comme un ange. Sans muscle, sans rien. Non. Il avait la musculature d'un guerrier, sans la moindre égratignure. C'était une honte d'avoir une si belle enveloppe et d'être si pourrit de l'intérieur.

Pourquoi, mais pourquoi était-elle venue l'aider !? Peut-être pour prouver à son frère qu'elle pouvait se débrouiller toute seule ? Que désormais, elle n'avait plus besoin d'un chaperon pour s'en sortir ? Non. Franchement, elle n'avait plus rien à prouver à personne. Alors pourquoi...

L'ange s'assit soudain, haletant, le corps trempé de sueur. Hell sursauta, surtout quand il se plia en deux avec un gémissement de douleur.

-Barbatos !? S'exclama-t-elle en se précipitant vers lui. Bar...

Il la repoussa, les yeux embués par la douleur. Surprise, elle observa son visage crispé. L'ange poussa un cri de souffrance en frappant le sol, mêlé à de la rage. Il cogna, encore et encore, sans parvenir à soulager sa douleur. Son corps était comme agité de spasmes, à tel point qu'elle avait mal pour lui. Son souffle était saccadé, les veines ressortaient sur son corps, comme sous le joug d'un intense effort.

Elle ne pouvait pas le laisser dans un tel état. Elle ne savait pas ce qui ce passait, mais elle devait intervenir.

Tentant une nouvelle approche, elle posa une main sur le dos nu de l'ange. Un grand tatouage le recouvrait, fait à l'encre noire, avec quatre épaisses cicatrices : deux au-dessus, deux au-dessous du dessin. Elle ne s'appesantit par sur le sujet. Pour l'heure, il y avait bien plus grave.

En dépit de ses cris de souffrance, elle se concentrant sur ses mains. Elle détestait faire ça. C'était la quintessence de tous ses ennuis dans la vie, mais elle devait le faire. La douleur. Elle trouva la douleur en lui, partout dans son corps, d'une intensité telle qu'elle n'avait vu que chez les amputés à vif.

Hell prit une profonde inspiration, légèrement tremblante. La bouche entrouverte, les sourcils froncés, elle entreprit d'absorber la douleur. Toute cette souffrance passa par la paume de ses mains, remontant le long de ses bras, pour être transféré dans l'ensemble de son être. Cela ne lui fit pas mal. Heureusement, sinon elle l'aurait laissé souffrir dans son coin.

Les tremblements de Barbatos cessèrent petit à petit. Puis il ne resta plus que ses halètements épuisés, ses muscles tendus à l'extrême, dans l'attente d'une nouvelle phase. Il finit par parvenir à rouler sur le dos, les yeux mi-clos. Son travail finit, Hell voulut rompre le contact. Mais une chose totalement improbable se produisit : l'ange l'attrapa par le poignet... Et l'attira à lui. Les bras passés dans son dos, il se colla à elle en frissonnant, la peau brûlante.

Stupéfaite, elle attendit quelques minutes. Voyant qu'il ne la lâchait toujours pas, elle se dégagea. Ou du moins, tenta, sans jamais y parvenir. Au plus elle essayait de partir, au plus il la serrait étroitement contre lui. Un tic nerveux l'agita, elle et la boule de feu suspendue dans les airs.

Sans rire... Elle allait devoir passer la nuit collée à lui ?

*

Svenn arriva chez lui, avec l'impression d'atteindre son repaire. C'était d'ailleurs un peu le cas, puisqu'il vivait seul ici. La maison où il habitait avec ses parents, avant leur mort. Il l'avait réintégrée, maintenant qu'il était sorti du coma, en bonne santé, et que le mur qu'il avait traversé avait été réparé. Stefan ayant été exécuté, il n'y avait presque plus de risque d'attaque ici.

Songeur, il se prépara une pâte à gaufre, à moitié conscient de ses gestes. L'entraînement... Silke lui en voulait terriblement pour le déclin de son offre. Après tout ce qu'ils avaient vécu ensemble, il aurait été normal qu'il accepte de se battre contre elle, jour après jour, pour devenir plus fort. En vérité, il désirait ardemment devenir plus fort.

Mais pas avec elle. Ou plutôt, il ne pouvait pas passer des heures à se frotter à elle, avec son soutien-gorge et son mini short lui collant à la peau, en sachant qu'à un moment ou à un autre il allait y avoir un terrible contact. Et là... Là, il n'aurait juré de rien. Selon ses statistiques personnelles, il y aurait eu cent pour cent de chances pour qu'il ait une érection des plus gênantes devant témoins. Plus cinquante pour cent de chance pour qu'il embrasse Silke avec pour résultat une gifle magistrale, qu'il aurait soi-disant passant tout à fait mérité.

Résultat des courses : il se faisait l'effet d'un vieux pervers à assister aux entraînements sans y participer, parce qu'elle restait tout de même en soutien-gorge et mini short. Elle était si sexy ainsi...

Il se rendit compte trop tard de la quantité astronomique de sucre qu'il venait de verser dans son bol. Mince. Il pouvait tout refaire, à présent ! Bon... Des œufs aux plats, ce serait très bien. Il n'était pas d'humeur à perdre du temps à cuisiner.

Surtout qu'il avait encore un rendez-vous à honorer, ce soir. Oh, il n'en avait pas envie. Pas du tout, même. Pourtant, il n'avait pas le choix.

On grattait à la porte de la cuisine. Il reposa brutalement les œufs qu'il venait de sortir du tiroir. Ils explosèrent, répandant leur blanc gélatineux sur tout le plan de travail. L'appétit soudain coupé, il nettoya rapidement les dégâts, au rythme du bruit insistant. Quelle horreur. C'était lui qui avait tout fait pour se retrouver dans cette situation, lui qui était dégoûté à chaque rendez-vous.

Il prit une profonde inspiration avant d'aller ouvrir. Derrière le battant, Faith l'attendait, avec un grand sourire, les joues rougies par l'excitation. Sa robe noire dévoilait son large décolleté, offrant sa gorge.

Le ventre noué, Svenn la laissa entrer.

-Je t'ai déjà dit de venir plus tard.

-Mais j'avais tellement hâte de te voir...

-Ce n'est pas un rendez-vous galant, Faith, cingla-t-il en la plaquant contre la porte. Je t'utilise, vampire, alors ne tente pas d'inverser les rôles.

Elle lui offrit un sourire sexy à vomir. Furieux, contre elle, contre lui-même, il l'attrapa rudement par les cheveux, plongea ses crocs dans sa gorge, à la recherche de ce sang dont il avait tant besoin. Car s'il était dégoûté par la situation, il n'avait pas le choix : s'il ne buvait pas, il mourrait.

Or, il avait trop souvent frôlé la mort pour abandonner si facilement la vie.


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Tags: #paranormal