71. Chanoyu
Pdv Denki
Après dix jours entre amis, nous voici rien que tous les deux, Eiji et moi, dans ce pays qu'il découvre lui aussi, malgré qu'il y soit né et qu'il y ait vécu la majorité de sa vie.
C'est d'ailleurs pour cette raison que je lui ai demandé de me laisser organiser une sortie durant la quinzaine de jours que nous allons passer ensemble.
L'un de ses passe-temps, dont on profite tous avec délectation, c'est de préparer des thés de toutes sortes.
Il est très doué pour marier les saveurs et inventer ses propres recettes. Il adore ça, mais n'a jamais assisté à une cérémonie traditionnelle.
C'est différent de ce qu'il fait, dans le sens où elle consiste à préparer, à infuser et à servir le thé.
Il existe des festivals, mais ils ont lieu en mai et en novembre, j'ai donc opté pour la visite d'une école de la cérémonie du thé, l'Omotesenke, l'une des trois plus anciennes du Japon.
Heureusement, j'ai pu compter sur l'aide de Kat's pour la réservation parce qu'ils ne reçoivent que quatre personnes maximum par démonstration.
Finalement, il s'est arrangé pour qu'on assiste carrément à une cérémonie formelle. Il fallait aussi que nous soyons proches de Kyoto la veille afin d'assister à la première de la journée.
J'ai eu de la chance, Eiji n'a pas fait le rapprochement lorsque je lui ai demandé à quelle date nous serions dans ce secteur.
Ce n'est qu'une fois dans la rue Ogawa, en lisant le panneau indiquant la direction de l'école, qu'il comprend où je l'emmène.
Eijiro : Voilà pourquoi tu voulais qu'on mette nos kimonos
Denki : Oui, pour les cérémonies officielles, c'est obligatoire
Eijiro : Je parie qu'un certain blond y est pour quelque chose
Denki : En effet, je lui ai demandé un coup de main
La cérémonie du thé, également connue sous le nom de Chanoyu ou Sado, est une pratique culturelle japonaise qui remonte à plus de 800 ans.
Elle a été introduite au Japon par des moines bouddhistes qui l'ont découverte lors de leurs voyages en Chine.
C'est une pratique culturelle complexe qui implique une série de rituels et de gestes précis pour préparer et servir le thé.
Nous l'avons étudié au cours de notre première année et j'avoue qu'à l'époque, je ne m'y suis pas plus intéressé que ça. Aujourd'hui, je suis au contraire impatient d'en observer chaque détail avec Eiji.
Il est d'usage d'y assister vêtu d'un kimono, afin de préserver l'harmonie avec nos hôtes qui en portent également.
L'esthétique est fondamentale, c'est pourquoi la vaisselle est considérée comme un élément important.
De nombreux artisans se sont spécialisés dans la confection de bols, théières et autres accessoires, dont certaines pièces sont devenues des œuvres d'art.
Il y a aussi les arrangements floraux, nommé ikebana, ou encore la calligraphie qui viennent s'ajouter à l'ambiance zen de la petite salle dans laquelle nous sommes invités à entrer.
Ça ressemble à un salon comme on en voit beaucoup au Japon, dans un style traditionnel, avec des tatamis au sol et une décoration épurée.
On y retrouve le concept du wabi-sabi, qui prône la simplicité et l'acceptation de l'imperfection. Rien n'est bien droit ni parfaitement lisse.
C'est quelque chose que j'essaye d'intégrer dans ma vie et surtout de faire comprendre à l'artiste perfectionniste en moi.
Apprécier la beauté des choses imparfaites, impermanentes et incomplètes, ou bien atypiques.
Izu est comme moi, il y parvient lorsqu'il s'agit des œuvres des autres, mais pas quand il regarde les siennes.
Nous n'avons aucune objectivité à propos de nos travaux, comme les gens minces qui se voient gros dans le miroir.
J'avais aussi cet œil critique, voire méprisant sur mon reflet, mais tout est différent depuis que j'ai rencontré mon Eiji.
Il passe son temps à me dire à quel point il me trouve beau et à me dévorer du regard dès que nous sommes seuls.
Il y a dans ses yeux tant d'amour et de désir qu'il est difficile de se dévaloriser comme je le faisais.
À chaque fois que j'y pense, ça me rappelle ce que me disait Izu à propos de Kat's et de sa façon de tout chambouler en lui sans qu'il s'en aperçoive.
J'ai cette même sensation avec Eiji à chaque instant. Que ce soit avec ses mots, ses gestes ou encore ses yeux, il arrive toujours à ce que je me sente aimé, parfois carrément adoré.
Le chanoyu a duré plusieurs heures et ensuite nous avons pu suivre un cours. Mon petit ami était concentré, à tel point qu'il en fronçait les sourcils par moments.
À midi nous avons mangé avec nos hôtes, avant de repartir avec toute la panoplie pour reproduire la cérémonie à la maison.
Denki : Il y a un atelier de poterie à quelques rues, ça te dit d'y faire un tour ?
Eijiro : Avec plaisir
Sans surprise, nous avons bien failli repartir avec l'intégralité de la boutique, sans oublier les bols que nous avons façonnés nous-mêmes.
Ils ne sont pas ouf, mais nous en sommes fiers et ce sont à nos yeux le meilleur souvenir de cette journée.
Des moments comme celui-ci, nous allons pouvoir en vivre bien plus depuis qu'il a démissionné du Higuma.
Il peut désormais moduler son emploi du temps comme il le souhaite, accompagner Kat's à chaque voyage au Japon et bien sûr m'emmener avec lui.
Il a également toutes ses soirées et tous ses week-ends, ce qui n'est absolument pas négligeable étant donné que moi, je suis en cours le reste du temps.
Je n'osais pas lui en parler, mais ça me pesait beaucoup de le voir si peu, même en vivant ensemble.
J'enviais tellement Izu pour ça, mais aussi sur le fait qu'il n'avait à s'inquiéter de rien grâce à Kat's qui avait largement les moyens de l'entretenir.
J'ai appris le mois dernier que mon Eiji pouvait, et surtout voulait, faire comme son meilleur ami.
Il est officiellement bras droit en formation depuis le 1ᵉʳ juillet et va toucher le salaire qui va avec, mais il a déjà tout un tas d'avantages.
À Noël, il a eu une voiture et lors de nos voyages, il a une carte crédit du clan pour toutes ses dépenses, même personnelles.
J'ai beau avoir jalousé cette vie, j'ai du mal à m'y habituer. Pour l'instant, j'ai souvent l'impression d'être un gosse à qui on passe tous ses caprices.
Heureusement, j'ai Izu comme modèle à suivre, tout comme Eiji a Kat's.
Ces deux-là sont l'incarnation du couple rêvé et l'exemple parfait de comment rester eux-mêmes malgré leur statut ou leur argent.
La seule ombre au tableau, c'est que je crains que ma relation avec les autres finisse par changer.
Je vois bien qu'avec Izu, ce n'est pas le cas, mais nous l'avons connu ainsi. Je n'ai pas la sensation de devenir quelqu'un d'autre, ni que mes amis sont différents avec moi, du moins pour le moment.
J'espère juste que ça va rester comme ça, parce que dans deux ans, nous allons quitter la coloc, ça risque de creuser un fossé.
Par chance, nous allons travailler ensemble et continuerons à partager en tant qu'artistes, j'aimerais juste qu'on le fasse encore en tant qu'amis.
Eiji dit que je dois me faire confiance, et surtout leur faire confiance. C'est vrai que depuis la révélation de Kat's sur le fait qu'il est le futur chef d'un clan yakuza, rien n'a changé.
Mon petit ami me répète sans arrêt "alors pourquoi pas avec toi", ou encore "Izu saura te le dire si tu changes un jour, mais je doute que ça arrive" et il a raison...
D'après lui, je suis toujours en partie enfermé dans le schéma que j'avais avec mes parents. La nécessité d'être tel qu'on veut que je sois, la peur de décevoir ou de ne pas être conforme aux yeux des gens, ça continue de me poursuivre.
Là-dessus, comme sur tout le reste d'ailleurs, je m'améliore grandement. Ma rencontre avec Izu m'a énormément aidé et depuis que je suis avec Eiji, j'évolue en permanence.
Je suis persuadé que tant qu'ils seront à mes côtés, tout se passera bien, que mes appréhensions ou mes angoisses ne sont que des manifestations d'une vie qui est loin derrière moi.
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