Chapitre 8 (J-23)
Lorsque Taj se réveilla, il constata qu'il était allongé dans une position inconfortable, sur une surface dure. Encore un peu endormi, il s'agenouilla et frotta sa tempe douloureuse, tentant de reprendre ses esprits. Ses yeux balayèrent la pièce qu'il occupait tandis que les événements de la veille lui revenaient. Le tatou géant, l'entrée dans le parc, et puis leur arrestation. Et maintenant, il était dans une minuscule cellule digne d'Alcatraz. Soudain, les paroles d'Harold lui revinrent en mémoire. Surtout, évitez les forces de l'ordre. Voilà qui était réussi.
Ils avaient été arrêtés pour un motif pour le moins étrange : ils n'étaient pas assez tristes. Ca n'avait aucun sens, mais Taj n'oubliait pas qu'il était dans l'esprit de quelqu'un. Lui aussi faisait parfois des rêves bizarres. Si cette loi ne tenait pas debout d'un point de vue logique, elle révélait probablement quelque chose sur la terroriste, mais quoi ? Il aurait tout le temps de réfléchir lorsqu'il serait sorti d'ici. Mais comment allait-il s'y prendre ?
Taj savait qu'ils s'étaient mis dans un sacré pétrin. Et il ne voyait guère comment ils allaient pouvoir s'en sortir. Allaient-ils être jugés ? Ils ne venaient même pas du même monde, ils n'avaient aucun papier d'identité, personne ne les connaissait. Ils ne pouvaient même pas se concerter pour accorder leurs violons.
Tout à coup, la porte s'ouvrit, coupant court à ses réflexions. Une femme, vêtue de l'uniforme pourpre, le dévisagea d'un air suspicieux.
— C'est à vous, annonça-t-elle en anglais.
Taj faillit demander « de quoi ? » mais il se retint à temps et se contenta de la suivre. Il ne devait surtout pas montrer qu'il n'était pas d'ici. Enfin, avec son accent français, il allait avoir des difficultés à se faire passer pour américain. Son regard se posa sur son bracelet électronique. Si jamais les choses dégénéraient, il pourrait toujours l'utiliser en dernier recours. Mais pour cela, il lui faudrait être indemne, à l'extérieur, et immobile. Autrement dit, il lui fallait sortir d'ici. D'ailleurs, il se demanda si son bracelet n'allait pas attirer les soupçons. Se rappelant qu'il était en mode compte à rebours, il souleva discrètement un minuscule bouton sur le côté et la montre afficha l'heure. Il réalisa alors qu'il était toujours torse nu. Voilà qui n'arrangeait pas la situation.
Quelques couloirs plus tard, la femme en uniforme ouvrit une porte et lui fit signe de rentrer. Un homme également vêtu de pourpre lui fit signe de s'asseoir.
— Bonjour, je suis l'officier Reynolds. Tenez, mettez-ça avant qu'on ajoute attentat à la pudeur à la liste des chefs d'accusation.
Il lui tendit un t-shirt que Taj attrapa et enfila sans un mot. Il était un peu grand pour lui, mais c'était la dernière de ses préoccupations.
— Vous êtes le dernier que nous interrogeons, poursuivit l'officier.
— Euh...Désolé, pas d'anglais, bafouilla Taj dans un anglais volontairement hésitant.
En réalité, il comprenait très bien ce que lui disait Reynolds, et, même s'il n'était pas bilingue, il se débrouillait en anglais. Mais il espérait gagner du temps en jouant sur la barrière de la langue. Reynolds afficha un sourire satisfait et désigna un écran sur le mur derrière lui, qui s'illumina comme pour illustrer ses propos.
— Oui, je sais que vous êtes français. Mais nous avons un système de traduction instantanée.
Au temps pour son idée.
— Vous allez êtes content, poursuivit l'officier, nous avons interrogé vos amis et nous les avons presque tous libérés.
Taj dut faire semblant d'avoir besoin de lire la traduction sur l'écran.
— Presque tous ?
— Je dois admettre que vous avez vraiment l'air perdu, tous. Je ne vois pas ce que sept jeunes à moitié nus viendraient faire en plein milieu du Texas s'ils ne sont pas vraiment tristes.
Taj se sentit soulagé même s'il ne comprenait pas vraiment ce que Reynolds voulait dire.
— Mais, comme vous le savez, les règles sont les règles et il est strictement interdit d'entrer à Sorrow Park sans être vraiment triste.
Sorrow Park ? Le parc du chagrin ? Taj commençait à se dire que la terroriste était vraiment folle et qu'on les avait envoyés en mission pour rien.
— Il est interdit d'entrer uniquement en tant qu'accompagnateur. Nous avons libéré tout le monde, sauf votre amie rousse.
Taj sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Pourquoi n'avaient-ils pas libéré Gwen ?
— Pourquoi ?articula-t-il.
— Nous ne sommes pas sûrs qu'elle soit vraiment triste. Nous allons continuer à l'interroger.
— Elle l'est, répliqua Taj.
Il devait se calmer. Agresser les policiers ne servirait à rien, aussi absurde que soient ces lois. Visiblement, la situation n'était pas aussi dramatique qu'il le pensait. Ils se fichaient de leur identité, ils voulaient juste vérifier qu'ils étaient bien tristes. Gwen s'en sortirait, il le savait. Elle était remarquablement intelligente.
— Je vais donc vous laisser seul avec notre psychologue, Madame Lloyd.
Sur ce, il se leva et quitta la pièce. Taj sentit une vague d'appréhension monter en lui. Il n'avait pas la moindre envie de se retrouver seul avec une psychologue. Une goutte de sueur perla sur son front, et il l'essuya du revers de la main, priant pour que son angoisse ait échappé à Lloyd. Mais malheureusement, elle était psychologue.
— Détendez-vous. Je vais juste vous poser des questions pour vérifier que vous étiez en droit d'entrer dans ce parc. Par contre, rien ne sert de mentir.
Taj fit mine de lire la traduction sur l'écran.
— Et ça ne sert à rien de faire comme si vous ne compreniez pas l'anglais.
Taj en resta bouche bée. Visiblement, elle était douée.
— Bien. Votre nom ?
Il hésita un instant avant de répondre la vérité. De toute façon, que pouvait-il bien dire d'autre ?
— Vous êtes d'origine indienne ?
Il fronça les sourcils, ne voyant pas le rapport, mais acquiesça malgré tout.
— Pourquoi êtes-vous aussi mal à l'aise à l'idée de vous retrouver seul avec une psychologue ?
Taj agrippa la table d'une main et foudroya Lloyd du regard. Il était venu en mission dans l'espoir d'oublier, et voilà qu'on le forçait à se confier à une psychologue.
— Je n'aime pas qu'on m'oblige à parler, répondit-il.
— Oui, c'est aussi l'impression que j'ai. Vous aimez garder le contrôle, c'est ça ?
Taj laissa échapper un rire sarcastique et détourna le regard. Elle n'y allait pas par quatre chemins, et il détestait ça.
— Je n'aime pas qu'on me pose des questions inutiles. Si vous êtes si forte, vous n'avez pas besoin de me poser toutes ces questions pour savoir si je suis triste.
Lloyd esquissa un sourire, ce qui eut le don de l'énerver encore plus. Il savait pourtant qu'il devait rester calme.
— Je ne pense pas que ces questions soient inutiles. Si elles l'étaient, vous oseriez me regarder en face.
Taj se força à se concentrer. A imaginer que cette femme n'était qu'une statue de cire. Il n'avait qu'à faire semblant, comme il le faisait si bien. Elle ne savait rien de lui. Il n'avait qu'à soutenir son retard. Serrant les poings sous la table, il plongea son regard corbeau dans celui de Lloyd. Aussitôt, il lui sembla qu'elle lisait en lui et il détourna le regard, mal à l'aise.
— Vous voyez, constata la psychologue.
— Posez-moi vos stupides questions, qu'on en finisse ! s'impatienta Taj.
Il était en sueur à présent. Cette femme le déstabilisait, et il avait l'impression que tout ce qu'il avait enfoui au fond de lui resurgissait. Il voulait juste partir d'ici, respirer à nouveau.
— Très bien. Pourquoi vous sentez-vous coupable ?
Taj fronça les sourcils. Comment savait-elle ? Non, elle ne pouvait pas savoir. Elle le déstabilisait, c'était son rôle. Il devait rester impassible, ne pas rentrer dans son jeu, mais il commençait à avoir chaud. Trop chaud.
— Vous voulez un verre d'eau ? s'enquit Lloyd.
Bien qu'il se doutât qu'elle n'agissait pas par pure gentillesse, il hocha la tête, l'idée d'échapper au regard inquisiteur de la psychologue pendant quelques temps n'étant pas pour lui déplaire. En outre, il avait soif, n'ayant rien bu depuis la veille. Visiblement, on lui avait confisqué ses affaires. Lorsqu'elle quitta la pièce, Taj réalisa qu'il avait presque oublié son objectif principal. Il tentait de cacher son histoire, de se mentir à lui-même, alors que ce dont il avait besoin, c'était de paraître triste.
Taj se força à inspirer et à expirer lentement pour faire redescendre son rythme cardiaque, mais tout lui semblait tellement surréaliste qu'il ne parvenait pas à penser rationnellement. La porte s'ouvrit, coupant court à ses tentatives. Lloyd entra, un sourire satisfait aux lèvres, et posa un verre d'eau sur le bureau qui la séparait de Taj. Celui-ci l'attrapa et avala lentement quelques gorgées du liquide. Mais au lieu de lui apporter l'effet escompté, elles ne firent qu'ajouter à son malaise et il manqua de s'étouffer avec en sentant le regard de la psychologue braqué sur lui. Cette dernière croisa les bras et s'approcha un peu plus de lui.
— Bien. Où en étions-nous... Ah oui, pourquoi vous sentez-vous coupable ?
Il aurait pu être agacé s'il ne s'était pas senti aussi mal. A présent, il avait l'impression qu'un voile de brume l'empêchait de voir correctement.
— Tout le monde se sent coupable, murmura-t-il.
— Peut-être, admit Lloyd. Mais je ne m'intéresse pas à tout le monde, je m'intéresse à vous.
— Vous avez besoin de vérifier que je suis triste, répliqua Taj qui parvenait à garder une certaine lucidité malgré son malaise. Pas de savoir pourquoi.
— J'ai besoin d'être sûre.
— Vous l'êtes. Vous savez tout.
Lloyd le fixa de nouveau, et ses yeux lui semblèrent méchants, presque diaboliques. Elle ne correspondait pas du tout à l'idée qu'il se faisait des psychologues.
— Je ne veux pas de détails. Je veux juste savoir pourquoi vous vous sentez coupable.
Taj tendit la main pour attraper le verre d'eau, mais sa main passa juste à côté et il le renversa dans son élan. Ou peut-être était-ce seulement le fruit de son imagination. Plus rien ne paraissait vraiment réel. Toute cette histoire n'avait aucun sens. D'ailleurs, où était-il ? Dans les pensées de quelqu'un, d'après Harold et Christine. Mais c'était impossible. On n'allait pas dans les pensées des autres. Ils s'étaient moqués de lui. Ou peut-être était-ce sa punition ? Cette pièce était une sorte d'enfer, sa punition. Pas étonnant qu'il fasse aussi chaud.
— Monsieur Sharma ?
— Elle est morte, lâcha Taj, au bord de l'évanouissement.
— Vous l'avez tuée ?
Son visage lui apparut, aussi clairement que si elle s'était trouvée juste en face de lui. Lorsqu'il regarda à nouveau en face de lui, il eut l'impression qu'il lui parlait.
— Non. Mais c'est en partie de ma faute. Désolé...
Le visage devint encore plus flou, et il ne savait plus s'il parlait à Lloyd ou à elle. Taj sentit qu'on lui prenait la main, et, au lieu de s'en offusquer, il ne réagit pas. Il entendait à peine la voix qui lui parlait.
— Monsieur Sharma !
Taj finit par revenir à la réalité. C'était bien la psychologue qui se tenait à une vingtaine de centimètres de son visage, la mine inquiète. Pas elle.
— C'est bon, articula Lloyd comme si elle parlait à un malentendant. Vous avez passé le test de tristesse. Vous êtes libre d'aller rejoindre vos amis, je vais chercher l'officier Reynolds.
Cette fois-ci, c'est un autre visage qui s'imprima dans son esprit.
— Et Gwen ?
— Je vais continuer à l'interroger, nous vous tiendrons au courant.
Taj était libre, il aurait dû en ressentir un profond soulagement. Mais il ne pouvait chasser de son esprit l'image de Gwen, seule dans sa cellule.
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Voilà pour ce chapitre un peu étrange (mais qui donne un indice ;)).
Et Agathe n'a pas disparu elle sera là au prochain chapitre :)
Bon week-end!
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