Chapitre 5 (J-24)



Agathe se figea en voyant l'arme. Ça, Sakina ne l'avait pas prévu. Elle se maudit de ne pas avoir pensé qu'aux Etats-Unis, les gens avaient le droit de porter une arme. Tentant de garder son calme, elle leva les mains en signe d'apaisement.

— Nous ne sommes pas ici pour vous faire du mal, dit-elle dans un anglais rendu un peu hésitant par l'angoisse. Nous avions juste besoin de provisions, et nous allons partir.

En guise de réponse, la femme pointa le pistolet dans sa direction. Agathe frissonna.

— Et pourquoi est-ce que je vous laisserais partir ? répliqua la femme.

Agathe regarda Sakina, pensant que leur leader voudrait peut-être renoncer au vol. Mais elle lui fit signe de poursuivre d'un geste du menton.

— Si vous nous laissez partir, vous aurez juste quelques aliments en moins. Nous ne vous menaçons pas. Nous ne sommes pas dangereux. Si les choses dérapent, vous ne pourrez pas invoquer la légitime défense.

La femme émit un ricanement grossier.

— Vous n'avez pas l'air d'ici. A votre place, je n'en serai pas si...

Une lame posée sur sa gorge l'interrompit au beau milieu de sa phrase. Théodore avait visiblement trouvé une sorte de couteau suisse dans les rayons. La femme blêmit, mais ne baissa pas son arme. Agathe s'approcha, un peu rassurée par l'intervention du blond.

— Posez votre arme, ordonna-t-elle calmement. Tout ira bien.

En lisant la peur dans le regard de la femme, elle ressentit un élan de culpabilité. Elle était en train de terroriser une pauvre femme qui ne leur avait rien fait. Elle se força à ignorer ses scrupules. Ce n'était pas le moment.

— Maintenant. Sinon mon ami se fera une joie d'appuyer d'un coup sec sur cette lame.

La main de la femme trembla, et, l'espace d'un instant, Agathe crut qu'elle allait appuyer sur la gâchette. Mais elle finit par se baisser et par poser son arme par terre. Elle jeta à Agathe un regard rempli de haine. Cette dernière sursauta devant tant d'intensité. Elle avait été habituée à être incomprise, à décevoir, mais elle avait rarement suscité une telle rage.

A son tour, elle se pencha pour s'emparer du pistolet, tandis que Théodore rangeait le couteau. Sakina tourna la tête vers eux.

— OK. On sort.

Agathe tenait toujours l'arme entre ses mains. Elle devrait donc fermer la marche. Elle tâchait de surveiller la femme, priant pour qu'elle se tienne tranquille. Elle avait appris à manier différentes armes à feu pendant le programme d'entraînement, mais elle priait pour ne pas avoir à s'en servir. D'autant qu'elle n'était pas sûre d'en être capable.

Ses camarades quittèrent la station service tour à tour, les bras chargés de provisions et de choses qui pourraient leur être utiles, puis Sakina relâcha lentement la pression qu'elle exerçait sur le caissier.

— Ne bougez pas.

La jeune femme s'écarta et se dirigea vers la sortie à reculons. Agathe fit de même, gardant le canon du revolver braqué sur la femme. Lorsqu'elle franchit enfin la porte de sortie, elle poussa un soupir de soulagement.

— Vite, lui intima Sakina, ils vont sûrement appeler la police, on n'a pas de temps à perdre.

Agathe lui tendit le revolver, lui faisant comprendre du regard qu'il semblait plus logique de lui confier cette responsabilité. Sakina hocha la tête en s'en emparant, avant de se mettre à courir.

***

Ils marchaient depuis presque deux heures maintenant, et la nuit commençait à tomber. Ils avaient coupé par la forêt, jugeant qu'il était trop risqué de longer la route. Agathe se demanda quand ils allaient s'arrêter, mais elle n'osait pas poser la question.

— On ferait peut-être mieux de s'arrêter, intervint Taj, comme s'il lisait dans ses pensées. Il va faire nuit, et il vaut mieux garder nos forces pour réfléchir à la suite.

Sakina passa une main sur son menton comme si elle pesait le pour et contre. Finalement, elle hocha la tête et s'arrêta. Sans un mot, ils posèrent par terre le contenu de leur butin et s'assirent. Agathe sentit son estomac la rappeler à l'ordre : elle mourait de faim. Toutefois, elle garda le silence. Elle ne voulait pas passer pour une râleuse.

— Bon, on mange quelque chose ? lança Alizée d'un ton enjoué.

Aussitôt, Théodore bondit sur le tas de nourriture et attrapa un paquet de chips, suivi par le reste de l'équipe. Agathe opta pour un sandwich, préférant préserver les denrées qui ne se périmaient pas. Tandis qu'elle mordait dedans avec appétit, elle regarda avec surprise Corentin prendre la parole. Le jeune homme semblait pourtant d'un tempérament très réservé.

— Je sais bien que ce qu'on fait est juste, mais ça ne vous dérange pas, vous d'avoir dû voler de la nourriture?

Alizée haussa les épaules.

— Ca ne me fait pas plaisir, mais on est là pour quelque chose de bien plus important. On n'est pas dans un dessin animé.

— Parce que vous, intervint Sakina, c'est voler de la nourriture qui vous dérange ?

Agathe fronça les sourcils en voisant le visage crispé de sa coéquipière. Elle laissait rarement transparaître sa colère.

— Pas toi ?

— On s'est introduits dans ses pensées, dans ce qu'il y a de plus intime chez un être humain. Je vois difficilement ce qu'on pourrait faire de pire à quelqu'un. Donc non, ce n'est pas voler de la nourriture à des gens imaginaires qui me pose le plus de problème.

Agathe se sentit un peu énervée par la culpabilité que ravivait Sakina en elle.

— C'est bien beau de dire ça, répliqua-t-elle, mais si tu trouves ça immoral, qu'est-ce que tu fais là ?

Le visage de la jeune femme se crispa et elle lui jeta un regard noir avant de se lever.

— Va te faire foutre, Agathe.

Sur ce, Sakina s'éloigna d'eux. Agathe savait qu'elle était allée trop loin, brisant une règle primordiale : ne pas poser de questions. Elle hésita à la suivre, mais se ravisa. Elle n'allait pas empiéter encore plus sur son espace vital. Par réflexe, elle leva les yeux au ciel et poussa un soupir, comme si elle se fichait de l'insulte de Sakina. Elle constata que le silence avait reprit ses droits et entreprit de finir son sandwich.

***

— Elle exagère un peu, déclara soudain Alizée, brisant le silence.

— Qui ? demanda Gwen comme si elle revenait de loin, ce qui arracha à Taj un sourire amusé.

— Sakina. Qu'est-ce qu'elle peut être susceptible...

— Je l'ai un peu cherchée, intervint Agathe.

Taj sentit que la tension commençait à monter entre les deux filles. Comme s'ils avaient besoin de ça.

— Pourquoi tu la défends ? interrogea Alizée. Elle t'a dit d'aller te foutre, je te rappelle.

La jeune quarteronne fronçait les sourcils, attendant une réponse.

— Je sais reconnaître mes torts, répondit simplement Agathe.

Las de cette discussion, Taj se leva et décida d'aller parler à Sakina. Personne ne lui demanda où il allait. Il s'enfonça dans les bois, constatant que la nuit commençait à tomber. Il ferait mieux de se dépêcher de trouver sa coéquipière. Soudain, il distingua une silhouette assise par terre contre un arbre. Ça ne pouvait être qu'elle.

Il s'approcha prudemment, et la jeune femme finit par tourner la tête.

— Oh, c'est toi, dit-elle simplement.

Taj avait eu peur de la trouver en larmes ou furieuse, mais son visage n'exprimait ni colère ni tristesse. Peut-être avait-elle eu besoin de se retrouver seul un moment. Ou peut-être était-elle simplement bonne actrice.

— Je ne veux pas te déranger, s'excusa Taj.

Sakina sourit, peut-être parce que la politesse n'avait pas vraiment sa place ici.

— Tu ne me déranges pas.

Taj se laissa tomber par terre à côté d'elle, attendant qu'elle parle. Il ne voulait pas la forcer.

— Tu as raison, déclara-t-elle tout à coup. Je devrais m'excuser.

Il fronça les sourcils.

— Je n'ai rien dit.

— Je sais.

Un court silence s'ensuivit, avant qu'il n'ose l'interroger.

— Pourquoi ça t'a énervée, ce qu'elle t'a dit ?

Sakina baissa les yeux.

— Parce qu'elle a raison. Je ne devrais pas être là.

Taj frissonna, ne sachant pas comment il devait comprendre cette phrase. Est-ce qu'elle voulait dire qu'elle ne devrait pas faire cette mission en raison de ses convictions, ou bien est-ce qu'elle considérait qu'elle ne méritait pas de vivre ? Non, tout le monde n'était pas comme lui, Sakina avait l'air d'une fille bien.

— Alors pourquoi tu es là ? demanda-t-il doucement.

— L'argent, répondit-elle sans fioritures, ce qu'il apprécia. Il faut que je parte loin de chez moi et que je recommence tout ailleurs. Si on réussit cette mission, j'en aurai les moyens. C'est pour ça que j'ai accepté. Je suis plutôt cynique.

Taj n'osa pas lui demander pourquoi elle devait partir loin de chez elle. Après tout, il n'aimerait pas qu'elle lui pose autant de questions personnelles.

— Je comprends.

— Mais ne t'inquiète pas, maintenant que je suis là, je vais tout faire pour réussir cette mission. Quitte à torturer quelqu'un, autant le faire parler, ironisa-t-elle. Et toi, qu'est-ce que tu fais là ?

Il haussa les épaules et se releva.

— Je paie ma dette. Tu viens ? proposa-t-il en lui tendant sa main.

Elle ne chercha pas à creuser derrière sa formule et se releva sans son aide. Ensemble, ils rejoignirent l'endroit où ils avaient élu domicile. Taj sourit à Gwen et remarqua qu'elle avait l'air peu contrariée. Il s'approcha d'elle.

— Je peux te parler une minute ?

— Taj, râla Théodore, quand t'auras fini de psychanalyser tout le monde, tu comptes venir dormir ?

Il constata que ses camarades étaient déjà sous les couvertures.

— Ne t'inquiète pas, pour rien au monde je ne raterai une nuit avec toi, Théo, susurra-t-il, provoquant l'hilarité générale.

Il se rendit compte qu'il venait de faire une plaisanterie et se demanda à quand remontait sa dernière blague. Il était d'une drôle d'humeur pour quelqu'un qui allait probablement mourir.

Sur ce, il attrapa le poignet de Gwen et l'emmena un peu à l'écart, avant de se rendre compte qu'il ne savait pas du tout ce qu'il voulait lui dire. Il avait simplement ressenti le besoin de lui parler, comme s'il avait quelque chose à lui expliquer.

— Qu'est-ce que tu voulais me dire ? demanda Gwen.

Elle avait un air sérieux, comme si elle était sur ses gardes.

— Je ne sais pas, avoua-t-il.

Elle le dévisagea, perplexe.

— Tu as épuisé ton quota de mots avec Sakina ?

Voyant qu'elle n'était pas en colère, Taj éclata de rire.

— Waouh, une plaisanterie et un rire dans la même journée. Rendez-nous le vrai Taj, le taquina Gwen.

Il fit mine de lui donner un coup de poing sur l'épaule, et elle esquiva avant de lui envoyer un faux coup au visage. Taj s'écroula par terre et elle se pencha par-dessus lui, un sourire satisfait aux lèvres.

— Fallait pas me chercher. Je te rappelle que je me suis entraînée, moi aussi.

Taj aimait la petite lueur d'amusement dans les yeux verts de Gwen.

— Bravo. Bon, on ferait mieux d'aller dormir si on ne veut pas être fatigués demain.

Quel rabat-joie il faisait. Gwen ne protesta pas et ils retournèrent près des autres pour se coucher.

***

Taj se réveilla le dos en compote et constata qu'il crevait de chaud. Un rapide coup d'œil autour de lui lui apprit que Gwen, Sakina et Corentin étaient réveillés.

— C'est moi où il fait quarante degrés ici ? chuchota-t-il à la jolie rousse.

Gwen haussa les épaules.

— Tu te rappelles de ce qu'Harold a dit ? Les mondes imaginaires obéissent aux mêmes propriétés physiques, mais les paysages peuvent changer très rapidement. Comme nos pensées, en quelque sorte.

— Donc on peut passer des Etats-Unis au Sahara en un jour, résuma Taj.

— C'est un peu l'idée. Je me demande si cette femme est américaine ou si elle a juste séjourné aux Etats-Unis.

— Je ne sais pas, je ne vois pas pourquoi elle irait faire un attentat en France si elle est américaine.

La voix de Sakina qui les appelait à lever le camp les fit sursauter. Taj jeta un coup d'œil à son bracelet, qui indiquait vingt-quatre jours, treize heures et douze minutes. Il constata, légèrement anxieux, qu'ils n'avaient pratiquement rien fait pour l'instant. Cependant, rien d'alarmant ; ils étaient censés assurer leur survie en premier lieu.

D'un bond, Taj se leva et rassembla ses affaires. Il laissa Gwen rejoindre son amie Agathe, retournant voir Corentin. Il s'inquiétait un peu pour le jeune homme, qui semblait un peu fragile, toujours en retrait.

Lorsque tout le monde fut prêt, ils entamèrent leur marche sans trop savoir ou aller. La chaleur était accablante et Taj était déjà en sueur. En cet instant, il était content de ses origines indiennes ; il savait qu'il ne deviendrait pas cramoisi, à l'inverse de Corentin ou de Gwen, déjà menacés par les coups de soleil. Il songea qu'ils auraient sans doute dû voler des tubes de crème solaire, mais évidemment, cela ne semblait pas être le plus urgent la veille.

Au bout de quelques heures, ils retrouvèrent la route et décidèrent de la longer à nouveau. Peut-être étaient-ils recherchés, mais ils ne pourraient pas découvrir les motifs de la terroriste s'ils restaient à l'écart de toute civilisation. Taj regarda autour de lui. Les arbres se faisaient de plus en plus rare, cédant leur place à de l'herbe desséchée. Il commençait à regretter sérieusement l'ombre que leur avait procuré la forêt, et il voyait qu'il n'était pas le seul à souffrir de la chaleur écrasante.

— Vous pensez qu'on est où ? demanda soudain Alizée.

Aucun coéquipier ne répondit immédiatement, comme s'ils pesaient tous le pour et le contre entre répondre à la question et économiser leur salive pour ne pas mourir de soif. Ils avaient volé de l'eau, mais ils auraient besoin de se ravitailler assez vite. Taj espérait qu'ils n'auraient pas besoin d'employer la méthode forte cette-fois.

— Probablement dans le Sud des Etats-Unis, finit par répondre Gwen. Texas ou Nouveau-Mexique. Enfin, si on doit y voir une quelconque correspondance avec notre monde à nous. N'oublions pas que nous sommes dans des pensées, c'est sûrement confus.

Encore une fois, Gwen l'impressionnait par son intelligence. Il se demanda comment elle savait à quoi ressemblaient les paysages texans alors qu'elle n'avait quasiment jamais quitté sa Bretagne natale, à part lorsqu'elle était partie de chez elle. Il se surprit à regretter de ne pas avoir connu Gwen dans une autre vie, plus insouciante et moins entravée par les remords. Peut-être aurait-il pu tomber amoureux.

Un bruit assourdissant l'arracha à ses pensées et il reporta son attention devant lui. Horrifié, il constata qu'une bête à écailles de plusieurs mètres de haut marchait droit vers eux. L'animal ressemblait à une sorte de monstrueux rongeur, avec son museau allongé et sa queue de plusieurs mètres de long.

— Qu'est-ce que c'est que ce truc ? s'entendit-il demander.

— On dirait un tatou, répondit la jeune rousse devant lui. Un tatou géant. 

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Voilà le Chapitre 5 :)

Rendez-vous Samedi pour voir comment se déroule la rencontre avec notre ami le tatou géant!

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