Chapitre 30


Cinq jours plus tard

— Au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons chevalier de l'ordre national du mérite.

Taj saisit avec précautions l'insigne qu'on lui tendait et prononça le petit discours de remerciements qu'il avait préparé. Sa voix tremblait un peu, et il se sentait stupide d'être aussi nerveux alors qu'il avait traversé des épreuves bien plus difficiles que de parler en public.

Lorsqu'il eut fini de parler, il retourna s'asseoir sur le siège à côté de ses parents. Il constata avec un peu de peine que les seuls parents présents étaient les siens et ceux de Gwen. Il y avait aussi la grand-mère ivoirienne d'Alizée, à qui Taj avait maladroitement essayé de présenter ses condoléances au début de la cérémonie. Il regarda la vieille dame s'avancer vers l'estrade d'un pas chancelant et écouta le délégué vanter solennellement la bravoure d'Alizée. Il songea que ce moment était bien trop codé et froid pour retranscrire le chagrin que le décès de leur coéquipière leur faisait ressentir.

— Au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous faisons Alizée Thomas chevalière de l'ordre national du mérite.

La grand-mère d'Alizée s'empara de la croix et prononça dignement quelques mots. Taj devina que ce moment devait être particulièrement difficile pour elle et admira son stoïcisme. Le délégué clôtura la cérémonie et Taj se leva, tirant une énième fois sur la veste de son costume. Son père fit de même et se tourna vers lui.

— J'ai invité Madame Thomas à déjeuner avec nous, mais elle a décliné notre invitation.

Cela n'étonnait pas vraiment Taj. Il était évident qu'elle n'avait pas envie de continuer à dissimuler son chagrin en allant manger avec des inconnus.

— Si tu veux, tu peux demander à tes petits camarades et aux parents de ta coéquipière de venir. On va au restaurant indien.

Taj hocha la tête. Il n'avait pas envie de quitter ses coéquipiers maintenant.

— OK, je vais faire ça. Merci.

Il se dirigea en premier vers les parents de Gwen.

— Bonjour Monsieur, bonjour Madame, bafouilla-t-il. Mes parents voudraient savoir si vous vouliez vous joindre à nous pour le déjeuner.

— Avec plaisir, répondit le père de Gwen, un homme sympathique un peu dégarni, sans consulter son épouse.

Sur ce, Taj réitéra sa proposition auprès de ses autres coéquipiers. Tous acceptèrent de bon cœur et ils sortirent du bâtiment. Un groupe de filles passa devant eux en rigolant et Taj fut frappé par le contraste entre la cérémonie et le monde extérieur. Il était un peu déboussolé, comme s'il sortait du cinéma après avoir vu un film triste et que le retour à la réalité était brutal.

— Apparemment on en est déjà au stade où on rencontre les parents, murmura-t-il à l'oreille de Gwen.

La jeune femme s'esclaffa.

— Heureusement que les autres sont là.

Ils marchèrent tous ensemble dans les rues du centre de Paris jusqu'au restaurant indien.

— Tes parents connaissent ce restaurant ? demanda Théodore.

— Non, avoua Taj, il était juste bien noté sur TripAdvisor.

Ils entrèrent et s'installèrent à la table réservée, un peu gênés.

— Alors, commença le père de Gwen, vous n'avez vraiment pas le droit de dire en quoi consistait votre mission ?

Gwen secoua la tête et Taj remarqua qu'elle semblait à la fois contente et embarrassée de la présence de ses parents.

— Non papa, c'est secret.

— Je ne suis pas sûr que tout soit secret, intervint Théodore en insistant sur le « tout ». On peut parler de ce qui n'avait aucun rapport avec la mission.

Il arborait un air malicieux que Taj lui connaissait bien. Taj croisa le regard de Gwen pour voir si les allusions de Théodore la gênaient. Mais à sa grande surprise, elle souriait.

— Théo, le réprimanda Sakina, arrête d'être lourd.

Les parents de Taj avaient l'air un peu perdus, ceux de Gwen amusés.

— Alors, insista le père de Gwen, qu'est-ce qui s'est passé sans rapport avec la mission ?

— Demandez à votre fille.

Sakina donna un léger coup de coude dans les côtes de Théodore, mais le jeune homme semblait avoir parfaitement conscience de mettre les autres mal à l'aise. Gwen rougit et baissa les yeux vers son assiette.

— Pour ma part, j'ai rencontré six personnes assez géniales qui sont devenues mes amies. Et peut-être un peu plus pour Taj.

La mère de Gwen eut toutes les peines du monde à contenir sa joie.

— C'est super ça, ma chérie, tu as déniché un beau spécimen en plus ! Moi qui pensais que tu finirais par épouser ta bibliothèque...

Le reste du repas se poursuivit dans la même ambiance, et Taj se surprit à profiter de l'instant présent. Il se sentait bien entouré, et surtout, il avait l'impression d'avoir le droit à une seconde chance.

***

Deux semaines plus tard

Lorsqu'Agathe ouvrit les yeux, il lui fallut quelques secondes pour se rappeler qu'elle était dans le studio meublé qu'elle et Sakina venaient de louer à Nantes après plusieurs jours de visite. Théoriquement, c'était le studio de Sakina, qui l'hébergeait pendant une durée indéterminée. Agathe ne savait pas encore où elle allait habiter. L'indemnité qu'ils avaient touchée à la fin de la mission était suffisante pour leur permettre de vivre confortablement pendant plusieurs années. Ils avaient six mois pour déterminer s'ils souhaitaient repartir en mission où s'ils préféraient s'arrêter là.

Elle sourit en voyant la silhouette allongée à côté d'elle et se rapprocha pour déposer un baiser dans le cou de la jeune femme.

— Si tu voulais me réveiller, ça ne marche pas. Je ne dormais pas.

Sur ce, Sakina se leva et commença à farfouiller dans ses cartons pour trouver quelque chose à sa mettre.

— Comment tu fais pour être aussi belle à sept heures du matin ? souffla Agathe. C'est injuste, je vais déposer un recours devant la Cour pénale internationale.

— Il est dix heures, pas sept heures.

— C'est pareil, l'aube, quoi.

Sakina leva les yeux au ciel et sortit un jean et un débardeur du carton.

— J'ai compris ! s'exclama Agathe. En fait tu te lèves à sept heures avec une sale tête, tu te refais une beauté, et tu te remets dans le lit pour que je m'insurge de ton apparence en me réveillant. C'est...

— Agathe, l'interrompit Sakina, je dois te parler.

Agathe sentit une vague d'inquiétude l'envahir.

— Ne me dis pas que tu me quittes à cause du faux mariage dans la fausse secte.

Sakina parut surprise.

— Non, bien sûr que non. Je t'en ai voulu sur le moment, mais je pense que j'aurais fait la même chose. Non, je voulais te dire que tu devrais aller voir tes parents.

Agathe se renfrogna.

— Je ne veux pas les voir. Je pensais que toi, tu comprendrais ça.

— Agathe, tu ne t'entendais pas avec tes parents et ils sont un peu réactionnaires, OK. Moi, je ne vais pas voir ma famille parce que mon frère a tué ma copine. Ca me semble légèrement différent.

Agathe dut admettre que Sakina n'avait pas complètement tort.

— Je ne te demande pas de retourner habiter chez eux. Juste d'aller les voir et de leur parler.

Agathe poussa un soupir, sentant qu'elle était en train de flancher.

— Et je leur dis quoi ? Salut, désolée d'être partie sans rien dire, j'étais dans un endroit qui n'existe pas à me battre avec des monstres, des violeurs en série et des enfants, et maintenant je vis à Nantes avec ma petite amie, c'est dommage pour le mariage à l'église ?

— Quelque chose comme ça, approuva Sakina, sans briser l'accord de confidentialité si possible.

— Mes parents sont tout sauf gay-friendly, je dois vraiment te faire de dessin de la façon dont ils vont réagir si leur parle de toi ?

Sakina s'assit sur le rebord du lit et lui prit la main.

— Au moins, s'ils te rejettent, tu auras une raison de les détester.

Agathe poussa un soupir et baissa les yeux.

— Je sais, concéda-t-elle. Mais j'ai peur de leur réaction, parce que quand je les aurais vus, je ne pourrais plus me voiler la face. Il n'y aura plus de retour en arrière possible.

— Courage, lui insuffla Sakina. Juste deux petits trains, et quand tu reviens, je serai là. C'est difficile, mais il faut que tu le fasses si tu ne veux pas avoir de regrets.

Voyant qu'Agathe ne répondait pas, elle sortit son téléphone et commença à pianoter dessus.

— Il y a un train pour Paris à onze heures trois. Si tu ne traines pas trop, tu peux l'avoir.

Agathe capitula et commença à se préparer. Une dizaine de minutes plus tard, elle embrassa Sakina et se dirigea vers la porte d'entrée, la mort dans l'âme. En l'ouvrant, elle tomba nez à nez avec jeune homme qui semblait attendre, adossé au mur. Il avait l'air anxieux, comme s'il attendait avant un rendez-vous important. 

— Excusez-moi, l'accosta-t-il, est-ce que Sakina Zaidi habite bien ici ?

Agathe dévisagea le grand brun et eut un mauvais pressentiment.

— Qui êtes-vous ?

— Je suis Khaled Zaidi. Son frère. 

         ***************

Hello :)

Merci pour les 600 vues déjà, c'est cool (m'en voulez pas, j'ai un vocabulaire limité xD). 

Rdv jeudi prochain pour le dernier chapitre... Ca fait bizarre... Il nous reste à en découdre avec Khaled, vous proposez quoi? On le jette dans une marmite d'eau bouillante? On le force à regarder l'intégrale de Gossip Girl? On le fait écouter Despacito en boucle?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top