Chapitre 3
Agathe tenta d'ignorer le bruit de son cœur qui tambourinait dans sa poitrine et reporta son attention sur Christine. Celle-ci mania la télécommande du projecteur d'une main experte et afficha la photo d'une femme, qui paraissait âgée d'une trentaine d'années. Sa peau livide, son regard vide et ses cheveux bruns emmêlés lui donnaient l'air d'une folle, ce qu'elle était probablement. Agathe ne put s'empêcher de se demander si elle ne devenait pas folle elle aussi. Comment pouvait-elle sérieusement croire qu'on allait l'envoyer dans les pensées de cette femme ? C'était absurde. Et pourtant, c'était scientifiquement prouvé.
— Cette femme a été arrêtée en fin de matinée pour avoir tenté de faire exploser une bombe près de la Tour Eiffel, commença-t-elle. L'attentat était mal préparé et les forces de l'ordre n'ont eu aucun mal à le déjouer. Lorsqu'on l'a interrogée, cette femme a refusé de dire son nom ou de répondre aux questions des policiers. Elle a toutefois dit cette phrase: Demain, à dix-sept heures, les coupables paieront.
Christine les laissa méditer un instant sur ce qu'elle venait de dire, avant de reprendre.
— Elle refuse d'en dire plus. Deux hypothèses s'offrent donc à nous. Soit cette femme n'est qu'une folle désespérée et son attentat était donc voué à l'échec. Soit cette tentative n'était qu'un moyen de se faire prendre pour nous faire passer un message. Si vous êtes ici, c'est parce que nous penchons pour la seconde hypothèse. Cette femme a été examinée par un psychologue et semble avoir toute sa tête.
Agathe leva les yeux au ciel en voyant Théodore lever la main. Il fallait toujours qu'il dise quelque chose.
— Si vous vous trompez, on risque de tous mourir pour rien.
Christine eut un sourire embarrassé.
— Nous estimons que les chances pour que nous nous trompions sont faibles. Par conséquent, c'est un risque raisonnable. Vous avez été avertis des risques de cette mission pour vous.
C'était facile à dire, pour elle. Ce n'était pas elle qui risquait sa vie. Agathe jeta un œil à ses camarades. Ils semblaient avoir perdu leur assurance et affichaient à présent un air résigné d'animaux envoyés à l'abattoir.
— Il est quinze heures trente-six, poursuivit Christine sans prendre la peine de les rassurer. Comme vous le savez, une heure représente un jour dans un monde imaginaire. Vous aurez donc environ vingt-cinq jours pour comprendre quelle cible cette femme veut viser. Mais n'oubliez pas que vous ne pouvez le faire que si vous êtes en vie. Par conséquent, votre première mission est de survivre.
Agathe tenta de contenir le tremblement de ses jambes. Elle n'était pas taillée pour survivre. Elle avait peut-être dix-neuf ans, mais elle ne se sentait pas vraiment adulte. En cet instant, elle avait envie de courir se réfugier dans son lit, sous sa couette.
— Vous êtes prêts, vous avez eu de bons professeurs. Il ne me reste qu'à vous souhaiter bonne chance, conclut Christine.
Elle leur fit signe de se lever et ils la suivirent à travers les couloirs du centre, jusqu'à la salle de lancement. Ils n'y étaient encore jamais entrés. Christine tapa un code sur le petit clavier accroché au mur et la porte coulissa.
— Allez-y, ordonna-t-elle.
Agathe suivit Théodore et entra. La pièce, entièrement peinte en blanc, devait faire dans les vingt mètres carrés. Quelques machines complexes jouxtaient un bureau sur lequel étaient posés des bracelets métalliques. Au centre trônait une sorte de cabine, reliée par des fils à un lit sur lequel était allongée la femme qu'ils avaient vu en photo sur le diaporama. Elle était visiblement inconsciente, la tête emprisonnée dans un casque dont sortaient des électrodes multicolores. Pour la première fois, Agathe se demanda si ce qu'ils faisaient était juste. Jusqu'à présent, elle avait toujours considéré qu'elle partait se battre pour son pays. Mais en cet instant, la vision de cette femme qui paraissait tellement inoffensive soulevait de nouvelles interrogations dans son esprit. Ils allaient pénétrer dans son cerveau, violer son intimité.
Elle tenta de recentrer son attention sur Harold, qui était debout près du bureau. Ce n'était vraiment pas le moment de douter.
— Tendez vos bras, ordonna celui-ci.
Ils obéirent et Harold leur passa un bracelet métallique au poignet.
— Pour revenir, il vous suffira d'appuyer sur le bouton central pendant une minute d'affilée. Mais surtout, ne le faites pas si vous êtes blessé. Vous devez aussi être immobile et à l'extérieur, sinon vous risqueriez de ne pas survivre à la translation.
Il vérifia que chaque bracelet était bien fixé.
— Bien. Vous allez vous mettre en file indienne. Qui souhaite passer en premier ?
Taj leva la main, et Agathe admira intérieurement son courage. Le jeune homme affichait une maturité hors du commun.
— Et qui veut fermer la marche ?
— Je passerai en dernier, annonça Sakina.
Agathe n'était pas vraiment étonnée. Ces deux-là étaient sans nul doute les plus aptes à assumer ce rôle. Ils se rangèrent en file indienne. Agathe, pas vraiment impatiente d'entrer dans la cabine, se plaça en sixième position, entre Gwen et Sakina. Elle sentit cette dernière poser une main sur son épaule. C'était sans doute la première fois qu'elle avait un contact physique avec Sakina.
— Ca va aller, chuchota la jeune femme. Tu es une battante. Et je suis derrière toi, je te protégerai.
Ces paroles étaient un peu étranges, surtout venant de Sakina, mais elles apaisèrent en partie Agathe. Reconnaissante, elle attrapa la main de Sakina et la serra légèrement.
— Merci.
***
Taj tentait de dissimuler sa peur du mieux qu'il pouvait. Il n'avait aucun regret, mais il avait apprécié le changement de cadre que ces derniers mois lui avaient offert et il n'avait plus vraiment envie de mourir. Mais il le méritait.
— Tu peux entrer, dit Harold en ouvrant la porte de la cabine. A mon signal, tu appuieras trois fois sur le bouton du bracelet.
Taj obtempéra et entendit la porte se refermer derrière lui. Il regarda autour de lui et les parois lui parurent oppressantes, comme si elles allaient se refermer sur lui.
— C'est bon, mon garçon, tu peux y aller.
Même s'il allait bientôt avoir vingt ans, Taj se sentit rassuré par l'expression « mon garçon ». Il inspira une longue bouffée d'air et approcha son doigt du bracelet. Il pouvait le faire, il suffisait de ne pas réfléchir. Il ferma les yeux, sentit ses muscles se tendre, et pressa l'unique bouton trois fois consécutives.
Tout d'abord, il ne sentit rien et au bout de quelques secondes, il se risqua à ouvrir les yeux. Il ne trouva que le noir complet. Il sentit sa respiration s'accélérer et se força à ne pas céder à la panique. Où pouvait-il bien être ? Bien sûr, il était entre deux mondes. Soudain, il sentit ses jambes s'alourdir et il tenta de rester éveillé. Et si c'était déjà fini ? Il allait mourir avant d'avoir atteint le monde imaginaire, il en était certain à présent. Il renonça à lutter plus longtemps et sombra dans l'inconscience.
Il fut réveillé par la douleur. A la sensation de brûlure qui émanait de tout son côté droit, il supposa qu'il avait heurté quelque chose. Ses mains tâtonnèrent à l'aveugle et il sentit de la terre sous ses doigts. La translation était probablement finie. Il se risqua à ouvrir les yeux. La lumière l'aveugla et il dut cligner plusieurs fois avant d'y voir correctement. Il était visiblement dans une forêt, contre un arbre. Pas étonnant qu'il ait mal, il s'était pris un arbre de plein fouet. Taj s'écarta un peu de l'arbre et tenta de se relever. Aussitôt, la douleur irradia dans ses côtes, mais cela semblait plutôt superficiel. Il passa une main sur son visage et constata qu'il saignait un peu. C'était probablement juste une égratignure. Son regard se posa sur ses vêtements. Ils avaient la même forme que ceux qu'il portait avant la translation, mais ils étaient usés, délavés, et d'une autre matière, probablement du tissu. Il fit quelques pas, soulagé de pouvoir marcher sans problème. Il chercha du regard ses amis et se décida à explorer les alentours.
Quelques minutes plus tard, il entendit une voix qu'il connaissait appeler son nom. Il se tourna pour faire face à Gwen.
— Oh, c'est toi, constata-t-il. Tu sais où sont les autres ?
La rousse lui adressa un sourire désolé.
— Non, tu es la première personne que je vois. Oh, mais tu saignes.
Elle s'approcha de lui pour examiner sa joue.
— C'est pas grave, je me suis juste mangé un arbre. Viens, on va trouver les autres.
Gwen le suivit et laissa échapper un petit rire. Elle avait un rire bien à elle, naturel et unique.
— C'est à moi que ça arrive, généralement, ce genre de choses.
— Ne parle pas trop vite, vu le nombre d'arbres qu'il y a, ça va sûrement t'arriver aussi.
— Pas si tu es là pour te les prendre à ma place.
C'était une plaisanterie, mais Taj constata qu'il aimait bien cette idée. Soudain, un bruit de pas attira son attention et il tendit l'oreille pour tenter d'en déterminer la provenance.
— A droite, souffla-t-il, et ils bifurquèrent.
Taj reconnut la voix de Théodore et accéléra. Quelques secondes plus tard, il constata qu'il avait vu juste. Théodore se tenait devant eux, accompagné de Corentin, Alizée et Sakina.
— Tiens, lança le blond, voilà Taj Mahal et la bizarre.
Ces paroles eurent le don d'agacer Taj, qui n'était déjà pas dans de très bonnes dispositions vis-à-vis de Théodore.
— Ne l'appelle pas comme ça.
— Stop, les interrompit Sakina, on n'a pas de temps à perdre. Taj, Gwen, est-ce que vous avez vu Agathe ?
Ils secouèrent la tête.
— Alors on ferait mieux de se mettre à sa recherche.
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Voilà pour le chapitre 3, merci beaucoup pour les lectures et les votes sur les chapitres précédents, ça m'a fait vraiment plaisir! N'hésitez pas à commenter!
Bon Mercredi et à Samedi pour le Chapitre 4!
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