Chapitre 25 (J-11)



Taj ajouta une nouvelle tomate à son panier. Maintenant qu'ils avaient réussi à entrer en contact avec Corentin, ils devaient à tout prix trouver un moyen de s'enfuir. Taj savait à peu près où était Gwen, mais il ne prenait pas le risque de lui parler quand il n'avait rien de capital à lui dire. En regardant dans sa direction, il croisa le regard d'une fille blonde qui semblait avoir envie d'engager la conversation depuis le début de la matinée. Il l'avait identifiée comme une membre ancienne de la secte, tant elle semblait trouver ce qu'elle faisait parfaitement normal. Retenant un soupir, il comprit qu'il ne se débarrasserait pas d'elle aussi facilement. Il était un nouveau venu, et forcément, cela intriguait.

— Tu sais quoi ? lança-t-elle sur un ton excité.

— Non, répondit-il laconiquement, sans l'encourager à poursuivre.

— Il paraît que le fils du chef va se marier aujourd'hui.

Cette information éveilla son intérêt. S'il y avait un mariage, il y aurait un changement dans la façon dont la journée se déroulait. Peut-être des imprévus. Peut-être une occasion de s'enfuir.

— C'est vrai ? Mais avec qui ?

— Une fille qui vient d'arriver, apparemment. Il lui a demandé hier.

Aussitôt, Taj pensa à Gwen, Sakina et Agathe et fronça les sourcils. Il avait vu Gwen hier et ils avaient prévu de s'échapper ensemble. Elle ne pouvait pas décemment avoir changé d'avis et décidé d'épouser le premier venu. Par contre, il pouvait s'agir d'un plan. Elle projetait peut-être de voler la voiture des mariés, ou quelque chose du genre. Restaient Sakina et Agathe, mais elles étaient plus ou moins en couple. Pourquoi iraient-elles se marier, à un homme de surcroît ? Il parvint à la conclusion qu'il devait s'agir d'un plan dans tous les cas. Se marier avec le fils du chef donnait sûrement des avantages.

— Tu sais à quelle heure ils se marient?

— Je crois que c'est en fin d'après-midi, vers seize heures.

— Ah, d'accord. Et qui y assiste ?

— Tout le monde, voyons ! s'étonna la fille. C'est le fils du chef, quand même !

Taj hocha la tête et replongea dans son silence confortable. Il allait devoir trouver une idée de génie, et vite.

— J'ai fini mon panier, reprit la fille sans se rendre compte du désintérêt manifeste de Taj. Je vois que tu as rempli le tien aussi, on y va ensemble ?

— Où ça ?

Il ne fallait pas non plus attendre de lui qu'il s'implique au point de savoir ce qu'il y avait à faire.

— Ben, à l'entrepôt.

Il acquiesça et suivit la fille à travers les différentes rangées du potager. Enfin, ils parvinrent dans une sorte de cour. Seul un portail les séparait du monde extérieur.

— Ah, constata la jeune fille, il y a encore de la place dans le camion, pas besoin de mettre nos légumes dans les entrepôts.

Taj la suivit sans un mot et ils grimpèrent à l'intérieur du camion. Elle entreprit de remplir les cageots à l'aide du contenu de son panier, et Taj l'imita.

— Il va où, ce camion ? questionna-t-il.

— Ben, au marché. Pour vendre les légumes et tout ce qu'on récolte.

Une idée s'insinua dans l'esprit de Taj.

— Ah, dit-il, l'air de rien. Vous le conduisez tous les jours au marché ?

— Oui, c'est tous les jours à onze heures. Pourquoi tu dis « vous » comme si tu n'étais pas concerné ?

Taj se mordit la lèvre. Il allait devoir la jouer un peu plus finement s'il ne voulait pas attirer l'attention.

— J'ai dit vous ? C'est juste que je suis nouveau, je ne me rends pas bien compte.

La blonde le gratifia d'un sourire étincelant.

— Pas de problème. Si tu as besoin de quoi que ce soit, ou même si tu as des doutes sur ta foi, je suis là.

Taj se retint de ricaner et sourit à son tour.

— Je n'hésiterai pas.

Sur ce, ils prirent le chemin du retour et Taj se remit à récolter des tomates. Lorsqu'il parvint enfin à fausser compagnie à sa voisine envahissante, il tâcha de retrouver Gwen.

— C'est moi, souffla-t-il quand ce fut fait.

— Quoi de neuf ?

— Dis-moi que tu ne te maries pas tout à l'heure.

— J'ai l'air de préparer mon mariage ? ironisa Gwen, avant de reprendre une expression plus sérieuse. Mais j'en ai entendu parler. Je ne sais pas encore si c'est Sakina ou Agathe.

— Je ne vois pas Sakina se marier avec un mec, fit remarquer Taj.

— Oui enfin, ça m'étonnerait que ça soit un mariage d'amour suite à un coup de foudre. Soit ce n'est pas consenti, soit c'est un plan tordu, et alors je verrai mieux Agathe.

— Je suis d'accord, approuva-t-il.

Gwen croisa les bras et lui jeta un regard impatient.

— Tu es venu me voir juste pour parler mariage ?

— Non, non, je suis venu parce que j'ai une idée pour s'enfuir. Meilleure que celle de l'autre jour, je pense.

Gwen lui fit suivre de poursuivre.

— Demain, après avoir récolté des légumes, on les emmène dans le camion.

— Comme d'habitude, oui.

— Mais on se cache dans le camion. Comme ça, quand ils arrivent au marché et qu'ils ouvrent les portes, surprise ! On sort, on profite de l'effet de surprise et on se barre.

Gwen plissa les yeux, comme à chaque fois qu'elle réfléchissait.

— Ingénieux, commenta-t-elle. Je me demande pourquoi je n'y ai pas pensé.

— Tout le monde ne peut pas être aussi intelligent que moi, répliqua Taj.

***

Agathe avait laissé les deux bracelets dans son soutien-gorge. Elle était tout de même inquiète ; elle allait probablement devoir en changer pour mettre sa robe de mariée. Mais après tout, elle n'aurait qu'à faire appel à son droit à l'intimité pour effectuer le transfert en toute sécurité.

Les deux femmes qui étaient chargées de l'habiller et de la maquiller la dévisagèrent de la tête au pied avec une moue réprobatrice.

— On va commencer par une douche, déclara la plus petite. C'est au fond du couloir, à droite.

Agathe songea qu'elle ne devait probablement pas sentir très bon après tous ces jours passés en cellule.

— D'accord. Où sont les habits que je dois mettre après ?

— Il y a un peignoir dans la douche. Vous n'allez tout de même pas mettre vôtre robe de mariée avant d'être maquillée et coiffée.

Agathe sentit son rythme cardiaque s'accélérer. Où allait-elle dissimuler les bracelets ?

— Mais je suis pudique, protesta-t-elle. Je peux au moins mettre mes sous-vêtements et enfiler un peignoir?

Le plus grande leva les yeux au ciel et se pinça les lèvres d'un air exaspéré, mais Agathe savait qu'en tant que future épouse du fils du chef, elle était privilégiée. Elles n'avaient pas d'autre choix que de céder à ses caprices.

— Pas de problème, répondit la plus petite. Je vais vous chercher ça. Mais j'espère que vous n'êtes pas trop pudique non plus, parce qu'après on va devoir vous épiler et on ne peut pas le faire si vous êtes habillée.

Agathe se mit à réfléchir à la vitesse de la lumière. Pour les aisselles, il faudrait qu'elle soit en soutien-gorge, et les autres femmes risqueraient alors de voir les bracelets. Ce n'était pas possible.

—Je préfère me raser sous la douche, répliqua-t-elle.

— Mais...

— Vous n'aimeriez pas que mon fiancé apprenne que vous ne me traitez pas bien.

Agathe retint son souffle. Après tout, elle était plus ou moins prisonnière, elle n'était pas vraiment en position de force.

— Je vous apporte un rasoir avec vos sous-vêtements.

Agathe retint difficilement un soupir de soulagement. Son stratagème avait fonctionné. Elle attendit patiemment que la femme revienne avec des sous-vêtements en dentelle et un rasoir et se précipita sous la douche. La cabine était très luxueuse, avec plein de boutons différents, et Agathe devina qu'elle se trouvait dans l'aile réservée au chef et à sa famille.

Aussitôt, elle se débarrassa de ses vêtements, régla la température et alluma un premier jet. Elle laissa échapper un soupir d'aise en plongeant sous l'eau chaude. Elle avait l'impression de ne pas s'être lavée depuis des années. Pendant un moment, elle ferma les yeux et laissa l'eau courir sur sa peau sans penser à rien d'autre. Elle finit par les rouvrir, par crainte de s'endormir si elle restait plus longtemps dans cette position. S'emparant du tube de gel douche, elle en versa un peu dans sa main et entreprit de frotter les différentes parties de son corps. A en juger par la couleur de l'eau, elle avait bien besoin d'une bonne douche. Consciente qu'il s'agirait peut-être de sa dernière douche avant longtemps, si elle parvenait à s'enfuir, elle n'oublia aucun endroit et shampouina méticuleusement ses cheveux. Une fois cette première étape effectuée, elle s'attaqua au rasage. C'était idiot, mais elle trouva ça agréable de ne plus être dans un état déplorable. Elle n'aurait pas dû penser à son apparence alors qu'il y avait des choses bien plus cruciales. Sauver Sakina, par exemple.

Une fois sa douche terminée, elle enfila ses sous-vêtements et y glissa les deux bracelets électroniques, avant de se blottir dans le peignoir en soie. Elle prit bien garde à le fermer de façon à ce que sa poitrine soit entièrement dissimulée et rejoignit les deux femmes pour qu'elles procèdent à sa coiffure et son maquillage.

Quelques heures plus tard, elle se retrouva dehors. Les membres de la secte avaient formé une haie d'honneur jusqu'à la chapelle. Le chef s'approcha d'Agathe et la dévisagea de son regard bleu acier.

— Alors comme ça, c'est vous que mon fils a choisi. Je comprends mieux pourquoi.

Agathe resta de marbre.

— C'est moi qui vais vous accompagner à l'autel, ajouta-t-il en tendant son bras.

Agathe l'attrapa en se demandant si elle ne commettait pas une terrible erreur. Lentement, ils commencèrent leur progression. Elle croisa Théodore et Corentin dans la foule, et songea que ce mariage aurait au moins servi à savoir qu'ils étaient en vie. Ils entrèrent dans la chapelle et Agathe tomba nez à nez avec Sakina. Elle était assise sur le rebord d'un banc de la chapelle et un garde la surveillait fermement. Agathe constata avec inquiétude qu'elle était très pâle. Leurs regards se croisèrent et elle lut une hostilité non dissimulée dans les yeux de la jeune femme. Rien d'étonnant étant donné qu'Agathe était sur le point d'épouser quelqu'un d'autre. Mais ce que Sakina ne savait pas, c'est que ce n'était qu'une stratégie. Agathe tenta de le lui faire comprendre du regard. Rien n'était fini. Elle allait profiter de sa situation pour venir chercher Sakina et elles s'enfuiraient toutes les deux. Ensuite, elles n'auraient plus qu'à translater.

L'estomac noué, Agathe traversa l'allée au rythme du violon qui jouait un air qu'elle ne connaissait pas, et rejoignit son futur mari sur l'estrade. Elle en profita pour observer à la dérobée son futur mari. Il avait des cheveux noir de jais et le même regard métallique que son père. Néanmoins, il ne paraissait pas spécialement diabolique et n'inspirait ni peur ni répulsion.

— Tu es magnifique, lui chuchota-t-il à l'oreille.

Surprise, Agathe ne sut pas quoi répondre. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il lui parle. Un homme se mit à dire la messe. Agathe n'aurait pas pu dire en quoi cette cérémonie se distinguait d'un mariage catholique. Elle avait assisté à plusieurs mariages, mais elle avait plutôt tendance à vagabonder dans ses pensées qu'à écouter attentivement la messe.

L'échange des consentements se déroula sans encombre et Agathe put quitter la chapelle accompagnée de son nouvel époux. Bien sûr, pour elle, ce mariage n'avait pas plus de valeur qu'un billet de Monopoly, mais tout de même, cela lui faisait bizarre. Elle suivit le jeune homme jusqu'à sa chambre sans piper mot.

Aussitôt arrivés à destination, il l'embrassa et Agathe s'efforça de ne pas le repousser trop brutalement. Elle s'écarta en douceur et esquissa un sourire.

— Tu permets que j'aille dans la salle de bains ?

Une ombre de déception passa sur le visage du jeune homme, mais il se reprit et afficha un sourire.

— Bien sûr, je t'attends, rejoins-moi quand tu es prête.

Il lui indiqua la salle de bains et Agathe se dépêcha de s'y enfermer. Aussitôt, elle chercha du regard une potentielle cachette, mais la salle de bains était quasiment vide. Son mari — Agathe réalisa avec effroi qu'elle ne connaissait même pas son prénom — n'était manifestement pas un adepte des produits de beauté. Désespérée, Agathe regarda une nouvelle fois autour d'elle et ses yeux se posèrent sur la douche. Une idée lui traversa l'esprit, et elle se pencha pour soulever le bouchon de la douche. Ignorant le peu de confiance que lui inspiraient les cheveux et les poils collés au bouchon, elle farfouilla dans son soutien-gorge et en sortit les deux bracelets. Il lui fallait maintenant trouver un moyen de les cacher là sans qu'ils ne tombent au fond de la canalisation.

Agathe se leva et examina à nouveau le contenu du placard. Elle finit par y dénicher une paire de ciseaux à ongle. Après les avoir passés rapidement sous l'eau froide, elle entreprit de défaire son chignon. La bonne vingtaine d'épingles que les deux femmes avaient fixées pour parvenir à cette coiffure complexe ne lui facilitèrent pas la tâche. Une fois ses cheveux libérés, Agathe attacha les deux montres ensemble en fermant les bracelets et se regarda dans le miroir. Elle découpa la mèche la plus longue qu'elle trouva. Cela ferait office de ficelle. Le cœur battant à l'idée que son mari commence à s'impatienter et soupçonner quelque chose d'anormal, elle attacha les bracelets sous le bouchon à l'aide de la mèche. Satisfaite, elle remit le bouchon en place. Jamais il n'irait chercher là-bas. Elle n'aurait qu'à les récupérer le lendemain.

Maintenant, il lui fallait sortir. En ouvrant la porte, Agathe se répéta que c'était pour la mission. Ça n'avait aucune valeur dans le monde réel. Ce n'était pas important. Elle faisait ça pour sauver Sakina, Gwen et les autres.

— Je suis prête, murmura-t-elle. 

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Hello! Bon, techniquement, il est 00:40 donc on est Lundi mais on peut considérer qu'une journée Wattpad se finit à 2h du matin vu que tout le monde lit  dans son lit, c'est bien connu (comment ça, je suis de mauvaise foi?). 

Ne pleurez pas trop la défaite des bleues et à Mercredi :)

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