Chapitre 24 (J-12)



Taj souleva avec difficulté le lourd arrosoir qu'il avait préalablement rempli d'eau. Il avait passé plusieurs jours dans une sorte de cachot et n'avait été libéré que ce matin. Le moindre effort physique le vidait de toute son énergie. Son regard se posa sur la rangée de laitues qu'il était censé arroser. Il se sentait tellement épuisé et seul qu'il ne cherchait même plus à donner un sens à tout ça. Capturer des gens pour les forcer à cultiver des salades pouvait paraître étrange, mais y avait-il vraiment quelque chose qui ne le soit pas dans ce monde ?

Il inclina légèrement l'arrosoir pour que l'eau se disperse sur la terre, inondant abondamment les laitues au passage. Taj pesta intérieurement. Il n'était vraiment pas doué pour le jardinage, ni pour aucune activité manuelle d'ailleurs. Heureusement qu'il n'était pas né deux siècles plus tôt dans une campagne indienne. Il tourna la tête vers la droite pour observer discrètement ceux qui jardinaient avec lui. Tous avaient le regard perdu dans le vague et semblaient exécuter leurs gestes de façon mécanique. Taj se demanda avec appréhension s'il leur ressemblait. Après tout, il était complètement perdu et faisait ce qu'on lui avait demandé sans même chercher à comprendre.

Soudain, une chevelure flamboyante attira son attention. Gwen. Elle était là aussi. Taj se retint de se précipiter vers elle et déversa le contenu de son arrosoir dans la terre jusqu'à ce qu'il soit entièrement vide. Cela lui ferait un prétexte pour bouger. Il adressa un sourire à son voisin en désignant l'arrosoir vide, et prit la direction du robinet. Une fois l'arrosoir plein, il marcha vers l'endroit où il avait aperçu Gwen au lieu de revenir à ses plants de laitue.

Quand il la trouva enfin, il se positionna discrètement à côté d'elle et entreprit d'arroser la terre pour ne pas se faire remarquer. Gwen se retourna et lui jeta un regard surpris, mais elle eut l'intelligence de ne pas lâcher d'exclamation de surprise.

— On récolte, là, murmura-t-elle. Arrête d'arroser ces pauvres carottes.

Taj obéit et se tourna vers la jeune rousse. Il constata avec soulagement qu'elle semblait aller bien.

— Qu'est-ce qu'on fout là à planter des légumes ?

— On ne les plante pas, rectifia Gwen, on les récolte.

— Peu importe ! s'impatienta Taj. Qu'est-ce qu'on fout là ?

— Je connais la cible. Il faut qu'on retrouve les autres et qu'on translate.

— Hein ? Comment tu connais la cible ?

— Je t'expliquerai, retiens juste que c'est l'hôtel Méridien à Paris. Il y a un congrès de l'Eglise des revenants là-bas, c'est eux qui sont visés.

Taj fronça les sourcils. Comment Gwen pouvait-elle avoir trouvé la cible de façon aussi précise alors que lui était dans le flou le plus total ?

— OK, dit-il, alors on trouve les autres et on translate ?

— C'est l'idée, approuva Gwen. Il suffit de trouver un seul coéquipier et il se chargera de prévenir les autres.

Taj réfléchit un instant.

— Mais chercher quelqu'un, c'est prendre le risque de perdre l'occasion qu'on a maintenant de translater. Est-ce qu'il n'y aurait pas un moyen de leur faire comprendre qu'ils peuvent translater sans les chercher ?

Gwen se frotta le menton, pensive.

— Je ne vois pas, avoua-t-elle au bout d'un long moment. Je ne vois pas comment on pourrait être sûrs qu'ils aient le message.

Soudain, une idée traversa l'esprit de Taj.

— A moins que...

Il s'arrêta. Si Gwen n'y avait pas pensé, c'était sans doute une mauvaise idée.

— A moins que ? l'encouragea-t-elle.

— Non, rien, c'était une idée débile.

— Dis toujours.

— Si on translate devant tout le monde, les gens vont nous voir se volatiliser comme ça, d'un coup. C'est extraordinaire, ça va les choquer. Ca parviendra forcément aux oreilles de nos coéquipiers — en admettant qu'ils soient ici avec nous.

Gwen eut l'air de considérer son stratagème.

— C'est très risqué, pour nous comme pour les autres. Mais si ça marche, c'est génial. Je pense qu'on devrait essayer.

Taj ne put s'empêcher d'éprouver une bouffée de fierté en songeant que Gwen approuvait son idée.

— Maintenant ? interrogea-t-il.

Gwen hocha la tête et il sortit la montre, qui était coincée entre sa cuisse gauche et son caleçon. Le cœur battant, il la passa autour de son poignet. Sans même avoir besoin de parler, ils appuyèrent ensemble sur le bouton central. Taj regarda les secondes défiler sur l'écran. Dix secondes. Vingt. Trente. Quarante. Ils y étaient presque. Soudain, il sentit un bras le tirer en arrière.

— Pas d'objets électroniques ici, cria l'homme qui l'avait empoigné.

Sur cette déclaration, il traîna Taj près du mur le plus proche, sur lequel il envoya à plusieurs reprises son bras, jusqu'à fracasser le bracelet électronique. Sous le choc, Taj regarda sans prononcer un mot le garde s'emparer des vestiges de la montre, réalisant tout ce que cette destruction impliquait. Oubliant un instant son sort, il se prit à espérer que Gwen ait eu le temps de ranger son bracelet.

— Tu retournes à ta cellule, ordonna le garde.

Il se mit à escorter Taj jusqu'à la prison de la secte, provoquant un bref soulagement chez celui-ci. Malheureusement, cette sensation fut très vite remplacée par une terrible certitude ; celle qu'il n'avait plus aucun moyen de rejoindre la Terre.

***

Le lendemain, Taj fut autorisé à travailler à nouveau au potager. Il s'y rendit la mort dans l'âme, réalisant que le restant de son existence allait probablement se résumer à ça. Tout ça à cause de son idée idiote. S'il n'y avait pas eu Gwen, il aurait probablement cherché à mettre fin à ses jours plutôt que de se résoudre à passer le restant de sa vie dans ce monde hostile. Mais il devait aider la jeune femme à translater avant.

Cette fois-ci, on l'avait affecté aux tomates. Alors qu'il arrachait avec brutalité un pauvre fruit de son plant, quelqu'un lui donna une tape dans le dos. Il se douta que c'était Gwen et se retourna pour faire face à la jeune rousse.

— Il faut que tu trouves un endroit pour translater, déclara-t-il. Je préviendrais les autres, ne t'en fais pas.

Gwen secoua la tête.

— Pas question. On va translater ensemble.

Taj soupira, étonné qu'il ne soit pas venu à l'esprit de Gwen qu'il ne pouvait plus translater à présent.

— Tu oublies un détail. Je n'ai plus de bracelet.

Gwen ne parut même pas surprise.

— Je sais. Mais Alizée n'a plus besoin du sien.

Lorsqu'il comprit qu'il n'était peut-être pas condamné à passer le restant de ses jours dans cette secte, Taj sourit jusqu'aux oreilles et s'en voulut d'avoir été aussi stupide. Il était si déprimé qu'il n'avait pas cherché un moyen de s'en sortir.

— C'est vrai. Mais pour ça il faudrait se barrer d'ici et déterrer Alizée.

— Et c'est ce qu'on va faire. Pour le moment, il faut qu'on prévienne quelqu'un du groupe et qu'on réfléchisse à un moyen intelligent de sortir. Cette fois-ci, pas question de faire ça à la va-vite.

Taj hocha la tête, sentant l'espoir le regagner. Son idée avait été beaucoup trop risquée.

— Je persiste à croire que tu devrais translater toute seule.

— Et je persiste à vouloir t'accompagner, répliqua Gwen. Ce n'est pas négociable.

Il poussa un soupir, n'ayant pas d'autre choix que de capituler.

— OK. Donc on cherche Théo, Corentin, Agathe ou Sakina ?

Il éprouva un pincement en pensant à Alizée dont le prénom manquait dans cette liste. Se reconcentrant sur son objectif, il se remit à cueillir des tomates. Après quelques heures de recherche discrète, il finit par tomber sur Corentin, qui plantait des graines avec application.

— Corentin, chuchota-t-il pour attirer l'attention.

Le jeune homme se retourna, visiblement surpris de croiser Taj.

— Dieu merci, quelqu'un que je connais. C'est quoi cet endroit de fous qui plantent des légumes ?

— C'est une secte, mais je n'ai pas le temps de t'expliquer. Retiens juste que la cible, c'est le congrès de l'Eglise des revenants qui se réunit à l'hôtel Méridien. Dès que tu as trouvé quelqu'un de notre groupe, dis-lui et translate.

Corentin fronça les sourcils, visiblement submergé par toutes ces informations.

— Et toi ? Tu vas translater tout de suite du coup ?

— Non, avoua Taj. Je n'ai plus de bracelet, ils l'ont trouvé et ils l'ont cassé. Gwen et moi, on va retourner sur la tombe d'Alizée.

Corentin hocha la tête.

— Bonne chance, alors.

***

Agathe se demandait combien de temps elle allait croupir dans sa cellule, mais surtout, elle se demandait si Sakina allait bien. Le spectacle d'hier avait été insupportable, et elle s'en voulait de ne rien avoir pu faire. Elles avaient été à deux doigts de translater, et maintenant tout était à recommencer. Et pour cela, encore fallait-il trouver un moyen de quitter ce trou à rats.

Soudain, la porte s'ouvrit, coupant court à ses réflexions. Agathe s'attendait à voir le garde déposer son repas et refermer la porte, mais au lieu de ça, il entra et referma la porte derrière lui. Elle constata avec une pointe de déception qu'il n'avait pas de nourriture sur lui. L'appréhension la gagna et elle recula jusqu'à être collée au mur du fond. Son expérience lui avait appris qu'il n'était pas bon de se retrouver seule avec un homme dans une pièce. L'homme parut comprendre sa peur et garda ses distances.

— Normalement, commença-t-il, tu étais censée rester dans ta cellule pendant plusieurs jours.

Agathe se détendit un peu. S'il disait qu'elle était censée y rester, c'est que ça n'allait probablement pas être le cas. Elle tenta de ne pas se réjouir trop vite ; il avait peut-être l'intention de la donner à manger à des tigres.

— Mais le fils du chef t'a repérée hier. Il t'a trouvée vraiment jolie.

Agathe se concentra un instant. Il devait s'agir du jeune homme qui l'avait regardée avec insistance avant le supplice de Sakina.

—Il veut t'épouser.

Agathe en resta bouche bée. Elle s'attendait à tout, sauf à ça.

— Bien sûr, poursuivit le garde, libre à toi de refuser.

Il faisait bien de préciser, car le concept de liberté ne semblait pas évident ici.

— Si tu acceptes, le mariage ira lieu demain et tu ne reviendras plus jamais dans cette cellule. Lorsque le chef mourra, ce sera au tour de ton mari de reprendre le trône. Tu seras respectée de tous et tu n'auras pas à travailler. Si tu refuses, tu risques de rester ici un certain temps. Mais ensuite, on te trouvera du travail.

— Combien de temps ? interrogea Agathe. Combien de temps en cellule si je refuse ?

— Une semaine, peut-être plus.

Une semaine. C'était trop. C'était une semaine sans pouvoir translater. C'était une semaine loin de Sakina. Si elle voulait la sauver, il fallait déjà qu'elle soit à l'air libre.

— Si tu veux, proposa le garde, je reviens dans une heure pour te laisser le temps de réfléchir.

Agathe considéra l'idée d'épouser le fils du chef. Elle n'avait aucune envie de se marier, et encore moins avec cet inconnu. La seule personne avec qui elle avait envie de vivre une relation amoureuse était Sakina. Et pourtant, pour la sauver, c'était la seule solution. Elle devait surmonter sa répulsion et trouver un moyen de la faire translater. De toute façon, ce n'était qu'un mariage imaginaire, qui n'aurait aucune valeur sur Terre. 

— Je n'ai pas besoin de réfléchir, répondit-elle. J'accepte. 

              **************

Hey! (Je suis à l'heure aujourd'hui :D). Alors, vous y aviez pensé au bracelet d'Alizée ou vous pensiez que j'étais sadique au point de laisser Tajounet coincé? 

Agathe a accepté sans scrupules de se marier avec le fils du chef, bonne ou mauvaise idée? :/  

Au fait, on a atteint les 300 vues, merci beaucoup :D 

Rien à voir mais ce soir à 20h45 sur France 3 ya France-Suisse, match décisif pour la qualification en 1/4 de finale de l'Euro féminin donc même si vous n'aimez pas le foot faut encourager nos petites bleues :)

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