Chapitre 21 (J-15)

Pendant un instant, Taj ne bougea pas, comme s'il ne croyait pas ce qu'il voyait. C'était impossible, cet homme n'avait pas pu transpercer Alizée avec son épée sans raison valable. Ils étaient en train de parler de couscous, tout allait pour le mieux. La tâche de sang sur sa poitrine qui ne cessait de s'élargir ne pouvait pas être réelle.

L'homme qui avait attaqué Alizée prit la fuite, et personne ne songea à le rattraper. La jeune quarteronne baissa les yeux sur sa blessure, comme si elle-même ne comprenait pas très bien ce qui lui arrivait. Elle posa une main sur sa poitrine et son visage se tordit d'horreur lorsqu'elle prit conscience de la quantité de sang qu'elle perdait.

Corentin fut le premier à se rapprocher de la jeune femme pour la rassurer.

— Respire. Je... On va te sauver, OK ?

Alizée secoua la tête.

— Non, je vais mourir, murmura-t-elle. Mais c'est pas grave, je ne manquerai à personne.

— Ne dis pas ça, protesta Corentin, mais la jeune femme s'était déjà laissée tomber par terre, incapable de rester assise plus longtemps.

Corentin enleva son t-shirt, le roula en boule et tenta tant bien que mal que stopper l'hémorragie en appuyant sur la plaie. Mais tous savaient très bien que cette manœuvre était inutile. Alizée était en train de s'éteindre sous leurs yeux.

— Promettez-moi que vous allez trouver la cible, souffla Alizée. Et promettez-moi que vous allez rester soudés quoi qu'il arrive. Je ne veux pas mourir pour rien.

— On te le promet, articula tant bien que mal Taj, la gorge nouée.

C'était profondément injuste. Alizée était la personne la plus gentille du groupe. Elle voyait toujours le bien chez les autres. Elle avait été la seule à les considérer vraiment comme une équipe. Elle ne pouvait pas mourir. Sans un mot, ils finirent par tous se rassembler autour d'elle. Lentement, mais sûrement, Alizée quitta leur monde.

***

Agathe jeta un regard autour d'elle. Cela devait faire une heure qu'Alizée était morte, mais personne n'avait prononcé un seul mot. Ils s'étaient tous murés dans leur silence, incapables d'exprimer leur effroi face à cette mort si brutale et soudaine. Agathe ne réalisait pas encore ce qui s'était passé, cela semblait impossible. Alizée allait forcément se réveiller, et rire de cette mauvaise plaisanterie. Le corps à quelques mètres d'elle était celui d'Alizée, elle ne pouvait pas être bien loin. Agathe n'avait qu'une seule certitude ; ils étaient redevenus des étrangers les uns pour les autres. Chacun avait assez à faire avec sa propre douleur.

Au bout d'un moment, Sakina finit par se lever, endossant son rôle de capitaine, probablement au moment où c'était le plus difficile.

— On devrait l'enterrer, vous ne trouvez pas ? Elle ne mérite pas de...

Sa voix se brisa. Agathe la regarda sans vraiment la voir. Elle n'arrivait pas à croire que quelques heures plus tôt, elle envisageait d'avoir une relation amoureuse avec elle. Comment avait-elle pu être aussi insouciante, alors que la mort les guettait au tournant ?

Agathe se leva sans vraiment réfléchir. Elle était passée en pilote automatique.

— Où est-ce qu'on creuse ?

Sakina lui lança un regard rempli de sollicitude, et Agathe lui en voulut un peu de se préoccuper d'elle dans un moment pareil. Elles finirent par se mettre d'accord sur un emplacement et Agathe se mit à creuser à pleines mains. La terre s'incrustait sous ses ongles, mais elle s'en fichait. Seule la tombe comptait. Elle soulevait avec fureur des poignées de terre qu'elle envoyait valser quelques mètres plus loin. Peu lui importait la terre qui recouvrait ses vêtements, elle creusait sans relâche.

Quelques temps plus tard, elle sentit des bras se refermer autour d'elle.

— Agathe, chuchota Sakina d'une voix qui se voulait apaisante. C'est bon, le trou est assez grand.

Mais Agathe ne voulait pas s'arrêter et regarder la réalité en face, elle voulait creuser jusqu'à avoir les mains en sang pour ne pas y penser.

— Non, il...

Une larme roula sur sa joue et elle laissa Sakina l'aider à remonter hors du trou. Sa coéquipière l'emmena un peu à l'écart avant de déclarer au reste du groupe :

— Je propose qu'on s'en occupe demain matin.

Personne ne protesta. La perspective de déposer le corps sans vie d'Alizée dans cet horrible trou était tout simplement impensable. A son tour, Sakina s'allongea près d'Agathe.

— C'est injuste, souffla Agathe. Alizée était vraiment gentille. Elle se préoccupait toujours des autres.

Un court silence s'ensuivit.

— Alizée était la seule à se préoccuper du groupe, finit-elle par lâcher. Elle ne peut pas être morte.

Agathe réalisa que Sakina était aussi perturbée qu'elle.

— Quel genre de capitaine laisse ses coéquipiers mourir sous ses yeux ? poursuivit-elle.

— Sakina, la coupa Agathe, tu ne l'as pas laissée mourir. Tu n'as rien pu faire, comme nous tous. Ce n'est pas de ta faute.

— Si, c'est de ma faute. Je n'ai pas su empêcher ça. Encore une fois.

Agathe comprit que Sakina parlait de Laëtitia et attrapa la main de sa coéquipière.

— Ne dis pas de bêtises. Tu n'y es pour rien dans les deux cas. Et je te rappelle que tu m'as sauvé la vie à plusieurs reprises.

— Si tu le dis, soupira Sakina.

Agathe finit par fermer les yeux. Elle se réveilla en se redressant brusquement quelques heures plus tard, persuadée d'avoir fait un cauchemar. En voyant que Sakina était toujours éveillée, les évènements de la veille lui revinrent en mémoire et ses yeux s'emplirent à nouveau de larmes.

— Tu ne dors pas ?

— Non. Je vais aller faire un tour.

Sakina se leva sans lui proposer de l'accompagner. Agathe s'efforça de ne pas regarder le corps étendu sur le sol derrière un arbre, une dizaine de mètres plus loin.

***

Taj faisait face à ses cinq coéquipiers, qui le fixaient sans vraiment le voir. Il avait proposé d'organiser une petite cérémonie pour Alizée, mais il n'avait aucune idée de la façon dont il devait s'y prendre.

— Théo, tu m'aides à la porter ?

Il n'avait pas prononcé son prénom, il ne pouvait pas se résoudre à se dire que ce corps sans vie était Alizée. La jeune femme avait toujours été enthousiaste, débordante d'énergie, vivante, en somme. Ce cadavre, ce n'était pas elle. Alizée n'était pas morte, parce qu'on ne pouvait pas être une chose et son contraire. Elle était partie, et il ne restait plus que son enveloppe. Le blond s'approcha, surmontant l'horreur que lui inspirait ce geste, et aida Taj à soulever le corps.

La tête de la jeune femme bascula en arrière et cette vision arracha un frisson à Taj. Elle n'habitait plus ce corps, elle était partie, tellement partie qu'elle ressemblait à un vulgaire pantin. Délicatement, ils posèrent le corps froid au fond du trou creusé par Sakina et Agathe la veille. Il se força ensuite à se reconcentrer sur ce qu'il convenait de faire.

— Est-ce que quelqu'un sait si Alizée était croyante ? demanda-t-il timidement.

Ils se jetèrent mutuellement des regards interrogateurs, et Taj comprit que personne n'en avait la moindre idée. Ils l'avaient côtoyé pendant plusieurs mois, mais ils ne connaissaient même pas cette information pourtant essentielle. Taj sentit une vague de regrets l'envahir. Si seulement il avait pris la peine d'apprendre à connaître un minimum sa coéquipière, il pourrait au moins lui offrir un enterrement digne de ce nom.

— Bon, fit-il, je propose que chacun jette une poignée de terre et dise quelque chose sur Alizée.

C'était peut-être un peu stéréotypé, mais en cet instant, il avait la conviction que c'était ce qu'il fallait faire. Alizée méritait un moment solennel. Contre toute attente, Théodore fut le premier à s'approcher du trou et à s'emparer d'une poignée de terre. Le jeune homme semblait très attristé par le décès de la jeune femme.

— Alizée, commença-t-il, tu ne m'as jamais jugé. Quand le reste de l'équipe me détestait, tu me disais juste de fermer ma gueule et d'arrêter d'être con. Je crois bien que tu étais incapable de détester quelqu'un. Tu voyais le meilleur en tout le monde, peut-être parce que le meilleur, il était en toi. Alors ce qui est sûr, c'est que le monde sera moins bien sans toi. Repose en paix.

Sur ce, il jeta le contenu de sa main dans le trou. Ce fut au tour de Gwen de s'approcher.

— Alizée, tu étais...Vraiment là. Moi, je suis tout le temps dans mes pensées. Les autres, ils sont dans leur carapace. Mais toi, Alizée, tu te montrais vraiment, comme tu es. C'est comme ça que je sais que tu es une belle personne. Repose en paix.

A leur tour, Corentin, Agathe et Sakina prononcèrent quelques mots. Ignorant sa peur de ne pas être à la hauteur, Taj empoigna un peu de terre et serra le poing pour se donner du courage. Il n'osa pas regarder le corps sans vie d'Alizée.

— Je suppose que si ça avait été l'inverse, tu aurais su trouver les mots justes. Je suis désolé si je ne suis pas doué pour exprimer ce que je ressens, et si je ne t'ai pas plus parlé de ton vivant. Je voudrais te remercier pour tout ce que tu as fait pour le groupe. Quand tu t'es ouverte à nous en espérant que tout le monde fasse de même. Pour toutes les fois où tu t'es montrée enjouée, où tu nous as charriés, où tu as fait des blagues. On va tout faire pour tenir la promesse qu'on t'a faite. Tu vas nous manquer. Repose en paix.

Taj essuya une larme et jeta la terre dans la tombe improvisée, avant de s'atteler à la tâche de reboucher le trou. A sa grande surprise, tout le reste du groupe s'approcha pour l'aider. Peut-être qu'ils étaient bel et bien restés soudés. Ou peut-être que la vue du cadavre leur était tellement insupportable qu'ils ne pouvaient qu'être pressés de le faire disparaître de leur vue.

Lorsqu'ils eurent fini, Sakina se frotta les mains pour enlever la terre et déclara :

— Maintenant, on devrait partir pour Austin et découvrir la cible. Pour qu'Alizée ne soit pas morte pour rien.

***

Agathe marchait avec le reste du groupe. Etrangement, elle se sentait un peu coupable d'avoir laissé Alizée derrière, alors qu'ils lui avaient creusé une tombe. C'était idiot, de toute façon, ils n'auraient pas pu emporter la tombe.

Elle se crispa en voyant Gwen s'approcher d'elle. En cet instant, elle n'avait envie de parler à personne. Ils étaient tous profondément tristes, et ce n'était pas le moment de faire des blagues ou de discuter de sa relation avec Taj. Elle lui lança un regard peu avenant, mais Gwen la rejoignit malgré tout. Elle n'était pas très douée pour comprendre les messages subliminaux.

— Agathe, commença-t-elle, je suis désolée de te déranger dans un moment pareil...

— Alors ne le fais pas, l'interrompit Agathe.

C'était méchant, mais elle n'avait pas le courage de se lancer dans une conversation. De plus, elle avait besoin de déverser sur quelqu'un toute la colère que la mort d'Alizée avait fait ressurgir en elle.

— Je sais que tu n'as pas envie de parler, mais c'est important.

Agathe faillit lui balancer une autre réplique bien sentie, mais elle se contint à temps. Finalement, Gwen n'avait pas non plus tellement l'air d'avoir envie de parler. Agathe lui fit signe de poursuivre.

— Je ne suis pas sûre, hein... Mais je crois que j'ai trouvé la cible.

Agathe écarquilla de grands yeux, stupéfaite.

— Tu as trouvé la cible ? répéta-t-elle. Et c'est quoi ?

Gwen ouvrit la bouche pour répondre, mais au même moment, un crissement de pneus se fit entendre derrière elles. Quelque chose de lourd heurta la tête d'Agathe, et ce fut le noir complet. 

         ************

Hey! Désolée pour ce chapitre un peu déprimant...Et désolée d'avoir posté à 22h...(Toutefois il vous reste un peu de temps avant de partir en boîte ou de rester au chaud dans votre lit). Mais au moins Gwen a trouvé la cible donc vous pouvez la trouver aussi étant donné que vous avez les mêmes indices :D

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