Chapitre 2


Chapitre 2

Agathe se laissa tomber sur son lit, épuisée par cette soirée durant laquelle elle ne s'était pas amusée.

— Fatiguée d'avoir trop dansé? ironisa Alizée, la dernière à entrer dans la pièce.

— Très drôle.

Alizée sourit et grimpa sur le lit au-dessus de celui de Sakina.

— Franchement, vous avez un problème, les filles. Vous les avez vus, nos coéquipiers?

Personne ne répondit, mais Alizée ne s'en formalisa pas. Elle débordait toujours d'enthousiasme. Agathe ne comprenait pas comment une fille si heureuse avait pu accepter de se lancer là-dedans.

Sauf qu'elle n'était peut-être pas si heureuse. Elle l'avait entendue sangloter plusieurs fois, la nuit.

— A moins que vous ne soyez déjà prises? reprit la jeune femme.

Agathe ne put réprimer un sourire devant la curiosité de sa camarade de chambre.

— Pas moi, répondit-elle.

— Et toi, Gwen?

— Non plus, répondit la voix au-dessus du lit d'Agathe. A vrai dire, je n'ai jamais eu de copain. Je sais, à dix-neuf ans, c'est ridicule.

Gwen était toujours d'une franchise déconcertante.

— Je ne vois pas ce qu'il y a de ridicule. Tu sais ce qu'on dit, tout vient à point...Enfin, tu me suis. Et toi, Sakina? Il y a déjà eu quelqu'un de spécial?

Dévorée par la curiosité, Agathe se tourna vers la jeune femme pour guetter sa réaction. Mais elle garda un air impassible, comme toujours.

— Je ne vois pas en quoi ça te concerne.

— Oh, excuse-moi, répliqua Alizée, je ne sais pas ce qui m'a pris de m'intéresser à toi. C'est vrai que ça t'aurait tuée d'être sympa, pour une fois.

— Calmez-vous, les filles, intervint Agathe. Sakina a le droit de garder des choses pour elle.

Alizée ne répondit pas, mais Sakina lui adressa l'ombre de sourire avant de poser sa tête sur l'oreiller et de lui tourner le dos. Cette fille restait un vrai mystère. Fatiguée, Agathe fit de même, mais elle ne parvint pas immédiatement à trouver le sommeil. Elle ne pensait qu'à une seule chose: elle n'avait plus qu'un jour de répit.

***

Trois mois plus tôt

— La première chose à savoir concernant les mondes imaginaires, commença Harold, un chercheur qui faisait office de professeur, c'est que tout ce qui vous arriva lorsque vous y serez vous arrivera réellement.

Agathe médita un instant sur cette phrase. Non seulement elle avait encore du mal à croire que ses pensées étaient reliées à un monde, mais elle devait en plus se faire à l'idée qu'elle allait se rendre dans un de ces mondes en question. Et que voulait-il dire par réellement?

— En clair, poursuivit-il, si vous vous faites tuer dans un monde imaginaire, vous êtes réellement mort.

Il y eut un moment de silence durant lequel Agathe se demanda si elle avait pris la bonne décision en acceptant de suivre le programme.

***

Agathe se réveilla en dernier — ou plutôt, elle fut tirée de son sommeil par Gwen qui la secoua énergiquement par l'épaule en l'informant qu'elle allait prendre son petit-déjeuner. Aussitôt, elle sauta du lit et s'habilla en quatrième vitesse pour rejoindre ses coéquipiers dans la salle à manger.

Ils étaient tous là et paraissaient absorbés par la contemplation de leurs assiettes de viennoiseries. Visiblement, le réveil avait été difficile pour eux aussi.

— Ah tiens, lança Théodore, voilà Elite de la Nation.

Agathe soupira et s'assit sur la chaise en face de Gwen. Cette manie de trouver des surnoms idiots à tout le monde ne contribuait pas à le rendre plus agréable. Prenant sur elle pour ne pas répondre, elle attrapa un pain aux raisins dans la corbeille en face d'elle et entreprit de mordiller dedans sans réelle faim. Mais Théodore ne l'entendait pas de cette oreille.

— Tu es sûre de ne pas vouloir retourner préparer tes concours avec les autres élites de la nation? insista-t-il.

— Ferme-là.

C'était à peu près ce qu'Agathe s'apprêtait à dire, mais elle se rendit compte que ce n'était pas elle qui avait parlé.

— D'après ce que tu nous a dit, enchaîna Sakina, tu viens exactement du même milieu qu'elle. La différence, c'est qu'elle a intégré une prépa prestigieuse alors que tu n'as même pas ton bac.

— Pour arrêter à trois mois des concours, souligna Théodore.

Agathe sentit son estomac se contracter et se leva brusquement, marmonnant quelques mots d'excuse. Elle courut jusqu'aux toilettes pour y rendre les restes de son repas de la veille. Une fois qu'elle eut repris sa respiration, elle sortit de la cabine et se passa de l'eau sur le visage. Son corps était parcouru de tremblements. Pourquoi avait-elle si peur ? Les autres n'avaient pas l'air aussi terrifiés. Sans doute parce qu'ils avaient eu une vie difficile, et que c'était ce qui les avait poussés à accepter cette mission aussi risquée. Ils n'avaient pas peur de mourir. Agathe, elle, avait été protégée, même si elle n'aimait pas le reconnaître. Sa décision de tout arrêter ressemblait à un caprice de petite fille à côté de leur détermination. Elle souffla bruyamment et se regarda dans la glace. C'était peut-être un caprice, mais elle n'allait pas abandonner maintenant. De toute façon, elle serait bien incapable de revenir en arrière, de rentrer chez elle et de lire la déception dans le regard de ses parents. De retrouver cette sensation de n'être vivante que biologiquement, de n'être présente que physiquement.

— Agathe, ça va ?

Elle se tourna vers Gwen et se força à sourire devant la mine inquiète de son amie.

— Oui, ça va. Excuse-moi.

Gwen lui donna une petite tape amicale sur l'épaule.

—Moi aussi, j'ai les chocottes.

Cette fois-ci, Agathe n'eut pas à feindre son sourire. Gwen employait souvent des expressions un peu désuètes, ce qui l'amusait beaucoup.

— Mais tu ne dois rien regretter, poursuivit son amie. On est un peu pareilles toutes les deux. Là, tout de suite, on se dit que ce n'était pas si mal, notre vie d'avant. Qu'après tout, il ne nous est arrivé aucune tragédie, que tout est réparable.

Agathe hocha la tête. Gwen lui avait raconté qu'elle travaillait pour le restaurant de ses parents, mais qu'elle en avait eu assez des réprimandes incessantes et des journées épuisantes qui se ressemblaient toutes. Agathe ne la connaissait que depuis trois mois, mais cela lui avait suffi à comprendre les raisons qui avaient poussé Gwen, maladroite et souvent perdue dans ses pensées, à accepter une mission pareille. C'était comme si elle entrait finalement dans un de ces livres de science-fiction qu'elle affectionnait tant.

— Mais ce n'est pas vrai, lâcha Gwen qui semblait parler autant pour elle-même que pour Agathe. On ne peut pas revenir en arrière. On a pris une décision, et il nous faut l'assumer. Il n'y a rien à regretter. N'oublie pas qu'on est là pour essayer de sauver des vies, de faire quelque chose qui a du sens.

La porte s'ouvrit et Sakina entra, ce qui lui valut un regard énervé de Gwen. Agathe ne put s'empêcher de constater à quel point les deux jeunes femmes étaient différentes. Si Sakina avait peur, elle n'en montrait rien. Agathe espérait que la jeune femme n'avait pas perçu son trouble, elle ne voulait pas passer pour une poltronne – même si c'était le cas.

— Ca va, Agathe ? s'enquit-elle d'une voix étonnamment douce, ignorant le regard hostile de Gwen. C'est normal d'avoir un peu peur. Mais tu vas très bien t'en sortir.

Agathe se demanda pourquoi Sakina se montrait si gentille ce matin. Mais elle n'allait pas s'en plaindre, elle était heureuse de découvrir cette facette de sa coéquipière.

— Ca va, merci. J'espère aussi.

Sakina parut hésiter un instant, comme si elle s'apprêtait à dire quelque chose, mais elle se ravisa.

— Bon, je vous laisse alors.

***

Après avoir fini son petit-déjeuner, Taj se dirigea vers la salle commune. Il n'avait pas mangé grand chose, l'appétit un peu coupé depuis qu'Agathe avait quitté la table. Il avait toujours été comme ça : si quelqu'un était malade, il se sentait mal aussi. Pourtant, Taj n'avait pas peur. Il était même étrangement serein. Il savait que sa place était ici, même si ses parents étaient sûrement tristes qu'il soit parti.

Il se laissa tomber sur l'un des canapés en tissu et tendit le bras pour attraper un des feuillets posés sur la table basse. Etant donné qu'ils n'avaient accès à aucun média, on leur distribuait chaque jour des résumés d'actualité. Taj était content d'apprendre ce qui se passait dans le monde extérieur. Le fait d'être enfermé dans le centre d'entrainement commençait à lui peser un peu. Mais de toute façon, il n'y serait bientôt plus. Il reporta son attention sur le feuillet et parcourut les titres, lisant en diagonale.

Juvisy-sur-Orge : une femme assassinée à coups de couteau

Etats-Unis : décès d'un juge de la Cour Suprême

Paris : L'Eglise des revenants se réunit à l'hôtel Méridien la semaine prochaine

Charleville-Mézières : 5ème congrès des Nouveaux Démocrates

Ligue des champions : l'Atletico élimine le Bayern

Bagdad : 53 morts dans un attentat

Taj sentit que quelqu'un se laissait tomber sur le canapé à côté de lui.

— Comment est-ce que tu arrives à lire les actualités comme si de rien n'était ? demanda Corentin. Moi je ne pourrais pas. J'ai juste envie de me défouler pour éviter de penser à ce qui nous attend.

Taj reposa le feuillet, pensif.

— Ca ne te fait pas bizarre, toi, de te dire que tes pensées sont un monde ?

— Non, c'est tout à fait normal, ironisa Corentin.

— Non mais sérieusement, si tes pensées sont un monde, alors l'imagination est aussi réelle que tout le reste. C'est comme si plus rien n'était vraiment réel, au final.

Corentin le dévisagea étrangement.

— Tu es aussi bizarre que Gwen, en fait.

— Elle n'est pas bizarre. Ce que je voulais dire, c'est qu'au final, il n'y a plus rien à craindre. On ne peut pas avoir peur de ce qui n'est pas réel, si ?

— Je ne sais pas, répondit Corentin en haussant les épaules.

***

Les jours suivants passèrent si lentement que Taj avait l'impression qu'il s'était écoulé plus d'un mois depuis la fin du programme d'entraînement. Le matin, ils continuaient à entretenir la condition physique qu'ils avaient acquise au cours de ces trois derniers mois, mais l'après-midi, ils avaient quartier libre. Ils avaient appris tout ce qu'il y avait à savoir sur les mondes imaginaires et passaient donc leurs après-midi à errer nerveusement dans la salle commune, alternant parties de baby-foot et jeux de société. Taj avait espéré qu'ils auraient une mission dès le premier jour, mais évidemment, ça n'avait pas été le cas. Il se demanda combien de temps ils pourraient rester ici à moisir. Peut-être en avaient-ils pour des mois. Pourtant, il devait bien y avoir des criminels dangereux qui refusaient de parler. Un après-midi, alors qu'ils disputaient une énième partie de Monopoly, Théodore se leva brusquement.

— J'en ai marre de ce jeu de merde, pas vous ?

— On en a tous marre, mais on prend sur nous, rétorqua Taj, agacé.

Il supportait de moins en moins l'égocentrisme du grand blond, et il savait qu'il n'était pas le seul. Théodore lui jeta un regard amusé.

— Non, ce que je voulais dire, c'est qu'on pourrait changer de jeu. Ca vous dirait, un Action ou Vérité ?

— Tu es sûr que tu as dix-neuf ans ? railla Sakina.

— Allez, ça pourrait être l'occasion de faire connaissance.

Taj se leva, furieux.

— Tu sais très bien que si on s'est tous faits embarquer dans cette mission-suicide, c'est parce qu'on a une vie suffisamment merdique pour ne pas y tenir. Peut-être que ça t'amuse, mais je pense que tu es bien le seul.

Théodore pâlit, s'apprêtant visiblement à répliquer quelque chose, quand soudain, la porte s'ouvrit et Christine fit irruption dans la pièce.

— Suivez-moi dans la salle de réunion. Vous avez votre première mission.

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Voilà pour le Chapitre 2, merci de m'avoir lue! Je m'excuse si ce chapitre fait un peu "colonie de vacances", je ne pouvais pas les faire partir directement, si ça peut vous rassurer après ce ne sera pas tout le temps la grosse rigolade pour eux ;) Ah oui et si vous repérez des incohérences ou des trucs pas trop clairs n'hésitez pas à me le signaler je ne me rends pas toujours compte! 

Bon week-end et à Mercredi j'espère pour le Chapitre 3!

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