Chapitre 16 (J-18)



— Debout ! retentit la voix de Sakina. On n'a pas de temps à perdre. Taj, arrange-toi avec Agathe pour nous emmener à Austin.

Agathe se frotta les yeux et se rappela immédiatement qu'elle n'était plus amie avec Sakina. Cette pensée lui causa un léger pincement au cœur, mais elle se contenta de monter dans la camionnette côté passager. Taj prit place sur le siège conducteur.

— Tu es sûre que tu ne veux pas conduire ? s'enquit-il. Je peux lire une carte.

— Non, merci. Je n'aime pas trop conduire.

C'était faux. Même si elle était relativement inexpérimentée, Agathe adorait conduire. Elle avait eu son permis à dix-sept ans et demi, après un an de conduite accompagnée. Mais aujourd'hui, elle n'avait pas envie de prendre le volant.

— Ok. Pas de problème.

Taj attendit le bruit caractéristique de la porte du coffre qui se refermait pour démarrer. Agathe attendit quelques minutes avant de briser le silence.

— Pourquoi est-ce que tu ne parles plus à Gwen ?

Le jeune homme se crispa.

— Elle t'a dit ça ?

— Non, répliqua Agathe, mais il ne faut pas être un génie pour le remarquer.

— Ce ne sont pas tes affaires.

Agathe réalisa qu'elle aurait réagi exactement de la même manière si Taj lui avait posé une question similaire.

— Tu as raison, admit-elle. Mais Gwen est triste que tu l'ignores.

Taj se mordit la lèvre, le regard rivé sur la route.

— Et Sakina n'a pas l'air de très bonne humeur. Ca a un rapport avec votre discussion hier soir ? Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais ça a l'air de l'avoir secouée.

— Ce ne sont pas tes affaires, rétorqua Agathe avec un sourire satisfait.

Un bip strident les interrompit et ils constatèrent que le voyant essence s'était allumé en rouge. La voiture se mit à trembler légèrement, avant de s'arrêter.

— Merde, lâcha Taj. On est en panne d'essence.

Agathe poussa un long soupir.

— Et c'est reparti pour quelques heures de marche dans le désert.

***

La carte dépliée devant elle, Agathe s'approcha de Gwen.

— Bien dormi ?

Gwen haussa les épaules.

— Aussi bien que possible dans ces conditions. Et toi ?

Agathe grimaça en guise de réponse.

— Oh, c'est à cause de ta dispute avec Sakina ?

— Pourquoi est-ce que tout le monde est toujours au courant de tout, ici ? s'offusqua-t-elle. Et non, on ne s'est pas disputées.

— Oui, enfin, Sakina était en train de parler et elle est partie l'air énervée. Dans mon langage, ça s'appelle une dispute.

Agathe poussa un soupir, comme pour capituler.

— OK, si tu veux. Ca m'attriste qu'elle soit fâchée contre moi. Ne le prends pas dans le mauvais sens, mais il y avait une certaine complicité entre nous.

Gwen eut un sourire diabolique.

— La même complicité qu'entre toi et moi ?

Agathe fronça les sourcils, troublée par la question. Elle n'aurait pas su dire pourquoi, mais il était évident qu'elle n'avait pas la même relation avec Gwen et avec Sakina.

— Sans doute, mentit-elle. Mais tu n'as pas intérêt à être fâchée contre moi.

— Pas de risque. Déjà que Taj m'ignore sans raison, je ne tiens pas à être en mauvais termes avec tout le monde.

— Si ça peut te rassurer, je ne pense pas que ça ait un rapport avec toi. Je pense qu'il a un problème avec lui-même.

***

Agathe regarda à nouveau la carte. Cette nuit, ils n'auraient aucun endroit pour s'arrêter, mais le lendemain, ils pourraient peut-être visiter l'Université d'Austin, qui était très excentrée par rapport à la ville d'Austin en elle-même. Elle avait l'intuition qu'ils trouveraient quelque chose là-bas.

Bien qu'elle fût en charge de l'itinéraire, elle ne marchait pas en tête, pour la simple raison que c'était Sakina qui occupait ce poste. Agathe n'avait d'autre choix que de maintenir une certaine distance avec sa capitaine. Elle comprenait sa décision, mais cela n'en était pas moins douloureux. Elle ne regrettait pas d'avoir dit la vérité à Gwen, mais elle savait qu'elle aurait dû être franche avec Sakina. Son regard se porta sur le dos de cette-dernière. La jeune femme avait bronzé sous le soleil texan et sa peau avait pris une jolie teinte abricot, contrairement à Agathe qui n'avait fait qu'écoper de quelques coups de soleil. Malgré l'hématome qui marquait son bras, vestige de la confrontation avec le policier marseillais, elle était toujours aussi belle.

Se demandant soudain pourquoi elle prêtait tant d'attention au physique de Sakina, Agathe détourna brusquement le regard et se mit à réfléchir à la terroriste. Tout semblait indiquer qu'elle avait grandi dans un environnement hostile. Cette femme avait probablement subi des brimades à l'école, considéré la police comme son ennemi et peut-être même été victime de viol. Mais ces éléments n'indiquaient en aucun cas quelle était la cible de son attentat.

***

Après avoir partagé un dîner dans une ambiance pesante, Agathe vit Sakina se lever et les regarder d'un air grave.

— Il nous reste un peu plus de dix-sept jours, déclara-t-elle. Ce n'est pas beaucoup, et pour l'instant, on n'a rien découvert. Demain nous arriverons à l'université d'Austin. Autant dire qu'on a vraiment intérêt à comprendre quelque chose, parce qu'ils ne nous ont pas envoyés là pour faire un trek dans le désert.

— On n'a plus jamais reparlé du parc, intervint Corentin. Celui où on ne pouvait aller que si on était triste.

— Tu as une idée là-dessus ?

— Pas vraiment, avoua le brun. Mais je sens que c'est important. C'est tellement étrange que ça ne peut que l'être.

Agathe fronça les sourcils. Elle n'avait toujours pas résolu ce mystère. Pourtant, elle avait beau considérer tous ses aspects, elle ne parvenait toujours pas à comprendre. Lorsqu'ils eurent fini de partager leurs opinions — toutes plus farfelues les unes que les autres — sur le parc, Agathe s'approcha de Sakina. Elle savait que c'était idiot et qu'elle devait respecter son éloignement, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Il fallait au moins qu'elle s'excuse et qu'elle lui exprime l'amitié qu'elle ressentait pour elle.

— Je peux te parler une minute ?

— Je croyais avoir été claire, répliqua sèchement Sakina.

— Tu l'as été, mais pas moi. J'ai encore besoin de te parler.

Sakina lui lança un regard glacial, mais Agathe avait appris à voir au travers et savait qu'elle avait envie de l'écouter.

— OK, si tu veux. Mais tu devrais être en train de réfléchir à la cible de l'attentat au lieu de discuter avec moi.

— Je sais, mais je n'arrive pas à penser à autre chose qu'à toi.

Agathe réalisa que ce qu'elle venait de dire pouvait être mal interprété. Sakina haussa un sourcil, surprise.

— Enfin, je... Tu m'as comprise, bredouilla Agathe en rougissant.

Sa coéquipière avait à présent un sourire amusé aux lèvres.

— Très bien, céda-t-elle. Allons parler.

Sur ce, elle l'entraina un peu à l'écart, derrière le cactus le plus proche. Agathe s'assit à côté d'elle, veillant à ne pas toucher l'arbre. Même si cela amuserait sans doute Sakina, elle n'avait pas envie de se retrouver avec plein d'épines dans le dos.

— Je suis désolée, commença Agathe. J'ai dit la vérité à Gwen pour la mission, mais j'aurais dû être honnête à toi.

Sakina l'écoutait attentivement, les bras croisés sur sa poitrine.

— Mais même si je t'avais prévenue, je crois que je me serais quand même sentie coupable. C'est con, non ? Tu as raison, je devrais plutôt penser à la mission. C'est ce qui compte vraiment.

— Je te pardonne, Agathe. Je n'aurais pas dû te forcer à mentir à Gwen. Cela dit, tu as une drôle de façon de t'excuser.

Elle sourit et regarda Agathe dans les yeux. Celle-ci détourna le regard, un peu gênée.

— Pourquoi tu détournes le regard ? demanda Sakina sur le ton de la plaisanterie. Il y a autre chose que tu me caches ?

Agathe se força à regarda la jeune femme en face, troublée par leur proximité. Sakina était vraiment magnifique et ses yeux brillaient d'une rare intensité. D'un geste tendre, elle replaça une mèche d'Agathe derrière son oreille, arrachant un frisson à cette dernière. Sans trop savoir ce qu'elle faisait, Agathe s'approcha un peu plus du visage de Sakina.

Celle-ci se leva brusquement, marmonnant un vague mot d'excuse. Agathe la regarda s'éloigner, un peu hébétée. Elle savait ce qu'elle avait essayé de faire, mais elle n'en comprenait pas la raison. Elle poussa un soupir et resta assise un moment pour regarder les étoiles, profitant d'un des rares moments de solitude. 

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Toutes mes excuses, c'était le chapitre le plus court de l'histoire, mais les suivants ont une longueur normale ;)

Bon week-end!

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