Chapitre 15 (J-18)


Trois jours plus tard

Cela devait faire quatre heures qu'ils marchaient dans le désert. Ils n'avaient traversé aucun village depuis celui dans lequel les villageois les avaient attaqués. Taj s'était longuement demandé quelle était la signification de cette attaque. Et ces panneaux, « Vous n'êtes pas chez vous » ? Etait-ce simplement l'expression d'une forme de racisme, ou était-ce le signe que leur terroriste ne s'était jamais sentie chez elle nulle part ? Il réalisa qu'il aurait aimé en discuter avec Gwen, mais ce n'était plus possible puisqu'il avait décidé de l'éviter. De toute façon, il avait la gorge sèche à force de se priver d'eau et n'avait pas la moindre envie de parler.

Ils avaient prévu de remplir leurs bouteilles dans le village où ils s'étaient fait attaquer. Ils étaient partis avec quatre litres chacun et en avaient bu environ deux le premier jour, pensant repartir avec de nouveau quatre le lendemain. Mais leurs plans avaient été contrariés, et ils avaient du survivre avec moins d'un litre par jour. Taj n'avait jamais imaginé que la déshydratation pouvait être aussi dure. S'il était dans cet état en buvant tout de même presque la moitié de la ration nécessaire, il n'imaginait même pas les atroces souffrances que devait éprouver quelqu'un mourant de soif. Depuis quelques heures, tout semblait flou autour de lui. Mais étrangement, il lui semblait plus urgent de savoir que Gwen allait bien que de boire lui-même. A croire que sa stratégie de ne pas s'attacher à la jeune femme fonctionnait mal. Soudain, un bruit sourd attira son attention et il se retourna pour constater avec effroi qu'Alizée s'était effondrée, sûrement terrassée par la soif.

Aussitôt, il donna un coup de coude à son ami Corentin, et s'agenouilla par terre, ouvrant son sac pour en sortir la dernière bouteille d'eau au tiers plein qui lui restait. Il en avait besoin, mais moins qu'Alizée.

— La déshydratation peut provoquer ce genre de malaises, expliqua Corentin, tandis que Taj tentait tant bien que mal de faire boire Alizée.

A en juger par le débit du jeune homme, parler était devenue une souffrance.

— On ne va pas tenir longtemps comme ça, poursuivit-il. Agathe, quand est le prochain village ?

La brune consulta la carte, les yeux plissés. Taj voyait à son visage qu'elle n'y voyait plus très clairement non plus.

— Il y a une ville à dix kilomètres. Et un village non nommé dans deux kilomètres, mais ça risque d'être plus dangereux...

— On y va, la coupa Corentin. Personne ici n'est en état de marcher dix kilomètres sans faire un malaise comme Alizée. Alors on finit notre eau, et on se remet en route.

— Ca me paraît dangereux, intervint Sakina.

Elle faisait bonne figure malgré la soif. Taj se douta que c'était celle qui résistait le mieux physiquement. Elle avait démontré sa supériorité à l'entraînement et c'était d'ailleurs pour cela qu'elle avait implicitement été désignée comme capitaine de l'équipe.

— C'est encore plus dangereux de ne pas le faire, répliqua Corentin.

Sakina hocha la tête pour signifier son approbation. Taj attrapa le sac à dos d'Alizée et en tira sa bouteille pour lui faire boire tout ce qu'il restait, tentant de ne pas penser à sa propre souffrance. Corentin lui proposa de partager son eau, mais il refusa. Il ne pouvait pas accepter quoi que ce soit de lui en sachant ce qu'il savait.

Il tenta de se concentrer sur autre chose pour ne pas s'effondrer à son tour tandis que les autres s'hydrataient.

***

Après ce qui leur parut être une éternité, ils atteignirent enfin le village. Sakina s'arrêta, et tout le monde l'imita.

— OK, certains d'entre vous ont l'air à deux doigts de tomber dans les pommes. Je pense qu'on n'a pas besoin d'être sept pour aller chercher un peu d'eau. Il suffit d'être deux pour transporter vingt-huit litres d'eau. Qui se dévoue pour y aller avec moi ?

Agathe jeta un rapide coup d'œil autour d'elle. Taj, même s'il prenait sur lui, avait donné son eau à Alizée, qui avait elle-même montré ses limites. Les trois autres avaient eux aussi l'air mal en point, mais elle n'aurait su dire si elle-même était dans un meilleur état. Elle aurait été prête à boire n'importe quoi. Ses yeux se posèrent sur Sakina. Les deux jeunes femmes s'étaient beaucoup rapprochées durant ces derniers jours et étaient à présent plutôt complices. Malheureusement, la joie d'être enfin sur la même longueur d'onde que sa coéquipière était entravée par la vive culpabilité qu'elle ressentait à l'idée de l'avoir trahie.

— Moi, dit-elle, se rapprochant de leur capitaine.

Sakina lui adressa un sourire à peine perceptible.

— Très bien, donnez-nous vos bouteilles, on va vous donner nos provisions. Et on va avoir besoin de deux sacs à dos supplémentaires, parce que caser quatorze bouteilles dans un seul sac, ça va pas être possible.

Ils s'exécutèrent en silence, puis elles enfilèrent un sac à dos à l'arrière et un à l'avant. Tandis qu'elle suivait Sakina, Agathe ne put contenir un petit rire. Sakina se tourna vers elle, mi-agacée, mi-amusée. Agathe adorait la voir faire cette tête.

— Quoi ?

Incapable de faire une phrase en entier, Agathe désigna du doigt leur accoutrement avant de pouffer à nouveau.

— Tu es vraiment incorrigible. On est tous sur le point de mourir de soif, et tu te marres parce qu'on a l'air bête, fit mine de s'offusquer Sakina.

Agathe admira intérieurement la longueur des phrases que Sakina parvenait à faire et se força à retrouver son calme. Elles passèrent devant une école et Sakina s'approcha de la porte.

— Qu'est-ce que...

Elles constatèrent toutes les deux avec surprise que la porte était ouverte.

— C'est ouvert, expliqua Sakina avant de fermer les yeux et de grimacer.

C'était typique de Sakina. Elle souffrait autant que les autres, mais elle s'était amusée à faire des phrases entières pour ne pas le montrer.

— Ecole. Toilettes. Eau.

Agathe opina du chef et suivit Sakina à l'intérieur. Elles suivirent le panneau qui indiquait « Toilettes » en anglais et pénétrèrent dans ce qui paraissait être la cour de récréation.

Aussitôt, elles remarquèrent qu'une foule d'enfants occupaient l'espace. Malgré tout, elles continuèrent à avancer. Si elles se comportaient comme si elles étaient dans leur bon droit, peut-être que personne ne les remarquerait. A sa droite, Agathe remarqua qu'un enfant faisait un croche-pied à un autre. A sa gauche, une petite fille était à cheval sur un de ses camarades et lui assénait coup de poing sur coup de poing. Agathe frissonna malgré la température qui devait dépasser quarante degrés. Le comportement de ces enfants était terrifiant, et tout cela était réel dans ce monde.

Soudain, elle ressentit une douleur fulgurante à la tempe et vit un caillou retomber par terre. Elle constata avec horreur que tous les enfants semblaient désormais avoir oublié leurs différends, et s'étaient armés de pierres. Tous les regards convergeaient sur elles, comme s'ils s'étaient mis d'accord pour en faire leur cible.

— Vite, souffla Sakina. Là-bas.

Elles se mirent à courir, mais bientôt Agathe se retrouva encerclée par une dizaine d'enfants tandis que Sakina avait réussi à leur échapper. Trois petits garçons se jetèrent sur elle et se mirent à la rouer de coups. Ce n'étaient que des enfants, mais ils étaient nombreux. Agathe asséna un coup de coude à un enfant qui tentait de l'étrangler et le projeta par terre d'un mouvement de hanches. Elle envoya également valser celui qui lui faisait face et écarta deux fillettes d'un coup de pied circulaire.

Mais très vite, d'autres enfants vinrent prêter main forte à leurs camarades et elle ne parvint plus à se libérer de ses assaillants. Ils étaient à présent quatre à lui envoyer coup sur coup, tandis que d'autres étaient prêts à intervenir. Affaiblie par la soif, Agathe sentit sa vision se brouiller et ses jambes vaciller, avant de s'écrouler par terre. Un garçon qui paraissait âgé d'une dizaine d'années en profita pour se placer à califourchon sur elle et continua à la frapper au visage. Bientôt, le goût du sang se mêla à sa salive et elle sentit qu'elle était sur le point de perdre connaissance.

Tout à coup, elle vit les bras musclés de Sakina soulever le garçon et le jeter sur le côté sans ménagement. La jeune femme fut à son tour attaquée de tous les côtés. Agathe se força à se lever pour lui porter secours. Elle parvint à mettre quatre enfants hors d'état de nuire, avant de chanceler à nouveau. Cette fois-ci, sa tête heurta le bitume et ce fut le noir complet.

***

Agathe fut réveillée par la sensation de l'eau coulant sur son visage. Son premier réflexe fut d'essayer d'en capter une goutte, avant d'ouvrir les yeux.

— Dieu merci, lâcha Sakina. Tu m'as fait peur.

Sakina l'avait sauvée. Cela commençait à devenir un phénomène récurrent. La jeune femme se pencha sur elle avec une bouteille d'eau remplie et l'aida à boire.

— Merci, souffla Agathe une fois la dernière gorgée avalée.

En regardant Sakina de plus près, elle constata qu'elle saignait.

— Tu saignes.

Sakina esquissa un sourire.

— Je suis désolée de te dire ça, mais ce n'est rien comparé à toi.

Agathe passa une main sur son visage et lorsqu'elle la retira, elle était couverte de sang. Certaines parties étaient douloureuses, mais elle n'avait rien de cassé.

— Ce n'est rien, dit-elle en haussant les épaules.

Sakina la regarda d'un drôle d'air et, après avoir bu à son tour, se mit à remplir les bouteilles.

— On va sortir par la fenêtre, OK ? Je n'ai pas vraiment envie d'avoir affaire une seconde fois à ces gamins diaboliques.

Sur ce, elle attrapa deux des sacs à dos remplis et les balança par la fenêtre, avant de faire la même chose avec les suivants. Elle fit signe à Agathe de la rejoindre. Cette dernière s'exécuta et poussa un cri en apercevant son reflet dans le miroir.

— Putain, je comprends ce que tu voulais dire. Je ressemble à Hulk.

— Hulk a plus de muscles, plaisanta Sakina.

Devant la mine déconfite d'Agathe, elle ajouta :

— Allez, ça te donne un petit côté Lara Croft. C'est sexy.

Agathe savait qu'elle ne disait ça que pour être gentille, mais le compliment lui fit plaisir malgré tout. Lorsqu'elle arriva au niveau de la fenêtre, un pli apparut sur le front de Sakina, signe qu'elle se concentrait. Elle enjamba la fenêtre et atterrit à l'extérieur en un rien de temps, puis tendit une main à Agathe. Se sentant encore un peu instable, celle-ci l'attrapa et se hissa sur le rebord avant de sauter à terre.

— Prends-en un seul, proposa Sakina. Je m'occupe du reste.

Agathe secoua la tête. Elle voulait bien être aidée, mais il y avait des limites.

— Hors de question que tu portes vingt-et-un kilos à toi toute seule, protesta-t-elle en s'emparant du premier sac.

Sakina s'approcha d'elle, un sourire de défi aux lèvres.

— Tu crois vraiment que porter vingt-et-un kilos sur cinq cent mètres me fait peur ?

— Non, de même qu'en porter quatorze ne va pas me fatiguer, répliqua Agathe.

Visiblement peu disposée à argumenter, Sakina se plaça devant les trois sacs restant pour empêcher Agathe d'y toucher.

— Tu viens de faire un malaise et tu es dans un sale état. Je ne veux pas que tu portes des trucs lourds.

Agathe poussa un soupir, consciente que sa coéquipière ne céderait pas.

— Il y a une seconde, je ressemblais à Lara Croft, et maintenant je suis dans un sale état.

Une lueur amusée apparut dans les yeux de Sakina.

— Tu ressembles à Lara Croft quand elle est dans un sale état. Bon, plutôt que de discuter, viens. Les autres nous attendent.

Agathe s'exécuta et elles ne mirent pas longtemps à rejoindre le reste du groupe. Assoiffés, ils se jetèrent littéralement sur les bouteilles. Seule Alizée prit le temps de demander à Agathe si elle allait bien.

— Doucement quand même, tempéra Sakina. On ne sait pas jusqu'à quand on devra tenir avec ça.

— Facile à dire, rétorqua Théodore, tu viens de te remplir le gosier.

Agathe serra les poings, énervée par la remarque injuste du jeune homme.

— Elle a pu boire parce qu'elle est allée chercher l'eau alors que tu es resté là. Tu ne me sembles pas en position de faire des remarques.

— Oh, fit Théodore, Elite de la Nation recommence avec son complexe de supériorité. Elle se croit meilleure que nous parce qu'elle sort avec la grande Sakina Zaidi, chef autoproclamée.

Agathe allait protester, mais elle se rappela ce que lui avait dit Sakina. Plus elle niait, plus elle avait l'air coupable. Ce fut Gwen qui se chargea de la défendre.

— Elles ne sortent pas ensemble, alors garde tes fantasmes pour toi et arrête de chercher les embrouilles avec tout le monde.

Agathe ne put réprimer un large sourire en voyant Gwen s'imposer et prendre sa défense de cette façon.

— Bon, intervint Sakina comme si elle n'était pas concernée par la conversation, si vous avez fini, je propose qu'on se remette en route.

Ils rassemblèrent leurs affaires et Agathe déplia à nouveau la carte d'Eléonore pour repérer leur itinéraire.

***

Taj et le reste du groupe suivirent Agathe, qui menait la marche. La jeune femme avait le visage en sang, et il se demanda ce qui s'était passé. Il s'approcha de Sakina.

— Vous avez dû vous battre pour avoir de l'eau ?

Sakina se mordit la lèvre.

— On a voulu aller remplir les bouteilles dans les toilettes d'une école.

— Et une maîtresse vous a attaquées ?

— Non. Des enfants dans la cour de récréation... Ils étaient horribles. Ils étaient à dix sur Agathe, elle ne pouvait rien faire.

Ce récit mit Taj un peu mal à l'aise.

— J'ai l'impression que notre terroriste a été beaucoup rejetée et exclue tout au long de sa vie.

Sakina haussa les épaules.

— Ca n'a rien de très étonnant.

Taj réalisa qu'il n'avait pratiquement pas discuté avec leur capitaine depuis le début de l'aventure. Il entendit le bruit caractéristique d'une portière de voiture qui claquait, et ses yeux se posèrent sur l'homme qui en sortait.

Soudain, Théodore leur fit signe de s'arrêter. Il attendit que l'homme se soit suffisamment éloigné pour parler.

— Je crois qu'il n'a pas fermé la voiture à clé.

Il s'approcha du véhicule et ouvrit la portière avec un sourire triomphant.

— Et il a même laissé la clé sur le moteur. Montez.

Taj allait protester, mais il se contint. Si voler une voiture semblait à première vue une mauvaise idée, cela pouvait aussi leur permettre de gagner un temps considérable. Sakina s'avança pour ouvrir le coffre, tandis que Théodore demandait qui avait son permis. Sakina, Taj, et Agathe levèrent la main.

— Ok, Taj Mahal, tu veux bien conduire ? Sakina et Elite de la Nation ont besoin de se reposer.

Irrité par ce surnom, Taj se mordit la lèvre, mais pour une fois, ce n'était pas dit méchamment, alors il se contenta de s'installer sur le siège conducteur.

***

Quelques heures plus tard, ils décidèrent de s'arrêter pour dormir au milieu de nulle part. Ils s'assirent à même le sol, et Sakina entreprit avec délicatesse de nettoyer le visage d'Agathe. Celle-ci se laissa faire sans broncher. En fait, c'était une sensation plutôt agréable. Pourtant plus elle était proche, plus elle se sentait mal en songeant à ce qu'elle avait dit à Gwen. Elle ne pouvait pas garder cela pour elle plus longtemps. Elle espérait seulement que cette révélation n'allait pas détruire leur amitié toute récente.

— Sakina ?

La jeune femme stoppa ce qu'elle était en train de faire pour plonger ses yeux bruns dans ceux d'Agathe. Elle lui sourit, et Agathe détourna le regard. Pour une fois, elle aurait préféré que sa capitaine se montre moins gentille.

— Oui ?

— Il faut que je te dise quelque chose.

Le sourire de Sakina s'évanouit, comme si elle avait senti au ton d'Agathe que ce qu'elle s'apprêtait à dire allait lui déplaire.

— ­J'ai dit la vérité à Gwen sur ce qui s'était passé à Marseille.

Agathe sentit tous ses muscles se crisper, craignant un déferlement de colère de la part de sa coéquipière. Mais il n'en fut rien ; Sakina se contenta de lui jeter un regard un peu blessé.

— Je croyais que je pouvais te faire confiance.

Elle se leva, et Agathe se fit la réflexion qu'elle aurait préféré qu'elle soit furieuse.

— J'ai fini de nettoyer, ajouta-t-elle. Du coup, je préfèrerais qu'on s'en tienne au minimum côté conversation. Ne viens pas me parler à moins que ce soit absolument nécessaire.

Ces paroles firent à Agathe l'effet d'un coup de couteau en plein cœur. Désemparée, elle regarda Sakina rejoindre le reste du groupe. Elle ressentait le besoin urgent de dire quelque chose qui puisse la retenir, mais elle ne trouva pas les mots et resta silencieuse. 

                  ****************

Hello! J'espère que vos épreuves se passent bien!(Moi j'en suis venue à parler de Wattpad pendant mes entretiens de perso lol)

Bon du coup rien ne va plus, Taj et Gwen ne se parlent plus, Sakina et Agathe non plus (pour changer), et ils ne trouvent rien de mieux à faire que de voler une voiture...

Bon courage pour la suite, bon appétit, et à Samedi :)


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