Chapitre 12 (J-22)



Sakina se redressa et poussa un soupir. Agathe pouvait presque sentir sa nervosité.

— Bon, commença-t-elle, quand je vous ai dit que je m'étais faite virer de chez moi parce que je suis gay, ce n'était pas vrai. Enfin, pas vraiment.

Agathe fronça les sourcils.

— Attends, donc en fait, tu es hétéro ?

Sakina secoua la tête en riant.

— Non, ça, c'était vrai. Mais ce ne s'est pas passé comme ça.

Agathe décida de se taire et de l'écouter avant de dire une bêtise supplémentaire.

— En fait, reprit-elle, en Terminale, je suis sortie avec une fille pour la première fois. Elle s'appelait Laëtitia.

Agathe remarqua qu'elle parlait à l'imparfait et son cœur se serra. Elle se doutait que la suite allait être difficile.

— Je savais que ça allait mal se finir, mais... Je ne sais pas, je pensais que si ça restait un secret il n'y aurait pas de conséquences. J'avais tort.

Jusque-là, Agathe n'avait jamais réalisé à quel point l'homosexualité pouvait être difficile à vivre. Comme ça ne la concernait pas, elle n'y avait jamais vraiment réfléchi. Elle serra la main de Sakina pour lui témoigner son soutien.

— Un jour, mon frère est rentré plus tôt que prévu, et il nous a surpris en train de nous embrasser. Il s'est mis dans une colère noire, a ordonné à Laëtitia de partir et m'a plaquée contre le mur.

Agathe serra le poing qui était libre. Le frère de Sakina avait l'air d'une ordure. Sakina ferma les yeux comme si parler devenait difficile.

— Il m'a demandé si je réalisais à quel point nos parents seraient malheureux s'ils apprenaient que leur fille était un monstre. Ensuite, il m'a dit d'arrêter de la voir. Il m'a dit si je ne suis lui obéissais pas, il... Il la tuerait.

Elle détourna le regard, et Agathe comprit qu'elle luttait contre les larmes.

— Je pensais qu'il avait dit ça sous le coup de la colère. Je ne l'ai pas pris au sérieux. J'aurais dû, parce que...

Sa voix se brisa et elle essuya une larme. Agathe accentua la pression sur sa main.

— Deux semaines plus tard, elle a été retrouvée morte.

Agathe ne put contenir un frisson en entendant cette phrase et ce qu'elle insinuait.

- Je suis rentrée chez moi, poursuivit-elle, et je me suis jetée sur mon frère en l'accusant de l'avoir tuée. Mon père est intervenu et nous a séparés. Il a demandé de qui on parlait, et mon frère lui a dit. Il a refusé de le croire même si j'ai confirmé. Je suis allée dans ma chambre pour préparer mes affaires et je suis partie. Je ne pouvais pas rester une seconde plus dans la même maison que...

Sakina serra les dents et Agathe admira sa force. Elle n'avait laissé échapper qu'une seule larme alors qu'elle-même en avait versé des torrents pour pas grand chose.

— De toute façon ils m'auraient sûrement virée. Bref, je suis partie à Nantes, j'avais une amie qui pouvait m'héberger. Je ne suis pas allée à l'enterrement. Et je n'ai jamais été voir la police pour leur dire ce que mon frère avait probablement fait. Je n'ai pas réussi. D'après ce que j'ai entendu, la police n'a jamais fait le lien. Ils n'ont arrêté personne.

Elle marqua une pause.

— Je sais que je suis responsable de sa mort. Et le pire, c'est que je l'ai trahie en ne dénonçant pas mon frère.

Ces paroles fendirent le cœur d'Agathe.

— Ne dis pas ça, protesta-t-elle. Sakina, regarde-moi.

La jeune femme plongea son regard d'un noir profond dans celui d'Agathe.

— Ce n'est absolument pas de ta faute, affirma Agathe. Tu l'as aimée, et personne ne devrait avoir le droit de te faire sentir coupable pour ça. Tu ne pouvais rien faire.

— Ce n'est pas si simple, soupira Sakina. J'aurais dû la protéger, même si ça impliquait de l'éloigner d'elle.

Agathe secoua la tête.

— Tu n'as rien à reprocher. Tu es une victime dans cette histoire, pas l'inverse.

Sur ce, elle enlaça sa coéquipière et à la sensation humide sur épaule, elle devina que Sakina pleurait.

***

Taj sentit une goutte, puis une deuxième.

— Oh oh, fit-il, il va pleuvoir.

— Super, grommela Gwen. T'as une idée ?

Taj désigna une porte cochère du doigt.

— S'abriter, pour commencer, proposa-t-il d'un ton amusé.

— D'accord, petit génie, mais on va quand même avoir froid.

Il haussa les épaules, plutôt amusé par la situation.

— On n'aura qu'à se blottir l'un contre l'autre.

Venait-il vraiment de dire ça ? Un instant, il eut peur que Gwen interprète mal ses propos, mais à son grand soulagement, elle se contenta d'un petit rire. Il se dirigea vers la porte cochère et Gwen le suivit. Lorsqu'ils furent assis, Taj décida d'engager la conversation.

— Bon, pour résumer un espèce de dinosaure vert envahit Marseille toutes les nuits. Ca veut dire quoi, d'après toi ?

Gwen fronça les sourcils.

— Qui te dit qu'il n'y en a qu'un ?

Comme toujours, elle avait une longueur d'avance sur lui.

— Peut-être qu'ils sont plusieurs, admit-il. Mais qu'est-ce que ça t'évoque ?

Elle eut l'air embarrassée, et il en déduisit qu'elle y avait déjà réfléchi.

— Franchement, ces monstres m'ont l'air de ceux que les enfants voient dans leurs cauchemars...

— Donc tu penses que ça n'a pas de signification particulière.

— Si. Tu vas trouver ça sordide, mais j'ai peur que notre terroriste ait été victime d'inceste.

Taj réprima un frisson, mais dut reconnaître qu'elle avait peut-être raison. Cela expliquerait les monstres dans le noir. Il se rendit compte que Gwen tremblait et passa maladroitement un bras derrière son dos. Aussitôt, un nouveau frisson le parcourut et il réalisa qu'il aurait aimé être encore plus près d'elle. Il s'en doutait depuis quelques temps, mais à présent il était certain d'avoir des sentiments pour Gwen. Il se promit de tout faire pour s'en débarrasser dès le lendemain. Il était ici pour se concentrer sur sa mission, pas pour nouer des relations. Lorsqu'il était avec Gwen, il se sentait léger, insouciant, presque heureux, et cela le terrifiait. Il ne pouvait pas commencer à avoir envie de vivre maintenant alors qu'il allait probablement mourir. De toute façon, il ne méritait pas d'être heureux. Il ne devait pas essayer. Mais pour le moment, il devait prendre soin de Gwen. Il sentit la tête de celle-ci se poser sur son épaule et tâcha de rester immobile pour lui permettre de dormir paisiblement.

***

— Debout, c'est l'heure du petit-déj ! cria la voix d'Eléonore.

Agathe poussa un grognement et cligna des yeux, aveuglée par la lumière du matin. Elle sentit avec surprise un autre corps couché auprès d'elle et se rappela d'un coup la discussion qu'elle avait eue avec Sakina pendant la nuit.

— Oh, poursuivit leur hôtesse, vous auriez dû me dire que vous étiez en couple, je vous aurais mis dans la chambre parentale.

Agathe se redressa brusquement.

— Quoi ?

Elle se rendit compte qu'elle tenait toujours la main de Sakina et comprit que cela pouvait porter à confusion. D'ailleurs, le simple fait d'avoir dormi dans le même lit pouvait être mal interprété.

— Oh, euh, non, bredouilla-t-elle, on n'est pas ensemble, c'est juste qu'on a discuté et...

— T'inquiète pas, l'interrompit Eléonore avec un clin d'œil, je ne suis pas homophobe. Rejoignez-nous dans la salle à manger quand vous serez habillées.

Agathe allait protester une nouvelle fois, mais Eléonore franchit la porte sans lui en laisser le temps. Elle se tourna vers Sakina et constata avec consternation que celle-ci était hilare.

— Ca te fait rire ? Elle croit qu'on est en couple !

Sakina se mit à rire de plus belle.

— Tu aurais dû voir ta tête, la taquina-t-elle avant de se lever.

Agathe se leva à son tour, déroutée par le comportement de sa coéquipière.

— Elle va dire à tout le monde qu'on sort ensemble alors que ce n'est pas vrai, ça ne te dérange pas plus que ça ?

Sakina haussa les épaules.

— Ca me fait plutôt rire. Et plus te défends, plus ça a l'air vrai.

— Et qu'est-ce que je suis censée faire ? répliqua-t-elle.

— Détends-toi, ce n'est pas très grave.

Sur ce, Sakina partit rejoindre les autres dans la salle à manger. Agathe était un peu énervée. Evidemment, pour elle, ce n'était pas grave, puisqu'elle avait réellement une préférence pour les filles. Mais ce n'était pas le cas d'Agathe, et, même si elle n'était pas homophobe, elle n'aimait tout simplement que des fausses informations circulent sur elle.

Elle finit par ravaler sa colère et se rendre dans la salle à manger pour déjeuner avec les autres. Eléonore avait étendu une carte sur la table.

— Ah, fit-elle en la voyant arriver, te voilà, Agathe. Pas trop fatiguée après cette nuit ?

Agathe la fusilla du regard tandis qu'elle sentait les regards interrogateurs de ses coéquipiers se poser sur elle. Eléonore était probablement toujours fâchée du coup de poing qu'elle avait reçu. Agathe repensa à Gwen et Taj et sa gorge se noua.

— Je disais que j'avais tracé le chemin pour aller d'ici à Austin sur la carte. Mais à pied, il faudra compter une dizaine de jours et c'est très dangereux.

Agathe fit un rapide calcul mental. Il resterait environ douze jours pour découvrir la vérité une fois qu'ils seraient à Austin. Mais rien ne leur garantissait de trouver plus d'indices là-bas. Elle attrapa un biscuit fourré à la framboise et savoura son premier petit-déjeuner depuis plusieurs jours.

— Je vais vous donner pas mal de provisions, poursuivit Eléonore. Et beaucoup d'eau, vous en aurez besoin.

Une vingtaine de minutes plus tard, ils avaient rempli généreusement leurs sacs à dos de provisions et de bouteilles d'eau minérale.

— A qui je donne la carte ? A Sakina ?

— Non, répondit cette-dernière, donne-là à Agathe, c'est une scientifique, elle se débrouillera mieux.

Eléonore se tourna vers Agathe avec un sourire et lui tendit le plan.

— Ta copine te fait confiance, à ce que je vois.

Agathe leva les yeux au ciel et s'empara du papier.

***

— Bon, déclara Sakina, on ferait mieux de se mettre à la recherche de Taj et Gwen.

— On se sépare ou on y va tous ensemble ? demanda Alizée.

— Autant rester ensemble. Sinon, le temps qu'on se retrouve, ce sera aussi long.

Ils se mirent en route et Sakina se rapprocha d'Agathe, un sourire moqueur aux lèvres.

— Tu fais toujours la tête ?

Agathe céda et lâcha un petit rire.

— Non, tu avais raison. Ce n'est pas très grave. Et puis, je suis plutôt chanceuse dans mon malheur.

Le sourire de Sakina s'élargit.

— Ca veut dire quoi, ça ?

— Quitte à ce que tout le monde pense que je suis en couple avec une fille, autant avoir une copine canon.

— Donc je suis canon ? Intéressant.

Agathe donna un petit coup de coude à sa coéquipière.

— T'as surtout de belles chevilles, à ce que je vois.

— Je sais, on me le dit souvent. Bon, je vais aller voir un peu les garçons, sinon ils vont vraiment y croire.

A l'instant où elle se retrouva seule, Agathe fut assaillie par une vague d'inquiétude. Il fallait qu'ils retrouvent Gwen et Taj. Elle n'osait pas imaginer le cas contraire. Elle entendit des pas s'approcher d'elle et se tourna vers Alizée.

— Alors, s'enthousiasma celle-ci, vous sortez ensemble ! C'est trop mignon !

Agathe leva les yeux au ciel mais continua à sourire.

— Je suis désolée de te décevoir, mais il y a un malentendu. Je suis hétéro.

Alizée eut l'air un peu déçue.

— Mais quand même, tu ne la trouves pas sexy, Sakina ?

— Euh... Sûrement, j'ai pas fait attention.

Alizée afficha un air satisfait et s'apprêtait à répondre quelque chose, lorsque Corentin poussa un cri.

— Les voilà !

Agathe sentit un soulagement intense s'emparer d'elle et ne put s'empêcher de courir vers son amie. Gwen, pas le moins du monde gênée par ce comportement, fit de même en la voyant. Elles se jetèrent l'une dans les bras l'autre comme si elles ne s'étaient pas vues depuis des mois.

— Tu es vivante, souffla Agathe.

— Tout ce qu'il y a de plus vivante, répliqua la jeune rousse. 

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Hey, juste un chapitre de transition pour aujourd'hui, personne n'a donné de coup de poing à personne, on peut leur donner une image! Ca m'a quand même fait marrer de mettre Agathe mal à l'aise, je suis méchante avec mes personnages...

Bon sur ce je retourne à mes révisions (ce moment où t'es admissible à des écoles que tu pensais pas avoir et du coup t'es content mais t'es en panique parce que t'as pas trop révisé...), bon week-end :)

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