Chapitre 1
Agathe Lemercier quitta le ring, épuisée et trempée de sueur. Elle marcha tant bien que mal jusqu'au banc sur lequel était assise Gwenaëlle. La jeune femme avait l'air aussi exténuée qu'elle, bien que sa séance se soit terminée avant; son visage avait pris une teinte pivoine et des mèches rousses s'échappaient de sa queue de cheval, collant à son visage.
— C'était physique, lâcha-t-elle en se laissant tomber sur le banc.
Gwen émit un grognement, comme pour signifier son consentement.
—Ça a été? s'enquit Agathe.
—Non, c'était horrible, comme d'habitude. Je me demande comment elle fait.
Agathe suivit le regard de Gwen. Elles étaient en face du ring sur lequel Sakina Zaidi simulait un combat à l'arme blanche avec l'un des instructeurs. La jeune femme esquivait les coups avec une facilité déconcertante. Agathe ne put réprimer un soupir admiratif.
— Elle est douée, admit-elle. Mais les autres se débrouillent bien aussi.
— Oui, enfin, Sakina, c'est un autre niveau. Et elle n'est même pas décoiffée.
Agathe observa à nouveau la jeune combattante avec une pointe de jalousie. Sa chevelure noire et brillante était parfaitement en place, et elle n'avait même pas l'air de transpirer. Agathe n'osait même pas imaginer à quoi son propre reflet devait ressembler dans un miroir. Ses cheveux bruns semblaient mettre un point d'honneur à ne pas choisir leur camp, tantôt lisses, tantôt bouclés. Sakina, elle, était tout simplement magnifique. Son short et son débardeur mettaient en valeur son corps musclé et sa peau dorée. Après plus d'une minute d'esquive, elle finit par assener un coup à son adversaire à l'aide de son couteau en bois. Elle arrêta son geste au moment où elle toucha l'instructeur.
— Parfait, Sakina, commenta ce dernier. Tu peux y aller.
Elle le remercia d'un hochement de tête et passa entre les cordes du ring. Sans un regard pour Gwen et Agathe, elle marcha d'un pas rapide en direction des douches. Agathe était habituée au comportement froid de la jeune femme, mais elle ne pouvait s'empêcher d'espérer qu'elle leur accorde ne serait-ce qu'une marque de sympathie.
— Toujours aussi aimable, à ce que je vois.
Gwen haussa les épaules.
— Elle n'est pas méchante, c'est ce qui compte. Moi, ça ne me dérange pas qu'on ne m'adresse pas la parole. Toi, tu n'as pas l'habitude, c'est tout.
Gwen manquait cruellement de confiance en elle, mais Agathe avait décelé chez sa nouvelle amie une intelligence hors du commun. Malgré ses difficultés à suivre l'entrainement physique, elle n'était certainement pas là par hasard.
— On va à la douche? suggéra Agathe d'un ton enjoué.
Gwen obtempéra et elles se levèrent courageusement pour se rendre dans la salle d'eau. Une fois sous la douche, Agathe ferma les yeux et se laissa tomber contre la paroi carrelée. La douche était un des rares moments où elle était seule. Elle se demanda une fois de plus pourquoi elle avait accepté cette mission qui relevait presque du suicide. Certes, elle ne pouvait plus supporter sa vie, mais elle n'avait pas envie de mourir pour autant. Tout paraissait si fou. Peut-être était-elle devenue folle.
Elle augmenta la température de la douche, elle n'aurait probablement pas l'occasion de prendre des douches brûlantes avant longtemps. L'espace d'un instant, elle songea à sa vie d'avant. Elle pouvait encore arrêter, rentrer chez elle, retrouver le confort matériel et la sécurité. Après tout, elle avait décrété que cela ne lui suffisait pas, mais qu'en savait-elle vraiment? Peut-être que le plaisir d'un bon repas savouré était réellement plus important que les larmes qui venaient la nuit. Peut-être qu'elle cherchait quelque chose qui n'existait nulle part. Pourtant, même si Agathe était terrifiée, elle ressentait aussi quelque chose de nouveau. Elle ne savait pas ce que c'était, mais elle était prête à tout risquer pour le découvrir.
***
En entrant dans la chambre qu'elle partageait avec les trois autres filles de la mission, Agathe tomba nez à nez avec Sakina, vêtue d'une robe rouge qui lui allait à merveille.
— Waouh, lâcha-t-elle, oubliant l'espace d'un instant qu'un compliment risquait d'agacer plus qu'autre chose la personne à qui elle s'adressait. Tu es sublime.
A peine eut-elle prononcé ces paroles qu'elle eut envie de disparaître sous terre. Sakina leur avait fait comprendre de façon plutôt explicite qu'elle n'était pas là pour se faire des amis. Mais à la grande surprise d'Agathe, Sakina lui jeta un regard amusé.
— Tu es en jean, constata-t-elle sans la remercier.
— Bien joué, Sherlock.
Voilà qu'elle se mettait à taquiner une fille qui pouvait la mettre au tapis en moins de dixième de seconde. Elle ne donnait pas cher de sa peau en mission avec ce genre de réflexes.Sakina n'eut pourtant pas l'air de s'offusquer.
— Ce soir, on fête la validation du programme d'entrainement, tu as oublié?
Agathe n'avait pas oublié.
— Non, mais je ne vois pas en quoi ça implique de se mettre en robe.
Sakina continuait à la fixer, indéchiffrable.
— Ca implique qu'à partir d'après-demain, on peut nous demander de partir d'une minute à l'autre. Alors ce soir, c'est probablement ta dernière fête. Ta dernière occasion de mettre une jolie robe et de danser toute la nuit.
— Peut-être, mais je déteste les robes, répliqua Agathe.
— Pourquoi tu détestes les robes? demanda une voix derrière elles.
Agathe se retourna. Alizée Thomas se tenait dans l'encadrement de la porte, les bras croisés sur sa poitrine. La jeune quarteronne d'origine ivoirienne portait une robe verte qui mettait en valeur ses yeux couleur émeraude. La vision d'Alizée et de Sakina habillées ainsi avait de quoi complexer n'importe qui. Agathe avait l'impression de partager une chambre avec deux Miss France. Gwen était plutôt jolie aussi, mais elle avait au moins la décence de se cacher derrière des sweats à capuche trop grands pour elle.
— Je déteste les robes, c'est tout, finit par répéter Agathe en se rappelant qu'Alizée attendait une réponse. Ce n'est pas un crime, et je ne vois pas pourquoi je devrais me justifier.
Alizée haussa les épaules.
— Si c'est une question de goûts, pas de problème. Mais si tu complexes, sache que oui, c'est un crime de ne pas exhiber tout ça comme il se doit.
Alizée n'y allait jamais par quatre chemins. Agathe chercha du secours auprès de Sakina, mais celle-ci semblait s'être désintéressée de la conversation, farfouillant dans ses affaires. Son accès de sympathie n'avait pas duré. Au moment où elle s'apprêtait à répondre que c'était bien une question de goûts, Gwen fit irruption dans la pièce. Alizée se rua sur elle.
— Hé, Gwen! Tu ne voudrais pas mettre une robe ce soir? Je t'aide à choisir.
— Si tu veux, mais rien de trop voyant.
— Cool. Agathe, tu viens?
Agathe secoua la tête et s'affala sur son lit, se sentant un peu trahie. Elle n'aimait pas les robes, mais elle n'aimait pas non être la seule à ne pas être en robe.
***
Taj Sharma prit place à table pour le dîner. Il observa un instant les six camarades avec qui il allait partir en mission. Partir, pour ne probablement jamais revenir. En un sens, Taj était soulagé. Il se demanda si c'était le cas des quatre filles et des deux autres garçons autour de la table.
— Alors, Taj Mahal, on se fait attendre? lança Théodore, un grand blond insupportable avec tout le monde qui s'amusait à leur trouver des surnoms idiots.
Taj le fusilla du regard sans répondre. Il continua son observation et constata que comme lui, presque tout le monde avait fait un effort vestimentaire. Les garçons étaient en costume et les filles en robe - à part Agathe qui portait son éternel combo jean et t-shirt large. Il se demanda pourquoi une fille comme elle, qui était objectivement belle, ne faisait aucun effort pour le montrer. N'écoutant pas un mot de la conversation qu'Alizée avait engagée, il laissa son regard se poser sur Gwen, qui paraissait extrêmement mal à l'aise dans cette tenue. Il sentit le coude de Théodore s'enfoncer dans ses côtes.
— Mec, chuchota-t-il, si tu veux mater, fais-le plus discrètement.
Taj lui adressa un nouveau regard noir. Le reste du dîner et de la soirée passa dans une sorte de brouillard, tant Taj était ailleurs. Alizée se déhancha sur la piste, dansant tour à tour avec Corentin et Théodore. Sakina finit par se prêter un peu en jeu, mais cela ne dura pas très longtemps. Taj resta assis pendant toute la soirée, tout comme Agathe et Gwen, malgré les nombreuses tentatives d'Alizée pour les entraîner sur la piste. L'une avait l'air de s'ennuyer sec, tandis que l'autre semblait plutôt mal à l'aise. Taj songea un instant à inviter Gwen à danser, mais il se ravisa. Il n'était pas ici pour se distraire ou pour nouer des liens.
Trois mois plus tôt
Taj regardait autour de lui sans rien comprendre. Il était dans une sorte de minuscule salle de conférences, avec d'autres jeunes qui devaient avoir son âge. Une femme d'une quarantaine d'années, avec une coupe au carré, prit la parole.
— Je suppose que vous demandez ce que vous faites ici, tous les huit.
Elle supposait bien. Depuis qu'il était parti de chez lui, Taj ne savait plus trop où il en était. Et maintenant ça. C'était à se demander s'il n'avait pas perdu la raison.
— Je m'appelle Christine et je suis là pour vous l'expliquer. En 2001, poursuivit-elle, des chercheurs français ont fait une découverte d'une importance capitale.
Taj tendit l'oreille, intrigué. Peut-être était-ce un rêve étrange, mais c'était un rêve intéressant.
— Mais avant de vous en faire part, je vais vous demander de signer un accord de confidentialité.
Elle montra du doigt les pages agrafées qui étaient posées devant eux.
— Si vous le signez, vous aurez l'interdiction formelle de communiquer quoi que ce soit à propos de cette découverte sans l'accord du gouvernement français. Si vous transgressez cette interdiction, vous serez immédiatement placé dans une cellule d'isolement.
— Ca n'a pas l'air très légal, ça! s'exclama un grand blond.
La dénommée Christine sourit, visiblement amusée.
— Si vous signez, c'est que vous acceptez les conditions.
— Et pourquoi est-ce que je devrais accepter de garder un secret avant même de le connaître? s'entêta le blond.
Taj fronça les sourcils. C'était un peu le principe d'un secret. On promettait de le garder avant de le connaître.
— Personne ne vous force à signer. Vous avez le droit de partir maintenant.
Taj s'attendait à le voir partir, mais au lieu de ça, le jeune homme s'empara d'un stylo et signa le contrat sans même le lire. Il le tendit à la femme, l'air content de lui. Taj trouvait ce comportement idiot, mais peut-être avait-il une autre raison d'agir ainsi. Il attrapa le contrat devant lui et commença à le lire, concentré. Tout paraissait tellement étrange. Il ferait mieux de déguerpir sur le champ. Mais après tout, n'était-ce pas ce qu'il faisait sans cesse? Etre lâche. Peu importe ce qui lui était réservé, Taj ne méritait pas de vivre une vie tranquille et heureuse. Il prit un stylo à son tour et le fit tourner plusieurs fois dans sa paume, un peu nerveux. Il sentait que cette signature allait changer bien des choses. Mais, curieusement, au moment où l'encre s'infiltra dans le papier, il sut que pour une fois, il faisait ce qu'il fallait.
Quelques minutes passèrent, ou peut-être plus, Taj n'avait pas vraiment la notion du temps et on lui avait pris sa montre en arrivant. Finalement, seul un d'entre eux refusa de signer et quitta la pièce. Christine lança un diaporama à l'aide d'une télécommande et se racla la gorge. Aussitôt, tous les regards convergèrent vers elle. Taj supposa que tous étaient aussi dévorés par la curiosité que lui.
— Des chercheurs, reprit-elle en affichant à l'écran une image de cerveau, ont étudié les mécanismes de la pensée et de l'imagination. Ils ont découvert que toutes nos pensées et tout ce que nous imaginons ne sont pas uniquement stockés dans notre cerveau.
Elle marqua une pause, probablement pour faire durer le suspens.
— En réalité, notre imagination est un monde.
Taj trouvait que le moment était mal choisi pour faire de la poésie.
— Toutes vos pensées et idées existent réellement dans un monde, un monde bien réel. A chaque être humain est associé un monde soumis aux mêmes lois physiques que les nôtres.
Taj s'apprêta à éclater de rire, mais il réalisa que Christine affichait un air très sérieux. Un schéma scientifique illustrait ses propos, comme si c'était censé suffire à les convaincre de cette absurdité.
— Dès lors, les chercheurs ont essayé de trouver un moyen d'accéder à ces mondes. De s'y rendre physiquement, j'entends. Et ils ont réussi.
Cette-fois ci, il avait l'impression de nager en plein délire. Il était fou, c'était sûr. C'était sa punition. Le blond leva la main, aussi incrédule que Taj.
— Excusez-moi de vous dire ça, mais c'est n'importe quoi. Les pensées sont dans notre cerveau, et c'est scientifiquement prouvé. Je ne sais pas qui vous êtes mais je ne crois pas que vous ayez un quelconque rapport avec le gouvernement.
Christine ne sembla pas le moins du monde perturbée par l'intervention du jeune homme. Elle souleva un gros livre qui était sur le bureau devant elle et le posa devant le blond.
— Ils sont prêts à en débattre avec vous dès que vous aurez lu leur étude.
Le blond, qui ne paraissait guère enchanté par cette perspective, capitula d'un geste de la main, sans pour autant renoncer à poser des questions.
— Et quel est le rapport avec nous?
— Pensez aux terroristes qui refusent de parler lors des interrogatoires. Imaginez le nombre d'attentats qu'on pourrait éviter si on pouvait accéder à leurs pensées.
Il y eut un nouveau silence. Christine s'attendait probablement à être une nouvelle fois interrompue par le blond, mais ce ne fut pas le cas.
— Nous venons d'obtenir l'autorisation d'envoyer des agents dans les pensées des gens. Et nous vous proposons d'être les premiers.
*************
Merci de m'avoir lue! Il ne passe pas grand chose dans ce chapitre mais je n'avais pas trop le choix. L'histoire alternera entre les points de vue d'Agathe et de Taj, donc j'espère que vous les aimez bien. N'hésitez pas à voter ou à commenter si ça vous plaît (ou même si ça ne vous plaît pas d'ailleurs!).
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