Epilogue
Ma tentative de suicide ratée aura changé bien des choses.
La nouvelle aura fait la une des journaux, et mon lycée a perdu de sa superbe. Pour la première fois depuis longtemps, je me suis sentie écoutée. Le proviseur a pris des mesures drastiques. La vidéo et la page Facebook ont été supprimées, les élèves responsables renvoyés pour quelques jours. Une politique de tolérance zéro a été mise en œuvre, et chaque élève pris en flagrant délit de moquerie ou d'harcèlement se verra corrigé. Je n'étais pas la seule à en ressentir les conséquences. Tous les élèves moqués ont eu l'impression de pouvoir enfin étudier dans un environnement sécurisé. Les professeurs ont aussi été remis en place. Après tout, s'ils m'avaient tendu la main dès le départ, rien de tout cela ne serait arrivé.
J'ai passé quelques semaines à l'hôpital où on m'a forcée à parler à un psychologue. J'ai pu tout avouer, pas seulement à la femme responsable de mon cas, mais à tout le monde. Ma mère, mes professeurs, mon proviseur. Tout avouer, raconter mon histoire, depuis le début. Je crois que ma mère en a eu le cœur brisé, mais me débarrasser de mes mensonges aura été libérateur. J'ai enfin pu commencer à me reconstruire. À redevenir moi-même.
Quand je suis retournée au lycée, j'ai pu voir que quelques élèves avaient décidé de décorer mon casier. Des photos, des fleurs, des mots d'encouragement, de réconfort, d'excuses. Je l'avais finalement eu, mon mémorial. Et de mon vivant. Je pouvais bien mieux en profiter que si j'avais sauté.
Les élèves se sont montrés étrangement gentils avec moi. Je crois que leur culpabilité aura été plus forte que tout. Beaucoup se sont excusés. À mon retour, tous me regardaient bizarrement. Mais je n'étais plus le sujet de moqueries ou mauvaises blagues. Tous me respectaient. Et, je crois, beaucoup étaient heureux de me voir en vie. Soulagés, sûrement.
Puis je suis redevenue Kirstie Evans. La fille un peu bizarre mais dont personne ne s'occupe vraiment. J'ai retrouvé mon statut d'invisible. Et je l'ai chéri, plus que jamais. J'étais presque heureuse de retourner au lycée, et être capable de suivre normalement les cours.
J'ai aussi parlé à la police. À propos de Travis et Tyler. Pen et Dan m'ont accompagnée. Je ne pouvais le faire seule. Suite à mes déclarations, les chambres des garçons ont été fouillées. Une mèche de mes cheveux et du GHB découvert dans la chambre de Travis ont été suffisants pour l'inculper. C'était un problème de réglé.
Il a tout avoué pendant le procès. De son obsession étrange pour mon visage, dont il a à moitié accusé son père, jusqu'au photos qu'il m'envoyait. Il a également avoué n'avoir rien fait d'autre à mon corps que de prendre des photos. Il était sincère, ça se voyait. Le soulagement a été immense. Je pouvais commencer à reprendre possession de mon corps. Enfin.
Puis il y a eu le cas Tyler. J'avais un dossier solide grâce à Pen et Dan comme témoins. Mais d'autres filles ont décidé se joindre à moi. D'autres victimes qu'il avait abusées avant moi. Elles s'étaient terrées dans le silence par manque de preuve et par honte, mais mon exemple les a poussées à en sortir et enfin s'exprimer. Le nombre de témoignages était accablant. Il a été écroué. Il n'aura sûrement jamais l'occasion d'aller à l'université, ou de devenir sportif professionnel. Second problème réglé. Nous avons enfin pu revivre, nous toutes victimes de sa toute-puissance.
C'était étrange, de revenir au lycée une fois que toutes ces menaces se sont éteintes. Un curieux calme après cette tempête qui aura duré deux mois et demi. Si j'avais su qu'une tentative convaincante de suicide était suffisante pour tout arranger... j'en aurais peut-être simulé une plus tôt !
Mes notes ont remonté presque immédiatement. J'ai enfin pu me concentrer en classe, et sur mes devoirs. J'ai même pu retrouver mon travail à Blend avec les excuses de mon patron. Tout est rentré dans l'ordre. Et après les explications de Travis, j'ai pu me replonger dans la photographie et les portraits. Avec ma psychologue, on a trouvé un moyen pour que je me remette à apprécier ça. Mon état s'améliore de semaine en semaine.
Le proviseur a écrit une lettre à l'université de New York quand j'ai monté mon dossier de bourse. Il a expliqué les évènements, ses conséquences, et de ne pas tenir en compte ces quelques mois. J'ai obtenu ma bourse. Je pouvais partir à New York.
Mes retrouvailles avec Pen ont été chaleureuses. Et le Bal de Promo a été notre premier rendez-vous officiel... qui a été une pure réussite. Sûrement la meilleure soirée de ma vie. Je portais la plus belle robe que j'avais jamais possédé, et nous avons dansé jusqu'au bout la nuit. Discussions profondes, danses folles et slows langoureux, elle était parfaite. Merveilleuse. Exactement la personne dont j'avais besoin. Et elle me connaissait si bien qu'elle n'aurait rien fait qui aurait pu faire remonter de mauvais souvenirs.
Elle m'a embrassée devant la porte de ma chambre. C'était merveilleux. C'est ce baiser que je considère comme mon premier. Pas ceux de la vidéo. Pas celui avec Leah. Non. Pen est la seule fille que j'ai jamais aimé. Que j'ai jamais embrassé. La seule qui compte. La seule dont je veux me souvenir.
Nous sommes parties toutes les deux à New York. Moi à l'École des Arts Visuels, Pen à Tisch pour étudier le théâtre et la performance. Nous vivons dans le même appartement. Je n'aurais pas pu rêver de meilleure situation...
Je n'ai pas laissé ces quelques mois devenir une faiblesse et entacher mes quelques années à l'université. J'en ai parlé dès que possible aux amis que je m'y suis fait. Le plus étrange, c'est qu'ils s'en fichaient, en fait. On est à l'université, le lycée est bien loin derrière nous. Ce qui est fait est fait. On m'accepte pour ce que je suis, et l'image que j'avais à l'époque importe peu.
Mon histoire a eu son petit succès sur Facebook. J'ai même eu l'occasion de donner quelques conférences. Expliquer comment une vidéo qui apparaît innocente a failli me coûter la vie, que l'espoir subsistait toujours même dans les moments les plus sombres. Je voulais ouvrir les yeux à des lycéens perdus et désespérés, comme moi. Leur dire qu'il y avait toujours une personne sur qui ils pouvaient compter. Et que cette seule personne valait tous les efforts. Que l'avenir pourrait offrir bien plus que ce qu'ils pensent. Et que, surtout, il ne fallait pas hésiter à en parler. Que le silence était la meilleure arme de leurs détracteurs. Chaque jour je prie des lycéens de ne pas reproduire mes erreurs. Dieu seul sait que j'en ai fait un paquet.
Dan a obtenu sa bourse de sportif mais ne nous a pas suivies, Pen et moi. Il a tracé sa route dans un autre état, et il fait maintenant gagner son équipe universitaire. On se Skype dès que possible. J'ai besoin de Dan dans ma vie. Ce qu'il s'est passé sur ce toit nous a liés à jamais. Quelle que peut être la distance, il a sa place dans mon cœur. Il ne me quitte jamais.
Je me suis même réconciliée avec Kat. Elle a rompu avec Chad quelques jours après ma tentative de suicide. Nous ne sommes pas redevenues meilleures amies, mais nous sommes en bons termes. On se téléphone, de temps en temps. Mais ce n'est plus comme avant. On a emprunté des chemins différents, on s'est éloignées. Elle s'est longuement excusée pour sa conduite, et cette tentative a eu l'air de plus l'affecter que je n'aurais pensé. On garde contact pour les bons souvenirs qu'on partage. Mais je doute que cette relation dure très longtemps.
J'ai rencontré mon père, aussi. C'est fou ce que je peux lui ressembler, sans jamais avoir vécu avec lui. Je lui ai tout raconté, dès le départ, et il m'a aidée à m'en remettre. On est plutôt proches, lui et moi. Je ne sais pas quelle aurait été la vie s'il avait été à mes côtés. Mais j'ai bien fait de désobéir à ma mère et lui renvoyer un message, aussi tardif soit-il. Après la gêne des premiers cafés, tout est devenu naturel. Il a refait sa vie, et il est heureux. Moi, j'apprends à l'être.
Je réapprends, jour après jour, à vivre avec mon corps. À me le réapproprier. Ma psychologue est là pour m'aider. Pen aussi. Après ces deux agressions, il a fallu que je recommence tout depuis le début. Pas à pas. Travis et Tyler m'ont volé mon innocence, mais elle n'est pas perdue à jamais. Je ne les laisserai pas gagner. Je me bats, tous les jours. Et suis heureuse de le faire. Je m'améliore de jour en jour. Oui, il y a toujours ces moments de faiblesse, où j'ai l'impression que rien n'ira, que tout est perdu, mais ça ne dure jamais. J'ai toujours des cauchemars, la nuit. Je me réveille souvent en hurlant, et Pen est toujours là pour me réconforter et me protéger. Je l'aime tellement.
L'avenir me paraît brillant. Je ne sais de quoi il sera fait. Tout ne sera pas simple. Certainement pas. Mais je pourrai tout battre, tout traverser. Le pire est derrière moi. Et si j'ai traversé ces deux mois, je peux traverser plus dur encore. Je suis forte. Plus que je ne le pense.
Je remercie Dan tous les jours pour m'avoir sauvé la vie. Pour avoir été là et me tendre la main. Chaque jour je sors de chez moi, regarde le ciel avec un sourire, et me dit que j'ai de la chance d'être en vie. Que l'avenir m'a bien plus apporté que je n'aurais jamais pensé. Le suicide n'est jamais la solution. Jamais. Le suicide n'est que souffrances.
Parce qu'on ne sait pas de quoi demain sera fait, la vie vaut la peine de se battre pour elle.
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24h Pour me Sauver est maintenant terminé... C'est assez étrange. D'ordinaire je n'aime pas les fin où tout va bien et tout le monde est heureux, mais je n'imaginais pas d'autre conclusion pour cette histoire tant elle est importante à mes yeux. Qu'importe à quel point ce qu'on peut vivre est horrible... il y a toujours un après. La vie continue, quoi qu'il arrive. Et c'est ce que je voulais transmettre avec cette histoire : un message d'espoir.
Désolée pour le retard de publication, mais j'ai eu des problèmes de Wi-fi, donc je n'ai eu le temps de le faire plus tôt. C'est à peu près résolu maintenant, donc me revoilà ! :)
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