9 : Clément

— Ne revenez pas trop tard !

— Oui maman !

     Clément s'empressât de me rejoindre en claquant la porte de chez lui. Il me sourit malicieusement en me montrant du doigt une pile de cartons dissimulée derrière un arbre gigantesque. J'affichais un grand sourire en accourant déjà.

     Nous récupérâmes chacun un morceau assez grand pour nous y asseoir et nous marchâmes allègrement jusqu'au parc Montsouris, où nous attendaient les grandes descentes.

     Nous arrivâmes après une bonne dizaine de minutes. Sur le chemin, nous n'avions cessé de débattre sur les différentes manières de descendre la colline. Chacun s'était déjà fixé ses objectifs.

— Dis, t'es sûr qu'ils ne viendront pas te chercher ? demanda Clément en se préparant à la descente.

— Certain ! Déjà, ils ne pourront jamais savoir que je suis ici, et en plus, je fugue presque tous les jours, s'ils partaient à ma recherche à chaque fois, ils seraient déjà en fauteuil roulant !

     Clément faisait référence aux responsables de "l'orphelinat" dans lequel je résidais. Le minuscule orphelinat, n'abritant pas plus d'une quinzaine d'enfants. Tout était vieux là-bas, les murs étaient pourris et il y avait en permanence une forte odeur de tabac. Quant à la nourriture, n'en parlons pas. Je mangeais autant que je pouvais à la cantine le midi pour pouvoir tenir jusqu'au lendemain. En plus de la nourriture trop cuite ou d'autres fois, pas assez, sans sel ou sans goût, j'avais déjà vu Dora – la vieille femme qui s'occupait de nous – laver les assiettes sans savon.

— Ok, alors, c'est parti !

     Il se laissa glisser sur la pente en criant vivement. Pris par surprise, j'eus un temps de réaction de quelques secondes avant de m'élancer à mon tour.

     Nos cris vinrent perturber le silence de cet après-midi ensoleillé. Les quelques passants, qui étaient principalement des personnes âgées nous regardèrent d'un œil mauvais et, au pied de la pente, un groupe de pigeons s'envola ayant prémédité notre arrivée.

     Lorsque mon misérable bout de carton se stoppa enfin, je fus brusquement éjecté vers l'avant. Je roulais plusieurs fois sur moi-même jusqu'à ce qu'un objet dur et imposant m'arrête brutalement. Mon front heurta le métal et je rouvris les yeux – que j'avais eu le réflexe de fermer pendant ma chute.

— Terrence ! Ça va ?

     Ce n'est que lorsque je me relevais, légèrement perdu, que je me rendis compte de la douleur qui m'envahit. J'esquissais une grimace en passant un doigt sur l'endroit endolori. Celui-ci se tacha de sang et Clément qui arrivait enfin à ma hauteur s'exclama :

— Oh, t'es trop classe comme ça !

— Ah bon ?

— Oui ! Tu ressembles à un rockeur. T'as encore mal calculé ta trajectoire, la dernière fois c'était le tronc ! reprit-il en pointant du doigt l'arbre en question.

— Ben... c'est eux qui se mettent devant aussi, bougonné-je.

— Terrence !

     Nous nous retournâmes vivement vers la voix grave qui venait de hurler mon prénom. Au détour du chemin, j'aperçus Dora qui se dirigeait vers nous, poings sur les hanches et l'air furieux.

— Oh oh, fit Clément.

— Cours ! m'exclamais-je.

     Nous lâchâmes nos morceaux de cartons avant de courir le plus vite possible jusqu'à la sortie du parc. Lorsque nous nous retrouvâmes dans l'avenue bétonnée, je risquai un regard en arrière.

— C'est bon, on l'a semée !

— T'as dit qu'elle te trouverait pas !

— Ben je pensais pas que ce serait le cas !

— Comment tu vas rentrer maintenant ?

— T'inquiète pas pour moi, je m'en sors toujours ! Je rentrerai cette nuit, personne ne me remarquera et demain, elle aura déjà oublié. Elle perd la mémoire la vieille.

— Et en attendant ? Si ma mère te voit, elle va sans doute nous poser des questions. Tu devrais être rentré à l'orphelinat.

— Mais ça elle ne le sait pas idiot ! On a qu'à dire que mes parents ont eu un contretemps et m'ont dit de rester chez toi jusqu'à leur retour.


*

— Clem ! Tu vas pas en croire tes yeux ! Regarde ce que j'ai là !

     J'accourt jusqu'à Clément, adossé à un arbre, pianotant sur son portable. Il relève la tête vers moi et range son téléphone pour me saluer.

— Salut mec ! Qu'est-ce que t'as ?

     J'ouvre discrètement mon sac à dos et lui tend un minuscule sachet au contenu poudreux blanc. Clément comprend immédiatement de quoi il s'agit et m'arrache le paquet des mains avant de l'enfouir dans sa poche pour le cacher.

— T'es fou de ramener ça ici ! N'importe qui pourrait voir !

     Il lance des regards inquiets aux alentours, mais personne ne semble avoir remarqué notre échange. Tous les élèves sont bien trop occupés à profiter de leurs amis avant le début des cours.

— Relaxe, personne n'a vu, affirmais-je en reprenant le sachet pour le ranger.

— Où t'as eu ça Terrence ? demande-t-il, méfiant.

— Peu importe où je l'ai eu, t'es avec moi ou pas ?

— Euh... je sais pas si on devrait...

— Je te force pas, je pensais juste que ça te ferait plaisir d'essayer avec moi. Mais pas grave, je le ferai tout seul.

     Clément semble hésiter. Il fixe longuement son portable en passant une main dans ses cheveux avant de reposer ses yeux couleur océan sur moi.

— Ok. Mais pas chez moi, si ma mère s'en rend compte, je suis mort.


*

— C'est à cause de moi, tout est à cause de moi...

     Assis au bord du lac, je continue de répéter cette phrase en boucle. Les larmes ont trempées mes joues et mes yeux sont déjà gonflés. Le soleil a disparu derrière un immense nuage, comme s'il avait senti ma détresse, mon désespoir, et avait pris peur.

— Terrence...

— C'est moi qui te l'ai proposé, j'ai déconné putain, je t'ai entraîné là-dedans. Maintenant ils sont derrière nous, on aura jamais assez pour tout ce qu'on leur doit !

— Terrence, arrête de te mettre toute la faute dessus. On est rentrés là-dedans ensemble, on en sortira ensemble, compris ?

     Je relève la tête vers mon meilleur ami qui me fixe avec tendresse. Je ne peux m'empêcher de le prendre dans mes bras, lui qui a toujours été là pour moi. Clément rend ma vie plus supportable, je ne sais pas où j'en serais sans lui aujourd'hui, je ne sais pas si je serais encore vivant.

— On a toujours affronté la vie à deux, et on s'en est toujours sortis, c'est pas maintenant que ça va changer, ok ?

     Je hoche la tête en guise de réponse.

     Comme si le soleil n'était que spectateur de notre échange, il irradie à nouveau, comme satisfait du spectacle.

     Clément a raison. Nous allons trouver une solution, nous allons nous en sortir. Et lorsque ce sera fait, plus jamais je ne l'entraînerai dans ce genre d'affaires.

     Si je perdais un jour Clément, ma vie s'arrêterait brutalement.

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