8 : Le pardon nous tourne vers le passé
Je me demande pourquoi j'accepte encore tout ce que cet abruti me propose.
Voilà dix bonnes minutes que je poireaute sur le parking. Aucune trace de Clément. Je souffle en sortant mon portable pour vérifier l'heure. Il me prend vraiment pour un con. Hors de question que je l'attende une seconde de plus.
Je commence à marcher vers le chemin du retour lorsqu'on m'interpelle :
— Terrence !
Je l'ignore tout en continuant de marcher. Je le déteste, je le hais !
— Terrence ! Attends !
Je l'entend se rapprocher de moi à grande foulées. Le souffle court, il continue de hurler mon prénom à en manquer d'air.
— Laisse-moi tranquille ! Qu'est-ce qu'il y a de si compliqué là-dedans ?! daigné-je enfin répondre.
Je me stoppe net lorsque sa main se pose sur mon épaule. Je me retourne vers lui, le regard sombre – et les pensées également. J'enfouis au plus profond de mon être mes sentiments, refusant de lui montrer ma peine. Au fond, j'espérais qu'il avait changé, qu'il s'en voulait réellement pour tout ce qui s'était passé. Mais son retard me prouve une énième fois qu'il n'est qu'un menteur, un manipulateur. J'ai failli tomber dans le panneau, encore une fois.
— Putain, Terrence ! Écoute-moi bon sang ! J'ai eu un imprévu ok ? Je suis vraiment désolé, mais je suis là maintenant.
— Je n'en ai rien à cirer de tes excuses de merde ! J'ai étais assez con pour te donner une nouvelle chance, mais tu viens de me prouver pour la cinquantième fois que tu ne la mérites pas, tu ne mérites rien ! Dégage, barre-toi de ma vie une bonne fois pour toute bordel !
Mon ton monte d'un cran. Me voilà dans une colère noire, une rage immense qui pourrait m'emmener à faire n'importe quoi. Il faut que je m'en aille, il faut que je rentre.
— Ma mère est morte ! hurle-t-il, attirant les regards des quelques courageux passants, qui nous regardent comme si nous étions devenus fous.
Je reste silencieux, partagé entre la culpabilité et la colère qui refuse de me quitter. Après tout, cela n'est peut-être qu'un nouveau mensonge. Sa spécialité.
Il tourne en rond en passant une main dans ses cheveux. Ce geste qu'il avait l'habitude de faire lorsque une situation l'embêtait ou qu'il était nerveux.
— J'ai dû passer à l'hôpital pour signer quelques papiers. Je suis vraiment désolé, je n'ai pas eu le temps de te prévenir de mon retard. Je t'en supplie Terrence, laisse-moi m'expliquer une bonne fois pour toutes, maintenant que tu es là et moi aussi.
Je serre les poings et m'efforce de ravaler les larmes qui ne demandent qu'à sortir. J'ai beaucoup trop peur de l'écouter, beaucoup trop peur de le pardonner, de lui faire confiance à nouveau et que cela finisse comme la première fois. Comme si ce n'était pas suffisant, ma vie est en train de me consumer. J'ai peur de m'effondrer devant lui, au beau milieu de ce parking. Peur d'ouvir la porte à mes sentiments, car je sais qu'ils dévasteront tout sur leur passage.
— S'il te plaît...
Après quelques longues secondes, je fais un pas dans sa direction, lui montrant que je le suis. Il sourit faiblement et me tourne le dos pour reprendre sa marche.
Quelques minutes plus tard, nous nous asseyons au bord de l'eau et Clément lâche un profond soupir. Mon regard est posé sur l'eau calme, qui m'aide à en faire de même. Le soleil, qui joue à cache-cache depuis le début de l'après-midi, semble enfin surpasser les nuages. Il me vient comme une dose d'espoir. Peut-être que cet homme à côté de moi n'est pas la personne horrible qu'il m'a laissé imaginer pendant toutes ces années. Peut-être qu'il avait de bonnes raisons et que je vais me sentir idiot après tout ça.
— Bon... par où commencer ? lâche-t-il dans une question rhétorique. Lorsque je me suis fait choper par Hector, il m'a promis cent mille euros si je lui disais qui était dans le coup. Terrence, tu sais trop bien que j'avais besoin de cet argent, pour les traitements de ma mère. Sans cet argent, elle n'aurait pas vécu tout ce temps... Il a établi un pacte. Si je te dénonçais, il me ferait le virement et effacerait ma dette envers lui. J'avais pas le choix, tu dois me croire... Il ne m'aurait jamais laissé partir.
Il marque une pose en tournant la tête vers moi. Mais j'évite son regard, je ne sais même pas quoi penser.
— Après ça, je n'ai pas eu le courage de te revoir, c'est pour ça que... j'ai disparu. Je m'en suis voulu tous les jours. Je sais que t'as souffert, mais moi aussi, ça n'a pas été simple, que tu le crois ou non.
— C'est vrai que tu as dû souffrir avec tes cent mille euros.
— Terrence...
Son regard cherche encore le mien, mais je refuse de le croiser. Je ne pourrais jamais le comprendre. Mère malade ou pas, s'il savait ce que j'ai dû endurer par sa faute, il n'aurait même pas tenté le pardon.
— Est-ce que t'es au courant de ce qu'il s'est passé après au moins ? Je veux dire, pour oser te pointer de la sorte, j'imagine que non. Je l'espère.
— Je le sais. J'ai eu tellement honte que je n'ai pas réussi à le faire plus tôt, mais je suis enfin prêt. Je sais que j'ai merdé, je ne me pardonnerai jamais moi-même pour tout ce que tu as du vivre par ma faute. Mais peu importe que j'arrive à me pardonner ou non, ce qui compte c'est toi. Je sais que j'ai déjà ma place en enfer, mais si j'obtiens ton pardon, je partirai peut-être sans regrets.
Je souffle bruyamment, exaspéré par ses propos. Il a décidé de se reconvertir en prêtre maintenant ?
— Je ne sais pas quoi te dire.
— Que tu me pardonnes ?
— Tu rêves.
— C'était trop beau...
— Même si j'en avais envie, je le pourrais pas. Pas maintenant. Et je n'en ai pas envie. Tu ne le mérites pas.
— Ça veut dire que ?
— Qu'il y a peut-être une chance infime que je le fasse avant ta mort.
Cette fois, mes yeux plongent dans les siens. Il affiche un sourire sincère et se détourne rapidement lorsque je remarque qu'une goutte perle au coin de son œil.
— Désolé pour ta mère, je lâche après quelques secondes de silence.
— Elle pourra enfin se reposer en paix. Sans le poids d'avoir un fils criminel sur le dos, dit-il en haussant négligemment les épaules.
Je sors une cigarette de ma poche en continuant de fixer le paysage. Peut-être que j'arriverai à le pardonner un jour. Peut-être.
"Possible ou impossible, le pardon nous tourne vers le passé. Il y'a aussi de l'à-venir dans le pardon." — Jacques Derrida
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