2 : Noël plutôt spécial

     Je déguste mon sandwich en silence, fixant la rue vide. Evie retire ses gants pour coller ses mains à la surface chaude de la tasse qui lui fait face. Elle boit une gorgée en regardant les serveuses s'activer pour ranger. Le café va fermer.

     Elle termine assez rapidement sa boisson et je me lève pour régler l'addition au comptoir. Après avoir payé, je prends la porte et m'empresse de me mettre à l'abri du froid glacial. La petite s'installe cette fois du côté passager.

— Bon, je te ramène chez toi et on en parle plus.

— Non ! proteste-t-elle.

— Quoi non ?

— Je veux aller à la fête foraine !

— Tu voulais manger, voilà tu as mangé. Je peux t'offrir quelque chose si tu le souhaites, on peut essayer de trouver un magasin de jouets ouvert et ensuite je te ramène.

— Non ! Je veux aller à la fête foraine. Sinon je réveillerai ma nounou.

     Je soupire, profondément agacé.

     Je mets ma ceinture et prends la direction de la fête foraine. Elle s'est installée il y a quelques semaines déjà mais ce n'est pas trop mon délire ce genre d'endroit.

     Lorsque nous arrivons, l'endroit est, sans surprise, pas très rempli. Je m'avance vers la caisse pour demander plusieurs tickets et les tends à la petite fille.

— Tiens, fais ce que tu veux. Moi, je serai assis juste là.

     Je m'assois sur un banc alors qu'Evie accourt déjà vers les différentes attractions. Je fourre mes mains dans mes poches. Il fait beaucoup trop froid ce soir.

     Pendant que la petite joue et s'amuse, mon esprit divague. Je me demande comment je vais faire pour me sortir de cette situation cette fois-ci. Je n'avais pas du tout envisagé tout cela. Je savais que la petite était tombée malade quelques jours avant le voyage, mais ce n'était qu'un simple rhume, aucune raison de la laisser à Paris.

     Alors que je suis perdu dans mes pensées, Evie secoue mon bras dans tous les sens, me ramenant à la réalité.

— C'est bon, t'as fini ?

— Non.

— Qu'est-ce qu'il y a alors ? demandé-je, impatient.

— Viens avec moi.

— Où ça ?

— Dans le train fantôme.

— Hors de question.

— Pourquoi ?

— Parce que j'ai dit non. Retourne-y sinon je te ramène chez toi maintenant.

— T'as la trouille, déclare-t-elle en affichant un sourire malicieux.

— Pas du tout, dépêche-toi.

     Elle ne bouge pas pour autant.

— Trouillard, même moi j'ai pas peur.

     Respire. Cette enfant commence sérieusement à me taper sur le système. Et voilà que je me lève pour la suivre jusqu'à ce foutu train fantôme.

     Elle accourt jusqu'à l'attraction et s'installe dans un wagon. Je m'assieds à côté d'elle et prends une profonde inspiration.


     J'ai flippé.

     Ok, celle-ci est la vérité vraie.

     Pendant toute l'attraction, mes mains n'ont pas lâché une seconde les barrières du petit wagon. Évidemment, j'ai su me contenir de crier lorsqu'un squelette surgissait soudainement devant nous ou que le vent soufflait dans ma nuque, comme si quelqu'un se trouvait derrière moi. La petite, quant à elle, n'a cessé de rire à gorge déployée, comme si c'était la meilleure chose du monde.

     Une vraie psychopathe cette gosse.


     Finalement, elle m'a entraîné dans une bonne dizaine d'attractions et il faut dire que lorsque j'ai enfin baissé ma garde, je me suis bien amusé moi aussi.

     Sur la route, je me perds à nouveau dans mes pensées. Je commence enfin à réfléchir aux conséquences de ce qui est en train de se passer. Si par miracle, la baby-sitter ne s'est rendue compte de rien, est-ce que la petite restera silencieuse pour autant ?

     Cette petite fille me bouleverse quelque peu. Est-ce dû à l'innocence propre à un enfant ? Pourquoi ne ressent-elle pas cette peur que n'importe qui pourrait ressentir face à pareille situation ?

— On est bientôt arrivés ?

     Je me retourne vers Evie. Assise du côté passager, ses grands yeux verts me fixent, interrogateurs.

     Je me contente de hocher positivement la tête et mon attention se reporte sur la route.

     Quelques minutes plus tard, je tire le frein à main et descends de la voiture.

     Pendant que je fixe le panneau – où plutôt, la planche de bois – sur lequel est écrit en lettre capitale le nom du lieu, Evie me rejoint.

LAC DE SAINT-MANDÉ

— Y a écrit quoi ? demande-t-elle.

— Rien d'intéressant.

— Dis toujours.

     Je me retourne vers elle, exaspéré. Aujourd'hui, ma patience aura été mise à rude épreuve.

— Le nom de l'endroit.

— Le lac de Saint-Mandé ?

— Tu connais ? demandé-je cette fois, surpris.

— Oui, répond-elle simplement en passant devant moi.

   bbElle va s'asseoir au bord de l'eau, quelques mètres plus loin. Je la suis et m'assois à ses côtés. Elle retire silencieusement ses bottines et plonge ses pieds dans l'eau glacée, sous mon regard incrédule.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Bah, ça se voit pas ? Je mets mes pieds dans l'eau, répond-elle calmement.

     Je hausse les sourcils mais ne fais plus aucune remarque. Mon regard se pose sur l'eau calme qui reflète la lune. J'en oublie la situation un instant, j'oublie la présence de la petite fille. Je me sens bien, dans mon élément.

     J'ai toujours aimé la nature. Depuis mon enfance, ou ce qui y ressemblait, j'ai toujours aimé les excursions en forêt, les promenades sur la plage, lorsque je n'habitais pas encore à Paris. Même si j'étais seul, la plupart du temps, c'était si bon.

— Pourquoi tu ne m'as pas fait de mal ?

     Mes souvenirs disparaissent soudainement pour prêter oreille à ce que me dit Evie.

— Ce n'était pas mon intention.

— C'était quoi ton intention ? Pourquoi tu étais chez moi ?

     Je reste silencieux.

— Pas besoin de répondre, je sais déjà, dit-elle, les yeux rivés sur ses pieds qui créent de petits tourbillons dans l'eau.

— Pourquoi as-tu insisté pour te promener avec moi ? Tu n'as pas peur ? Je m'apprêtais à cambrioler ta maison, j'aurais très bien pu te tuer.

— Les gens qui font du mal ne sont pas forcément mauvais, lâche-t-elle. Parfois, il y a juste une très grande peine enfouie au fond d'eux. Quelle est ta peine ?

     Je la fixe un instant, perdu et plus très sûr d'être en train de parler à une gamine de 5 ans à peine.

— Qu'est-ce qui te fait croire que je ne suis pas mauvais ?

— Je le sens.

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