17 : Le cœur en miettes

     Les corps vêtus de noir se mêlaient dans l'assemblé. Au beau milieu de cette foule de grandes personnes, se trouvait, bien malgré lui, un tout jeune garçon qui venait à peine de compléter son sixième anniversaire. Le cœur battant à tout rompre, il se tenait droit comme un piquet. Le regard dans le vide, voyageant dans ses sombres pensées. Il avait pourtant tout fait pour éviter ce moment.

     La femme tirée à quatre épingle qui lui tenait fermement la main, lui fit signe d'avancer, suivant le cortège. Le garçon obéit à contrecœur, impuissant.

     S'en fût trop pour lui lorsque l'on commença à recouvrir le cercueil, alors que le prêtre récitait ses prières.

     Les cris déchirants du pauvre garçon rompirent le silence. Puis les pleurs incontrôlables. C'était trop dur, on le forçait à enterrer sa propre mère, il ne pourrait jamais s'en remettre.

     Le petit échappa à la prise de la femme à ses côtés et se rua sur l'homme munit d'une pelle. Du haut de son mètre dix, il frappa de toutes ses forces ce dernier, dans l'espoir de l'éloigner à tout prix de sa tendre et tant aimée mère.

— Arrêtez ! Arrêtez !

     Ses mots se perdirent dans un nouveau sanglot. Les chuchotements s'élevèrent dans la foule. Le prêtre qui s'était interrompu, fixa l'enfant, hébété. Celui-ci se laissa tomber dans l'herbe fraîche, tout près de sa mère. Les pleurs redoublèrent alors qu'il lui adressa douloureusement ses derniers mots.

— Ne me laisse pas maman...

     La femme réagit enfin. Outrée, elle saisit fermement l'enfant par le poignet et l'obligea à se relever. Le cœur brisé, les yeux rougis par les larmes incessantes. Il fut traîné loin de sa mère. Il n'avait pas la force de lutter, tout semblait s'être effondré autour de lui. Tout son monde était rayé, enterré, meurtri.

     La grande dame aux cheveux gris l'assis près d'un arbre et lui indiqua strictement de ne pas bouger jusqu'à la fin de la cérémonie. Elle retourna auprès du cortège, abandonnant l'enfant à bout de force, brisé par sa courte vie.

     Il enfouit sa tête entre ses jambes et continua de pleurer, encore et encore. Sa peine ne cesserait jamais, il envisagea même de demander à la rejoindre. Qu'on l'enterre avec elle. Mais personne ne se soucia de lui, et on continua la cérémonie sans y prêter plus d'attention.

     Jamais il n'avait ressenti une telle douleur, même lors de ses pires chutes. Face à l'incompréhension de ce sentiment qui l'habitait, il n'avait personne chez qui se réfugier. Personne pour lui donner conseils, l'aider à surmonter cette terrible épreuve. Jamais durant sa courte existence il ne s'était senti aussi seul qu'en ce jour de deuil.

     Dans un souffle, ses dernières larmes s'évanouirent. Ça y est, elle était partie à jamais. Ces gens sans cœur venaient de lui arracher sa mère. C'est à partir de cet instant que la haine des autres commença à grandir en lui, une haine qu'il – il ne le savait pas encore – nourrirait pendant de nombreuses années. Ce n'était que le début de la vie de ce garçon, trop jeune pour subir un tel drame.

— Terrence.

Il ne répondit pas et garda la tête basse. Il se sentait humilié, délaissé, abandonné. Et surtout en colère. En colère contre cette femme qu'il ne connaissait même pas, et à qui pourtant, il n'avait pas le choix que d'obéir.

— Je te parle jeune homme.

     Tremblant de rage et de tristesse, l'enfant puisa dans ses dernières forces pour se relever. Et dans un murmure presque inaudible, lâcha ces mots qui peineraient n'importe quel individu.

— Rendez-moi ma maman...

     Mais cette femme exécrable et sans cœur s'en fichait bien. Et comme si ça ne suffisait pas, elle lui infligea cette terrible phrase :

— Ta mère ne reviendra pas.

     Sans aucun scrupule, elle se détourna rapidement et rejoignit le prêtre en souriant de toutes ses dents, laissant derrière elle un enfant désormais brisé. Le cœur en miettes et tremblant de tout son être.

     Le petit garçon jeta un dernier coup d'œil là où ils avaient si cruellement enterré sa mère, puis se précipita vers la sortie du cimetière, sous les cris des adultes qui tentèrent vainement de le retenir. La vue embuée par les larmes et à bout de force, il courut pourtant comme si sa vie en dépendait. Tout ce qu'il voulait c'était fuir. Fuir ce monde atroce, ces gens sans cœur. Tout ce qu'il voulait, c'était les bras réconfortants de sa maman. Mais il ne s'y trouverait plus jamais, et à chaque fois qu'il y pensait, c'était comme un nouveau coup de couteau qu'on lui enfonçait dans le cœur.

     Il courut à en perdre haleine, bousculant des passants et traversant à plusieurs feux rouges, où les conducteurs l'évitèrent de justesse en lançant des jurons dans le vide.

     Il courut jusqu'à qu'épuisé, ses jambes refusèrent de continuer à supporter son propre poids. Il tomba misérablement sur le béton chauffé par le soleil de cette fin d'été. Le souffle court, les battements de son petit cœur meurtri résonant dans ses oreilles.

     Il suffoquait, lorsqu'une main se tendit devant lui. Il releva légèrement les yeux et tomba sur un garçon de son âge. La peau pâle, les cheveux clairs récemment coupés. Son regard plongea dans de profonds iris verts. L'inconnu qui lui tendait encore la main lui offrit un sourire rassurant.

— Qu'est-ce qu'il t'arrives ? Viens avec moi, ne reste pas là tout seul, dit-il en s'accroupissant à sa hauteur.

— Je m'appelle Clément, continua-t-il face au mutisme du jeune garçon. Tu peux me parler si tu veux. Ma maman dit qu'il ne faut pas parler aux inconnus, mais maintenant tu sais comment je m'appelle. Comment tu t'appelles toi ?

     À la simple mention du mot « maman », les pleurs reprirent de plus belle. Le dit Clément, le regarda, surpris. Et sans hésiter plus longtemps, il entoura le garçon de ses petits bras, en prenant soin de ne pas le brusquer. Celui-ci se laissa faire sans rien dire, épuisé par cette journée cauchemardesque.

— Je serai là pour toi, d'accord ? Ça va aller.

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