16 : Paris la nuit

Le Nilu's, 192 rue du Faubourg Saint-Antoine - 12ème arrondissement

03:00

— Ça remplie même pas leur merde. Tu payes une fortune pour avoir faim deux heures après, lâche Clément en mordant avec appétit dans son kébab.

— Grave, confirmais-je, la bouche à moitié pleine.

     Les quelques employés s'activent dans le petit restaurant désert. Une atmosphère chaleureuse règne, et il y fait bon. J'ai même retiré ma veste. Le vieil homme au comptoir parle joyeusement au téléphone, s'exprimant dans une langue étrangère. Des cadres de photos de famille sont accrochés aux murs jaunâtres. Dehors, le vent souffle sans répit.

— Mmh, ça c'est de la bonne bouffe, continue Clément en goûtant à ses frites.

— T'étais sérieux quand t'as parlé de partir ? demandais-je après un court silence.

     Il avale sa bouchée avant de répondre :

— Bien sûr. Pense-y sérieusement.

— Et ta fille alors ?

— Je peux bien la laisser quelques jours à la voisine. Elle sera ravie même. On est pas obligés de partir longtemps.

— Et tu veux aller où ?

— J'en sais rien. Ça te va pas ce que je t'ai proposé tout à l'heure ?

     Quelques secondes passent pendant lesquelles je me remet à manger. Je réfléchis à mes mots. Je ne me suis pas ouvert à quelqu'un depuis des années, encore moins à Clément.

— Je peux pas aller là-bas. Je... je suis pas prêt. Tu te souviens d'où me vient cette admiration pour cet endroit ?

— Ta mère ? Oh, oui... Pardon Terrence.

     Je ne réponds pas et continue de manger.

— Qu'est-ce que tu dis de l'Italie ?

— L'Italie ? Pourquoi ? j'interroge en saisissant mon verre d'eau.

— C'est beau non ? Et y a la mer, le sable, tout ce que Paris n'a pas quoi !

— Si tu veux mon avis, tu vas un peu te les peler en Italie. Surtout si tu comptes te baigner. C'est Georgio qui t'es rentré dans la tête ou quoi ?

— On attend un moment ! T'es chiant. En avril il fera déjà bon.

— Mouais. On verra d'ici là.




     Le taxi nous dépose enfin devant l'immeuble de mon meilleur ami. La fatigue commence à se faire sérieusement ressentir et nous pénétrons dans l'appartement en baillant.

     Nous nous laissons tous les deux tomber dans le canapé. Tandis que mon regard se fixe sur l'écran noir, une idée me vient soudainement.

— Dis, tu sais... l'appart de Georgio. Y a assez de place pour deux. Enfin, pour trois, me rattrapais-je.

— T'es sérieux là ?

     Clément semble avoir totalement retrouvé son énergie. Je me contente de hocher la tête et son visage s'emprunt à une réflexion plus intense.

— Honnêtement, je sais pas si ça le ferait. Ce serai plus compliqué pour faire garder la petite, sans compter sur sa mère. Si elle apprend que j'ai quitté cet appartement, je sais pas comment elle pourrait le prendre.

— Ok.

— Mais, merci Terrence. Ça me touche franchement.

Je l'ignore et retire mes baskets. Il me regarde faire avant de se lever.

— Bon, bonne nuit mon vieux. Demain sera une autre grosse journée.

— Ouais, bonne nuit.


***

     Après cette longue nuit qui me parut hors du temps, je me réveille au petit matin. Les rayons du soleil s'infiltrent par la fenêtre de la cuisine éclatante de lumière. Le silence règne dans le petit appartement, rythmé par les bruits de la ville qui s'éveille à l'extérieur.

     Je reste un moment allongé, avant de me diriger vers la cuisine. La lumière éblouissante me fait plisser les yeux et je place une main en visière. Je me sers un verre d'eau, puis ouvre la fenêtre menant sur le petit balcon.

     Le froid me frappe de plein fouet, mais je me laisse réchauffer par la douce chaleur de l'astre roi.

     J'observe un vieil homme qui lutte contre son portable. À côté, un facteur débute sa tournée matinale. Les deux hommes se croisent sans même un regard l'un pour l'autre. Je finis de boire mon verre d'eau en pensant que j'ai effectivement besoin de changer d'air.

— Hey, t'es déjà réveillé...

     J'ai un bon de surprise et failli lâcher mon verre avant de reconnaître la voix familière de mon meilleur ami. Les yeux encore à moitiés fermés, le teint pâle et les cheveux en bataille, il se tient derrière moi.

     S'activant dans la cuisine, je le rejoins en laissant volontairement la fenêtre ouverte.

— Je t'ai réveillé ? T'aurais dû dormir plus longtemps, t'as l'air fatigué.

— Je peux pas, dit-il en déposant une assiette sur la table. C'est l'enterrement de ma mère aujourd'hui.

     Même s'il voulu faire comme si de rien n'était, je sens la difficulté qu'il éprouve à prononcer cette phrase. Mon cœur se serre pour lui, me remémorant l'enterrement de ma propre mère, auquel on m'avait si douloureusement forcé d'assister.

— T-tu veux que je t'accompagne ?

     Il s'arrête pour me regarder.

— Je vais pas t'infliger ça Terrence...

     J'avale ma salive et m'assois silencieusement à table avec lui. Je n'ai certainement pas envie de le laisser seul dans un moment pareil, mais c'est trop pour moi, et il en est conscient.

— T'as qu'à rentrer chez toi, ok ? Enfin, chez toi plus pour longtemps. Rassemble tes affaires et je passerai te chercher pour qu'on emménage ton nouvel appart. Ça te va ?

     Je me contente de hocher la tête en mordant dans le croissant qu'il a déposé devant moi.

     Nous finissons rapidement de manger et je me lève, prêt à partir.

— Bon, je vais chercher Héra. Tu t'en sors pour rentrer ?

— T'inquiètes.

     Nous nous quittons sur le palier. Mais avant de partir, je me retourne vers lui.

— Appelle-moi si ça va pas, d'accord ?

Il me sourit gentiment et hoche la tête. Je lui tourne le dos et descends les escaliers. Direction mon trou à rat !

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