12 : Trêve bien méritée

Ce n'est que dimanche soir que je suis de retour dans mon quartier. Mes blessures sont presque résorbées, grâce aux soins improvisés de Clément. À part pour mon poignet, où là, il n'a rien pu faire. En parlant de lui, il a catégoriquement refusé de me laisser rentrer seul. Laissant la petite Héra à la voisine, il a sauté dans sa voiture pour m'accompagner.

Lorsque nous arrivons sur le palier désert, nous constatons que la porte de mon appartement est grande ouverte. Des traces de la bagarre témoignent de la scène passée, des verres cassés, du sang par terre et sur certains meubles. La pièce est sans dessus dessous.

— Eh ben...

— Je suis dans la merde.

— Allez, on a la journée. Je suis sûr qu'on peut le faire.

— On ?

— Tu as devant toi le meilleur homme de ménage de la ville !

— Bizarrement, j'y crois pas trop, rétorqué-je.

— Ça ira toujours plus vite que si t'étais seul ! Et puis, je te dois bien ça. Pour ta serrure, je peux le faire fastoche. Par contre, celle-là est défoncée, déclare-t-il en l'analysant de plus près. Il va en falloir une nouvelle. Tu commences le ménage ? Y a une boutique à deux rues d'ici. Je vais te chercher ça et je te rejoins.

Je soupire par fierté, mais je suis touché qu'il reste m'aider. Il me souhaite bon courage et repart, alors que je commence à ramasser les débris.

Lorsqu'il revient quelque temps plus tard, il ne lui faut pas plus de dix minutes pour changer la serrure. Puis il me rejoint en s'armant de gants de ménage et d'un balai.


En fin de journée, nous nous laissons tomber sur le canapé en soufflant. Nous avons enfin terminé.

— Ça te dit d'aller boire un verre pour se récompenser ? propose Clément.

— On est dimanche, t'es sûr que c'est une bonne idée ?

— J'ai dit boire un verre, pas se soûler.

— Bon, d'accord. Mais je dois prendre une douche avant.

— Il faut que je rentre à l'appart. Je suis censé récupérer la petite à 20h, mais je vais lui laisser pour la nuit du coup. On se rejoint là-bas ? Je t'envoie l'adresse par message.

J'acquiesce et me lève pour lui dire au revoir. Nous nous retrouvons l'un en face de l'autre, un silence lourd suspendu entre nous. On se regarde, comme deux personnes qui se connaissent trop bien, mais qui ne savent plus exactement quoi dire ou faire. Puis, sans prévenir, il s'avance vers moi et me prend dans ses bras.

Ce simple geste fait surgir une vague de souvenirs enfouis, des moments que je croyais avoir oubliés. Nous avons vécu tellement de choses ensemble. J'ai cru que je ne le verrai plus jamais, que tout ce que nous avions partagé serait perdu pour toujours.

— Ne me fait plus jamais ça.

Ma voix est faible, presque un murmure, mais je suis sûr qu'il l'a entendue, qu'il a ressenti chaque mot.

Malgré tout ce qu'il a fait, malgré les erreurs et les silences qui nous ont éloignés, je le pardonne.  Je suis prêt à le faire aujourd'hui. J'ai besoin de lui. J'ai besoin de sa présence dans ma vie, de cette ancre qui me maintient à flot. Je sais qu'il s'en veut profondément, mais moi, je ne pourrais jamais lui en vouloir éternellement.

— Merci Terrence.

Il étouffe un sanglot et nous nous quittons rapidement. Je referme la porte en prenant une longue inspiration.

Je n'ai aucune idée de ce qui m'attend, ni même de ce que je vais devenir. Mais une chose est sûre : je ne suis plus seul.


Vers 20h30, j'arrive devant un bar qui semble étonnamment animé pour un dimanche soir. Je hâte le pas pour m'abriter du froid, et en poussant la porte en verre, une musique entraînante me frappe immédiatement. Les néons illuminent les lieux de couleurs vives et quelques personnes un peu trop alcoolisées dansent sur une petite piste improvisée.

Je me faufile jusqu'au comptoir, évitant de justesse une fille qui faillit me rentrer dedans. Clément est là, un verre à la main, en pleine conversation avec le barman.

Je m'assois à côté de lui et lorsqu'il se rend compte de ma présence, il se tourne vers moi.

— Ah, te voilà ! Désolé, je t'ai pas attendu ! Tu veux quoi ?

Je hausse les épaules. Cela fait des mois que je ne me suis pas rendu dans un bar, je ne sais même plus quel genre de mélange il existe.

— T'inquiètes, je m'en occupe !

Il se tourne de nouveau vers le barman qui sert d'autres clients, et lève son verre devant lui en faisant un signe de la main.

— Force pas trop, je te rappelle qu'on a rendez-vous avec Georgio demain.

— T'inquiète, je gère. Détends-toi un peu ! On le mérite bien ! Tiens, goûte-moi ça, dit-il en posant le verre qu'il a commandé devant moi.

Je le fixe un instant, pris entre l'envie de le repousser et celle de le suivre dans sa folie. Puis je saisis le verre. Je prends une longue inspiration, comme si je m'apprêtais à boire la mort elle-même.

Je cul sec le contenu, et dépose le verre sur le comptoir en grimaçant. Clément éclate de rire en me regardant.

— Tu vois, c'est pas si mal ! T'en veux un autre ? Moi oui en tout cas !

— Ouais, mais doucement. Tu devrais y aller mollo.

— Roh, fais pas ton rabat-joie ,Terrence ! Je t'offre une deuxième tournée. Ça va bien se passer !




— Cette soirée était vraiment incroyable, merci mon pote !

— Clément, je suis de l'autre côté. Tu parles à un tabouret là.

— Ah merde ! Je me disais que t'avais rétréci aussi ! Eh, il reste encore des bouteilles ?

Il ne reste plus personne dans le bar, si ce n'est quelques employés. Un homme s'approche justement et nous présente poliment la porte.

— Messieurs, veuillez nous excuser, mais nous allons fermer.

— Non, c'est fini. Allez viens, on rentre.

Je souris brièvement à l'homme et il nous souhaite une bonne nuit. Clément n'insiste pas et me suis hors de l'établissement. Je commence à marcher pour traverser la rue, mais je le vois qui part en sens inverse. Sa démarche est incertaine et il semble se parler à lui-même. Il s'approche dangereusement d'un réverbère.

— Clem !

Il relève bêtement la tête et croise mon regard. Mais cet abruti ne s'arrête pas de marcher et se prend brutalement le poteau en pleine face. Il recule sous le choc, mais ne semble pas ressentir la moindre douleur.

— Oups, c'est quoi ça ?

Je soupire, exaspéré, et traverse la rue pour aller à sa rencontre. Je vérifie rapidement l'état de son visage, mais il n'a rien. En revanche, il s'en souviendra sûrement lorsqu'une bosse fera son apparition demain.

— T'habites par là-bas. Accroche-toi à moi.

Il ne se fait pas prier et nous nous dirigeons lentement jusqu'à chez lui. Lorsque nous arrivons devant son immeuble, il me tend les clés et je l'aide à monter les escaliers en le tenant fermement.

— Merci Terrence, t'étais pas obligé de me ramener.

— Tu parles. Vu l'état dans lequel t'es, je suis pas sûr que tu sois rentré vivant si je l'avais pas fait.

— Roh, t'exagère. Je vais pas si mal que ça ! La preuve, j'ai pas paumé mes clés !

— Heureusement que ta fille n'est pas là...

— Ma fille. Ça fait trop bizarre de dire ça ! Tu te rends compte ? J'ai un putain de gosse, moi, Clément !

— Tu ferais mieux de boire un verre d'eau. Et de prendre une douche.

— Ok, ok, ça va. Je vais prendre une douche.

Je l'accompagne jusqu'à la salle de bain où il faillit se rétamer par terre en se prenant les pieds dans le tapis. Pour éviter la chute, il s'agrippe à mon poignet blessé et je laisse échapper un râle de douleur.

— Oh merde ! Je suis désolé mec ! s'exclame-t-il.

— Ça va, dépêche-toi.

Il enlève son t-shirt, toujours en débitant des conneries.

— Tu sais Terrence, je t'aime beaucoup hein. Mais, il y a des choses qui ne changent pas, genre le fait que j'aime les femmes. Désolé hein...

— Je compte pas te mater sous la douche abruti. J'ai pas spécialement envie de vomir.

Il s'esclaffe bêtement alors que je quitte la salle de bain en fermant la porte.

— Si t'as besoin, je suis à côté !

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