9ème Chapitre

Une étincelle de bonheur t'habite encore

Les rayons du soleil se répandirent dans la chambre, la lumière éclaira délicatement les deux dormeurs dans le lit. C'était le weekend, les travailleurs restaient chez eux.

Se réveillant doucement, Rinual cligna plusieurs fois des paupières. Ses pensées embrumées s'éclaircirent avec lenteur, il se remémora les événements de la veille. Ses yeux bleus se posèrent sur la jeune femme à ses côtés, elle sommeillait encore paisiblement. Le duvet avait glissé, son t-shirt s'était relevé, dévoilant la peau nue de son ventre. De la tristesse l'envahit à la vue des trop nombreuses cicatrices qui parcouraient son corps. Par envie, il effleura du bout du doigt l'une des anciennes plaies. Vay fronça les sourcils, gémit et se retourna. Elle continua à sommeiller sans faire de manières, à son aise. Rinual sourit puis se leva, il commença par s'habiller. Ensuite, il prépara un pull et un pantalon pour son invitée avant de sortir de sa chambre, refermant la porte derrière lui. Dans la cuisine, il trouva son père assis à la table haute, un café devant lui et un hologramme affiché face à ses yeux. Il ne prononça pas un seul mot, se contentant de se faire un plateau-déjeuner bien chargé. Une fois tous les aliments souhaités récoltés, il s'apprêtait à quitter la pièce quand son paternel l'arrêta.

— Tu vas vraiment manger tout ça ?

Le ton désapprobateur qu'il utilisa ne laissait aucun doute sur ses reproches. Le scientifique savait qu'il devait l'ignorer, nonobstant il ne résista pas à la tentation de répliquer.

— Et alors ? Tu veux contrôler mes repas aussi maintenant ?

Au moment où ces mots franchirent ses lèvres, il se rendit compte de son erreur. Il n'avait jusque-là jamais répondu à son père, tout au plus en pensées, et voilà que du jour au lendemain il se permettait ce genre de remarque ? Rinual avait bien conscience que c'était à cause de politiciens comme son paternel si des expériences à l'instar de celles menées sur Vay existaient. C'était aussi de leur faute si la discrimination sociale empêchait son frère de faire ce qu'il voulait. Cependant, il risquait d'éveiller ses soupçons en lui faisant brutalement front.

Son père le scruta attentivement, sur la défensive. Il semblait irrité.

— Si tu as un problème, dis-le. Je ne tolérerai pas que l'on conteste mes décisions dans ma propre maison, alors sois prêt à assumer les conséquences de tes actes.

Rinual prit soin de garder un visage neutre, ses lèvres restèrent closes. En silence, il se détourna et partit dans sa chambre sous l'air calculateur de son paternel. Il devait faire plus attention s'il ne voulait pas avoir des problèmes.

— Tout va bien ? lui demanda une Vay à peine réveillée.

Se frottant les yeux, elle se leva en bâillant avant de longuement s'étirer.

— Plus ou moins.

Il resta vague, elle n'insista pas. Son regard orange brilla à la vue de tous les aliments qu'il avait apportés, elle ne se fit pas prier pour prendre un petit pain et mordre dedans à pleines dents.

— Hmm, ch'est trop bon ! s'exclama-t-elle, ravie.

Son air enfantin amusa l'homme, il déposa le plateau sur son bureau et se saisit d'une tasse de café. Ses pas le menèrent automatiquement à la fenêtre, il avait l'habitude d'observer la ville en se levant, le matin. Le brouillard ne s'était pas encore dissipé, il cachait la partie basse de Farshlisn.

— C'est beau... soupira Vay en le rejoignant. Même si ça manque de vert. Pourquoi n'y a-t-il pas de vert ?

— Parce que c'est la ville.

— Ce n'est pas une raison. Je suis sûre qu'il existe de nombreuses villes avec beaucoup de nature, alors pourquoi pas ici ?

— Personne ne va à l'extérieur, hormis dans une navette ou à la réserve, dont l'accès est limité. Avoir des arbres, si tant est que ce fût possible à cause de la radioactivité, ne servirait à rien.

— Mais c'est triste !

Il ne sut que lui répondre. Un moment s'écoula, le silence était régulièrement brisé par les bruits de mastication de Vay. Elle n'arrêtait pas de piocher dans la nourriture posée sur le plateau, il n'en resterait bientôt plus rien.

— Je ne t'ai pas demandé, tu as quel âge ?

— On est quel jour ?

Rinual jeta un coup d'œil à son hologramme avant de lui répondre.

— Le deux novembre.

— Alors j'ai dix-huit ans.

— Quand es-tu née ?

— Le professeur m'a toujours dit que c'était le premier novembre, mais je ne sais pas si c'est vraiment le jour de ma naissance ou si c'est la date à laquelle je suis arrivée au centre.

Le scientifique ne réagit pas dans un premier temps, avant de brusquement se tourner vers Vay.

— Mais c'était ton anniversaire, hier !

Elle acquiesça, ne saisissant pas son soudain engouement. Il reposa sa tasse et appuya ses deux mains sur ses épaules en lui faisant face.

— Tu ne comprends pas. Hier, tu as atteint ta majorité.

— Euh, oui, je suis au courant. Pourquoi, il y a quelque chose de spécial que je devrais savoir ? le questionna-t-elle en se mordillant la lèvre.

— Chaque citoyen reçoit à sa majorité un badge qui lui permet de se déplacer partout. Certains font exception, bien entendu, mais c'est un jour important à partir duquel tu as accès seul aux navettes, aux magasins, aux endroits publics et autres.

— Si tu le dis, mais je ne vois toujours pas en quoi ça me concerne.

Il s'écarta, reprenant son calme. L'espace d'un instant, il avait oublié d'où elle venait et sa condition si spéciale. Son esprit imagina ce qui se serait passé si elle avait été une fille normale et qu'ils se fréquentaient... Non, vraiment, il divaguait. Elle était trop jeune... Ce n'était définitivement pas le sujet. Secouant la tête, il se détourna.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Il va te falloir un badge. C'est le minimum pour pouvoir se déplacer librement ici.

Se connectant à l'interface de la ville, Rinual envoya un message à Roythorik et Sheyn. C'était les personnes qui s'y connaissaient le plus en informatique parmi ses relations. Elles lui répondirent avec rapidité, l'analyste ne savait pas comment s'y prendre. La technicienne lui apprit que, pour falsifier un badge, ils avaient besoin d'argent et devaient s'adresser à des individus peu recommandables. De plus, comme il s'en doutait, c'était totalement illégal.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Je ne peux pas rester indéfiniment dans ta chambre, ton père finira par découvrir ma présence. Au fait, je ne fais pas attention, mais je devrais parler moins fort ? Ou même ne pas parler du tout ?

— Tout est insonorisé, ici. Même si tu criais de toutes tes forces, personne ne t'entendrait.

— Que c'est rassurant, réagit-elle avec sarcasme.

Comprenant le sous-entendu de ses paroles, il s'empressa de se reprendre.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire. Enfin, si, mais non. Je ne compte rien te faire.

— De toute manière, tu ne pourrais pas, dit Vay d'un ton ne laissant transparaitre aucune hésitation. Je suis bien plus forte que toi.

— Permets-moi d'avoir des doutes, tu es légère comme une plume.

— Et alors ? rétorqua-t-elle en haussant les sourcils. Je ne vois pas le lien entre le poids et la puissance.

— Plus quelqu'un est lourd, plus ses coups auront de l'impact.

— À mon avis, c'est plus une question de proportion et de muscles. D'entraînement, aussi. De vitesse. Il me suffit d'un instant pour t'avoir, sache-le.

— Vraiment ? la mit-il au défi.

Il n'eut pas le temps d'esquisser le moindre geste qu'elle était derrière lui, un couteau appuyé contre sa gorge. Il déglutit difficilement et admit sa défaite, elle reposa le service près du beurre.

— Alors, on fait quoi ?

— J'ai peut-être une idée... C'est risqué. Très risqué, même.

— Dis toujours.

Rinual hésita, il pesa ses mots avant de lui expliquer son début de plan.

— Denunsi traine souvent dans la ville-basse, il doit avoir des contacts. Je l'ai soigné hier, et...

— D'ailleurs, il va mieux ?

— Je ne sais pas, je ne l'ai pas vu.

— Non mais toi... c'est ton frère quand même ! Va lui parler, tout de suite, lui ordonna-t-elle en le poussant sans ménagement vers la porte.

Il se retrouva hors de sa chambre sans comprendre ce qu'il venait de se passer. Soupirant, il vérifia que son père n'était pas dans les parages puis frappa chez son cadet. Un grognement lui répondit, il le prit pour une invitation et entra. Denunsi était allongé tout habillé, un bras posé en travers de son visage. Il regarda du coin de l'œil Rinual arrivé avant de retourner à ses pensées.

— Je peux te parler ?

— Dégage.

— C'est important.

— Depuis quand tu m'parles d'trucs importants ? Depuis quand tu m'parles tout court en fait.

La discussion s'annonçait compliquée, le scientifique s'assura que le battant était bien refermé derrière lui avant de s'asseoir sur la chaise de bureau.

— Tu te souviens d'hier soir ?

— Ben oui, j'ai une mémoire. Faut pas abuser.

Rinual se retint de lever les yeux au ciel, son frère l'exaspérait. Il prit sur lui et continua :

— De quoi te souviens-tu exactement ?

Sentant le sérieux de la conversation, Denunsi se redressa et réfléchit.

— Ben j'suis rentré, t'étais là. J'suis allé dans ma chambre, et pis... Où est ma feuille ? Elle est où ?

Brusquement frénétique, il se mit debout et entama des recherches à travers toute la pièce, en commençant près de la fenêtre. Regardant sous son lit, il poussa ensuite son frère pour accéder à son bureau. Ses gestes empressés n'avaient rien de logique, il fouillait sans efficacité et n'arrivait à rien, ce qui ne faisait qu'empirer son état.

— Elle n'est pas là.

Denunsi s'interrompit d'un coup avant de se tourner lentement vers Rinual, un mélange de colère et de peur dans le regard.

— Tu l'as prise ? demanda-t-il d'un ton légèrement tremblant. Tu l'as prise, sale voleur ! cria-t-il soudainement.

Alors qu'il s'apprêtait à bondir sur son frère, une voix féminine provenant de son dos l'arrêta net.

— Il est là, ton papier.

Se retournant, l'adolescent découvrit une femme simplement vêtue d'un grand t-shirt sur le pas de sa porte. Le battant était refermé derrière elle, quand était-elle entrée ?

— T'es qui, toi ?

La question sonna si enfantine que la nouvelle venue ne put s'empêcher de sourire.

— Je m'appelle Vay, je suis une amie de ton frère.

— Pff, comme si t'avais des amis, rétorqua le jeune sans se soucier d'être blessant.

Les yeux orange se plissèrent, son visage se ferma. Elle n'aimait pas qu'on s'en prenne aux personnes qui l'aidaient. Denunsi perçut le changement dans son attitude, il fit instinctivement un pas en arrière et heurta Rinual qui s'était levé entre-temps.

— Tu devais rester dans ma chambre.

— Je vous ai entendu parler, je me suis dit que ça risquait de mal tourner alors je suis venue. Pourquoi, ça te dérange ?

— C'est impossible que tu nous aies entendus, plusieurs murs séparent les deux pièces.

— Tu devrais pourtant savoir d'où me vient cette capacité, lui dit-elle avec une once de tristesse.

Il se sentit coupable de lui avoir rappelé de mauvais souvenirs et détourna la tête, silencieux. Denunsi, qui avait assisté à tout l'échange sans dire un mot, finit par s'avancer vers Vay et tendre la main.

— Donne-moi la feuille.

— À une seule condition.

Les yeux brun foncé se plissèrent, il n'aimait pas qu'on l'oblige. Pourtant, il sentait qu'il ne pouvait rien faire contre elle, autant l'écouter et, pourquoi pas, négocier.

— Emmène-moi avec toi.

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