8ème Chapitre (2/2)

La scène qui s'offrit à ses yeux en pénétrant dans la pièce lui redonna la pleine possession de ses moyens. Il dépassa Vay pour s'approcher de Denunsi, qui était appuyé contre la fenêtre, divaguant complètement. À côté de lui gisait une feuille sur laquelle étaient gribouillés des mots à la hâte. Il n'y fit pas attention, s'occupant en premier de l'adolescent brûlant de fièvre. Il le porta tant bien que mal jusqu'à son lit. Une fois que son frère fut allongé, Rinual alla chercher des médicaments et un verre d'eau. Il força le jeune à les prendre, s'assurant qu'il avale bien tout, et quelques secondes plus tard, il s'était endormi.

- Comment as-tu su ? demanda-t-il d'un ton tranchant en se tournant vers Vay. Tu n'étais pas censée venir ici...

Les mots lui manquèrent quand il découvrit la femme vêtue seulement d'un long t-shirt blanc, ses cheveux bruns tombant en cascade dans son dos, son visage pensif tandis qu'elle regardait un papier tout en se mordillant la lèvre inférieure, à contrejour. Les reproches qu'il comptait lui faire s'envolèrent en même temps que ses pensées, il resta à l'observer en silence jusqu'à ce qu'elle tourne finalement la tête vers lui.

- Tu disais ? Ah, oui, désolée, je n'aurais pas dû venir ici, mais j'ai entendu des bruits étranges alors je suis venue voir.

- Ce... enfin, c'est pas... Je...

Il se racla la gorge et détourna le regard. Un ronflement leur parvint, ils quittèrent doucement la pièce pour laisser le jeune se reposer. Ensemble, ils retournèrent dans la chambre de Rinual.

- Qu'est-ce que ça veut dire, « crois. 15-16-18 demain soir » ? Et qui est Shlekht ?

- Fais voir.

Elle lui tendit la feuille, il l'examina. D'autres mots illisibles étaient jetés sur le papier, il chercha sans succès à les comprendre.

- On dirait un rendez-vous. Au croisement de la quinzième, seizième et dix-huitième sections, demain soir. Il ne faut pas que père l'apprenne, lâcha-t-il dans un soupir en allant mettre la page en sécurité dans son bureau.

- C'est dans la ville-basse ?

Rinual acquiesça.

- Si je me souviens bien, tu m'as dit qu'il ne fallait pas y aller parce que c'est dangereux.

- Exact, sauf que mon charmant petit frère cherche à se faire remarquer en enfreignant les règles établies par mon père et passe son temps là-bas. Si ça venait à se savoir, notre famille aurait de gros problèmes.

- Mmh, fit-elle pensivement en se laissant tomber sur le lit. Je suis crevée, ajouta-t-elle en bâillant à s'en décrocher la mâchoire, tu viens ?

Elle tapota le matelas à côté d'elle, il hésita un court instant avant de la rejoindre. Tous les deux s'allongèrent côte à côte, ils restèrent ainsi un moment dans un silence reposant. Ce fut elle qui prit la parole en premier.

- Tu veux bien me parler de toi ?

- De moi ? Il n'y a rien d'intéressant à dire.

- Je suis sûre que si. Et même si ce n'est pas le cas, laisse-moi en juger. S'il te plait.

Sa tête pivota, ses yeux bleus croisèrent le regard orange de la jeune femme.

- D'accord, mais tu es prévenue. Ne t'attends à rien d'extraordinaire.

Elle sourit gentiment, il sentit sa bienveillance.

- Alors, par où commencer... Ma famille est assez particulière, à cause de mon père. Tout a toujours tourné autour de lui. Je ne sais pas grand-chose sur mes grands-parents, mais je crois qu'ils étaient très stricts avec lui.

« À la sortie de l'école obligatoire, mon père a continué les études. Il s'est spécialisé en politique, ses bonnes notes et sa perspicacité lui ont permis de trouver rapidement du travail. Tu sais, la politique est vraiment un domaine difficile. Il ne faut avoir aucune pitié pour s'y faire sa place, et mon père ne fait pas exception. Il se débarrasse de tous les obstacles sur son chemin. C'est peut-être pour ça que sa vie de famille est un long échec.

« Ma mère était une libre-penseuse. Elle n'en avait rien à faire des conventions sociales, des normes de la société et de ce que les gens pensaient. Si elle avait quelque chose à dire, elle le disait. Si elle voulait faire quelque chose, elle le faisait. Je n'ai jamais compris comment une telle femme, forte et indépendante, s'était retrouvée mariée à un homme comme mon père, droit et rigide.

« Quand j'avais trois ans, ma mère s'est fait arrêter. C'est devenu un tabou dans la famille, je ne sais même pas si elle est encore en vie à l'heure actuelle. Si j'ai le malheur de l'évoquer devant mon père, il se ferme complètement et prend un air menaçant.

« Je n'ai quasiment aucun souvenir d'elle, continua-t-il en constatant que les mots lui venaient naturellement, il se sentait en confiance auprès de Vay. Juste une sensation de chaleur quand je pense à elle, comme si elle me serrait dans ses bras.

« J'ai grandi seul jusqu'à mes huit ans, j'étais un enfant plutôt solitaire. Une voisine me gardait après l'école ou quand mon père travaillait. Elle n'avait pas de jeux chez elle, dès que j'ai su lire je me suis passionné pour les ouvrages papier qu'elle possédait. C'est comme ça que je me suis retrouvé à les collectionner.

« À mes huit ans, mon père s'est remarié. Mariage politique dénué de sentiments, ils ont eu un enfant par convenance. Denunsi est né. Sa mère a divorcé dès qu'elle a pu, l'abandonnant. Nous n'avons jamais été très proches, lui et moi. Je restais toute la journée dans ma chambre à lire, lui cherchait de la compagnie auprès des autres enfants du building. Il passait son temps, petit déjà, dans le parc de l'étage inférieur. Il a gardé cette habitude de traîner dehors autant qu'il peut, je ne sais pas s'il va encore à l'école. J'en doute.

- Quel âge a-t-il ?

- Seize ans.

- Et toi ?

- Vingt-cinq. Bon, à ton tour.

- Comment ça ?

- Je ne vois pas pourquoi je serais le seul à parler de ma vie, alors à ton tour.

Le silence s'établit dans le noir de la chambre. Le soleil s'était couché, les lumières étaient éteintes. Vay bougea, elle s'installa sous le duvet, imitée par Rinual qui sentait le poids de la fatigue arriver. Une bonne nuit de sommeil lui ferait du bien, la jeune femme à ses côtés avait raison.

- Je n'ai aucun souvenir de ma famille. La seule personne avec qui j'ai grandi, c'est le professeur. Il s'est occupé de moi depuis toujours, c'est lui qui m'a appris à marcher, à parler, à lire, à compter. Il supervisait toute ma vie, de mes repas qu'il m'amenait chaque jour à mes entraînements, en passant par mon éducation, mes opérations, mes vêtements. Jusqu'à récemment, c'était la seule personne que je connaissais. Puis mes résultats se sont stabilisés.

Elle se tut, il attendit qu'elle continue. Comme la suite ne venait pas, il se tourna vers elle et vit son visage paisible. Ses yeux étaient fermés, sa respiration lente. Au moment où Rinual se dit qu'elle dormait, Vay ouvrit la bouche et poursuivit dans un murmure :

- Tu vas m'abandonner, toi aussi ?

Avant de s'en rendre compte, il l'avait prise dans ses bras et la serrait doucement contre lui. Ce contact lui fit autant de bien qu'à elle.

- Tant que tu auras besoin de moi, je serai à tes côtés.

Seul un soupir de bien-être lui parvint. La jeune femme se blottit confortablement contre lui et s'endormit.

Au vu du nombre de questions demeurant sans réponse, de ses sentiments emmêlés et des jours mouvementés qui les attendaient, l'homme pensait rester éveillé encore longtemps. Pourtant, son esprit fut rapidement gagné par les brumes du sommeil, il sombra sans résister dans les bras de Morphée.

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