7ème Chapitre

Abandonne tout, petit chaton sans défense

Elle avait mal. Elle avait chaud. Elle avait froid.

Tout son corps la faisait souffrir, chacun de ses muscles la lançait, chaque parcelle d'elle lui criait sa douleur. Elle se sentait écartelée et en même temps écrasée, tirée, compressée.

Vay n'en pouvait plus. Elle voulait tout abandonner, elle était prête à tout laisser tomber pour que cette horrible sensation qui l'habitait s'arrête enfin.

Lors de sa vie en tant que cobaye, elle avait subi maints tourments tous plus terribles les uns que les autres. Ses pires souvenirs prenaient place juste après les opérations, quand elle se réveillait et qu'elle ne se reconnaissait plus. Son apparence changeait à cause des greffes et des cicatrices qui recouvraient son être. Ses perceptions évoluaient rapidement, elle avait de la peine à s'y habituer. À chaque fois qu'elle fermait les yeux, elle avait peur de devenir quelqu'un d'autre, quelque chose d'autre durant son sommeil. Elle avait peur de se perdre.

La petite fille avait grandi trop vite, elle n'avait pas eu d'enfance. Il lui avait fallu dès son plus jeune âge faire preuve de courage et de maturité pour survivre, elle n'avait jamais eu le droit de montrer la moindre faiblesse. Alors que Vay avait enfin réussi à se libérer, la voilà qui se retrouvait incapable de la plus insignifiante action, alternant entre sommeil et inconscience. Son corps maltraité, un véritable tissu provenant de sources variées, ne supportait plus ce qui lui arrivait. Peut-être que le professeur savait ce qui allait se passer et qu'il n'avait rien dit pour ne pas l'effrayer. Peut-être que même lui ne pouvait prévoir que son être faiblirait de cette manière. Peut-être...

Elle devait aller de l'avant, une autre réalité l'attendait. Un nouveau monde s'offrait à elle, un univers de liberté où elle pourrait faire ses propres choix. Si elle renonçait maintenant, elle aurait tout perdu, sa vie entière n'aurait été que douleur.

Mais pourquoi se battre ?

Son avenir était on ne peut plus incertain. Oui, elle avait brièvement parlé avec le scientifique, Rinual, mais pas assez pour pouvoir lui faire confiance. Il lui avait annoncé qu'il l'aiderait, elle ne savait pas s'il tiendrait parole. Il pouvait très bien la dénoncer tant qu'elle était inconsciente, elle ne s'en rendrait compte qu'en se réveillant. Si tant est qu'elle reprenne connaissance un jour.

Et cette voix mystérieuse qui lui avait dit avoir besoin d'elle ? Une simple chimère créée par son esprit, sans aucun doute. Vay se sentait complètement inutile et démunie face à elle-même, comment aurait-elle pu faire quelque chose pour autrui alors qu'elle n'arrivait pas à gérer son propre corps ? Sa faiblesse lui sautait aux yeux, désormais. On avait tout fait pour l'améliorer, pour qu'elle devienne plus forte, plus rapide, plus parfaite. On s'était concentré sur son physique, son esprit n'avait pas suivi.

Elle pensait de plus en plus à tout laisser tomber. À abandonner. Ce mot sonnait défaitiste à ses oreilles, pourtant il avait quelque chose de rassurant. D'apaisant.

La douleur, encore et toujours. Cette fièvre brûlante qui l'envahissait tout entière tandis que son corps lui paraissait glacé. Le chaud et le froid. La santé et la maladie. La vie et la mort.

Elle avait entendu quelque part que ce qui ne tuait pas rendait plus fort. Si c'était véritablement le cas, elle pensait avoir déjà surmonté assez d'épreuves comme ça. Après tout ce qu'elle avait vécu, ne devrait-elle pas être plus puissante au point de pouvoir sans encombre guérir d'une simple blessure ? D'ailleurs, qu'est-ce qui la mettait dans un tel état ? Un coup de poing dans un mur pouvait-il vraiment avoir cet effet ?

Ah, que ça faisait mal. Son esprit sombrait de plus en plus dans une sorte de torpeur brumeuse, Vay luttait de moins en moins. Et si elle se laissait complètement aller ? Elle n'aurait plus à se soucier du lendemain, plus à craindre l'avenir, plus à se sentir seule. Elle n'aurait plus à souffrir.

N'abandonne pas.

Encore cette voix. Si elle avait pu, elle aurait sans doute souri ironiquement. Son esprit lui jouait de vilains tours, il lui donnait de faux espoirs. Elle en avait marre de toujours se faire mener par le bout du nez. Elle en avait marre qu'on dirige sa vie sans qu'elle puisse y redire quoi que ce soit.

J'ai besoin de toi.

Oui, elle avait déjà entendu cette phrase. Résultat ? Elle se retrouvait au bord de la mort, incapable de se relever.

Ça ne suffira pas.

Alors qu'est-ce qu'on fait ? On ne peut pas la laisser mourir.

On n'a qu'à lui montrer.

Elle ne le supportera pas.

Tu as une alternative à proposer ?

Voilà qu'un authentique dialogue se déroulait dans sa tête. Elle devenait folle, il n'y avait pas d'autre explication. Un corps rapiécé, une âme divisée. Elle était bien mal fichue.

Regarde. Et apprends.

Une véritable déferlante d'images toutes plus cruelles les unes que les autres cascada dans son esprit. Vay vit des villes entières rayées de la carte en un instant, disparaissant dans de grandes explosions soulevant des nuages sombres. Elle comprit qu'il s'agissait de la troisième guerre mondiale, ce conflit ayant ravagé la Terre.

D'importants groupes de personnes marchaient, toutes leurs affaires entassées dans un sac à dos. Des enfants agrippés à leurs parents criaient, des larmes coulaient sur les visages sales. De nouvelles explosions survenaient sans cesse, des milliers de vies s'éteignaient à chaque instant. La mort se tenait debout au milieu du peuple, elle fauchait tant d'existences que c'en devenait risible. Il ne restait que le désespoir, partout.

Puis un homme se leva. Il monta sur une estrade de fortune, il clama des mots à la foule. Les rescapés s'arrêtèrent, ils le regardèrent, perdus. Peu à peu, une lueur d'espoir s'éveilla en eux. Ils reprirent courage.

La peur de risquer d'être tué à tout moment les poursuivait, le danger les talonnait. Pourtant, des hommes et des femmes, même des enfants innocents et de faibles vieillards se mirent en mouvement. Ils se regroupèrent, ils commencèrent à bâtir, pas seulement de nouvelles maisons, mais un nouveau monde également.

La vision d'une mère toussant près de son fils avant de brusquement s'effondrer, à bout de forces, s'imposa à l'esprit de Vay. Elle vit le petit garçon pleurer à chaudes larmes. Une vieille dame s'approcha, elle reprit la pierre que transportait la femme. L'enfant la regarda, il se saisit d'une brique, la souleva. Tous les deux se mirent à travailler. Ils posaient les fondements d'une vie nouvelle. Ensemble.

Ne perds pas espoir.

Quoi que tu aies vécu, un avenir meilleur t'attend.

Nous avons besoin de toi pour le bâtir.

Tu nous es indispensable.

Alors vis, dirent les deux voix simultanément.

Vay sentit une force qu'elle ne soupçonnait pas jaillir du plus profond de son âme. Bien qu'elle ne comprenait pas vraiment d'où lui venaient ces mystérieuses pensées, elle se disait qu'elle n'avait rien à perdre à les écouter. Les images du passé lui avaient appris que des gens avaient connu bien pire, et qu'ils s'étaient quand même relevés. Alors qu'ils n'avaient rien, ils avaient avancé afin de bâtir leur avenir de leurs propres mains. Elle ne pouvait se laisser aller, ils lui avaient montré l'exemple. Elle devait se battre.

Le temps était une mesure bien capricieuse, qui semblait s'étirer sans fin dès lors qu'on était pressé et, au contraire, passer en un éclair lorsqu'on s'amusait. Dans sa souffrance, Vay ne sut si des minutes, des heures ou même des jours entiers s'écoulaient. Elle souhaitait simplement se sentir mieux, elle avait encore des choses à accomplir.

À un certain moment, la douleur commença à diminuer. Le mélange de chaud et de froid qui l'habitait s'équilibra, sa fièvre baissa tandis que sa température corporelle remontait. Son mal de tête devint supportable, elle n'eut plus la sensation d'être écartelée et compressée en même temps.

Son souffle se fit plus régulier, il se stabilisa enfin. Assis à son chevet, veillant sur la jeune femme allongée dans son lit, Rinual la regardait se reposer. Ses tourments semblaient s'être arrêtés. Il avait cru la perdre plusieurs fois, incapable de trouver un moyen de lui venir en aide. Les médicaments paraissaient n'avoir aucun effet, sa blessure à la main s'était infectée, sa fièvre ne cessait de monter. Puis, d'un coup, Vay avait commencé à aller mieux. Il ne savait d'où provenait ce changement, son origine lui importait peu du moment qu'elle se rétablissait.

La ramener chez lui n'avait pas été très compliqué. Il avait atteint la station, était sorti de la navette avec elle toujours dans le grand sac, avant de rejoindre son appartement. Il était rentré aux environs de huit heures, son père était déjà parti au travail et son frère était absent, sans doute en train de se promener dans la basse ville. Rinual avait emmené Vay dans sa chambre, il l'avait retirée de la housse, l'avait allongée et s'était occupé d'elle. L'excursion nocturne lui avait permis de donner un jour de congé à toute l'équipe, il en avait profité pour s'en accorder également un afin de soigner la jeune femme. Prévenant ses subordonnés que le colis était bien arrivé, il avait ensuite pris le temps de régler le robot domestique pour qu'il ne vienne pas le déranger. Depuis, plusieurs heures s'étaient écoulées durant lesquelles l'ancienne cobaye n'avait cessé de bouger et de gémir dans ses phases de sommeil troublé. Il était désormais dix-huit heures, les deux autres membres de sa famille pouvaient rentrer à tout moment. Il souhaitait avoir une discussion avec Vay avant, si elle s'éveillait dans un endroit inconnu sans aucun point de repère, elle risquait de commettre une erreur qui leur serait fatale à tous les deux.

Alors qu'il se demandait s'il devait forcer son réveil, elle papillonna des yeux. Leurs regards se rencontrèrent. 

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