5ème Chapitre (2/2)
Un silence suivit son interrogation, le scientifique réfléchit sérieusement à sa question. À vrai dire, il n'y avait jamais vraiment pensé. Il lui avait toujours semblé naturel qu'une fois ses études terminées, il rejoigne le centre. Rinual n'arrivait pas à définir à quel moment il avait intériorisé ce fait ni qui lui en avait parlé en premier. Sans doute son paternel.
— Ma vie est toute tracée depuis ma naissance. Non pas que je n'ai jamais eu le choix, simplement, mon père a tout décidé pour moi dès mon plus jeune âge sans que je m'y oppose. Je ne sais pas vraiment à partir de quand, mais j'ai fini par faire ce qu'il désirait sans me poser de questions. Mon frère est libre, à côté de moi. Il fait ce qu'il veut sans se soucier des règles.
— Tu as un frère ?
Les yeux bleus croisèrent le regard améthyste de la jeune femme. Ils y virent une sincère curiosité. Si elle disait vrai — et c'était sûrement le cas —, elle n'avait encore jamais rencontré de fratrie.
— Oui. Il s'appelle Denunsi, nos mères sont différentes. C'est mon demi-frère, en somme.
— Pourquoi ?
— Pardon ?
— Pourquoi vous n'avez pas la même mère ? questionna-t-elle innocemment.
En apercevant le visage de l'homme se fermer, Vay se rendit compte qu'elle avançait sur un terrain miné, sans arriver à comprendre pourquoi. Il était normal pour elle de se renseigner sur la famille de Rinual, elle voulait en apprendre plus sur le monde extérieur et, pour le moment, celui-ci se résumait au scientifique qui marchait à ses côtés. Ce dernier soupira avant de finalement lui répondre.
— Ma mère a enfreint la loi. Je n'étais encore qu'un enfant, je ne m'en souviens pas clairement, mais je ne l'ai plus jamais revue après que les agents de sécurité sont venus l'arrêter. Mon père s'est remarié quelques années plus tard, il a eu un deuxième fils, mon petit frère. Sa seconde femme a demandé le divorce alors que Denunsi n'avait que cinq ans, elle n'a pas voulu de la garde. Depuis, nous vivons tous les trois ensemble.
— Hum, laissa-t-elle échapper pensivement, assimilant tous ces éléments nouveaux pour elle. Elle avait déjà lu dans un livre des extraits de la loi et des différentes situations familiales possibles, cependant elle n'avait eu aucun exemple concret pour bien saisir toutes ces notions. Cette discussion avec Rinual lui apprenait beaucoup.
Ils arrêtèrent de parler le temps de passer au-dessus d'une racine.
— Et vous vivez où ? Je veux dire, à quoi ressemble ta maison ?
— Maison ? Plus personne n'utilise ce mot depuis la création des villes. J'habite dans un gratte-ciel, comme tout le monde, ajouta-t-il tandis qu'elle le fixait attentivement. Il se situe dans le quartier ouest, même si ça ne t'évoque sans doute rien.
Elle acquiesça, attendant la suite de ses explications, toute ouïe.
— La ville de Farshlisn, où nous sommes actuellement, se divise en quatre parties. Tu connais la réserve et le centre de recherche. Au milieu se tient la zone industrielle, là où la nourriture est cultivée et la viande synthétisée.
— Synthétisée ? releva-t-elle d'un ton interrogatif.
— Élever des animaux avait un coût trop conséquent, ce n'était pas rentable, alors les entreprises ont réfléchi à un autre moyen de produire de la chair animale. En collaboration avec le centre, ils ont développé des machines capables de recréer les protéines présentes dans la viande et s'en servent désormais.
Il attendit quelques secondes, le temps qu'elle assimile les informations, avant de reprendre :
— Ensuite vient la haute société, où se trouvent tous les logements des plus aisés et les locaux du gouvernement. Elle est divisée en six secteurs, l'Ouest, le Nord, le Nord-est, l'Est, le Sud-est et le Sud. On y retrouve notamment tous les politiciens, les médecins, les chercheurs, les directeurs. Cette zone forme une sorte d'arc de cercle autour du secteur industriel, tous les deux sont reliés par de grands axes aériens.
— Comment on fait pour s'y déplacer ?
— Grâce à des navettes, aussi appelées capsules. Dans chaque building se trouve une station, en utilisant son badge de citoyen... c'est vrai que tu n'en as pas, il faudra qu'on réfléchisse à une solution... Donc, en utilisant son badge, on peut réserver une navette qui nous emmène où on le souhaite. On peut aller presque partout, seuls certains bâtiments gouvernementaux ont un accès restreint. Le centre de recherche aussi, d'ailleurs. Une capsule spéciale est obligatoire pour pouvoir passer au-dessus du mur d'enceinte de la réserve sans être abattu.
— Euh, abattu, vraiment ? Ce n'est pas un peu extrême ?
Il la dévisagea, c'était étrange pour lui de se dire qu'une cobaye ayant subi nombre de douleurs s'offusque d'une telle mesure.
— La réserve est ce qui caractérise Farshlisn et rend la ville si précieuse.
— Je veux bien, mais je ne vois toujours pas pourquoi on en vient à une extrémité pareille.
— Je n'en suis pas certain, mais il y a sûrement eu des accidents par le passé.
Ils continuaient tranquillement leur chemin, contournant lentement l'immense tronc clair. De temps en temps, Vay s'arrêtait et effleurait de sa main gauche l'écorce, des picotements la parcouraient alors. Elle avait la vague impression que le feuillu pouvait disparaître à tout instant, elle ne comprenait pas d'où lui venait cette sensation ni pourquoi elle s'en inquiétait autant.
— Et la quatrième zone ?
— C'est la plus grande, elle se situe autour de la zone industrielle et de la haute société. Il s'agit des quartiers pauvres, c'est là que vivent tous les travailleurs des usines ainsi que ceux qui ont tout perdu. On y retrouve beaucoup de petits commerces et de personnes mal famées, ce n'est vraiment pas fréquentable. Enfin, il y a quelques secteurs parmi les vingt qui sont plus surveillés et donc plus sûrs, mais je te déconseille tout de même de t'y rendre.
— Et après ?
Le regard interrogateur de Rinual fit comprendre à la jeune femme qu'il ne saisissait pas le sens de sa question, elle la reformula plus clairement.
— Qu'est-ce qu'il y a après les quartiers pauvres ?
— Rien. La basse-ville est entourée d'un grand mur d'enceinte, encore plus imposant que celui de la réserve, pour nous protéger de l'extérieur. Qu'est-ce que tu as appris sur la fondation des villes ?
— J'ai lu un livre d'histoire sur la troisième guerre mondiale et les Fondateurs.
— Alors tu sais que la Terre est devenue radioactive, apportant beaucoup de problèmes.
Il attendit qu'elle hoche la tête avant de poursuivre.
— Le mur protecteur est spécialement fait pour empêcher la radioactivité de nous atteindre. Tant que nous ne le franchissons pas, nous sommes en sécurité.
Ils avancèrent un moment en silence. À chaque mouvement un peu brusque qu'elle faisait, Vay sentait la douleur s'éveiller dans tout son bras droit. Elle prenait garde à ne pas s'en servir et à éviter le plus possible de le bouger. Sa discussion avec Rinual lui changeait heureusement les idées.
— On fait une pause ?
Elle était capable de continuer, seulement, après un coup d'œil en direction de l'homme, elle vit qu'il commençait à fatiguer et accepta sa proposition. Ils s'assirent tous les deux sur le sol, éclairés par le clair de lune.
— Il y a un truc qui me perturbe...
— Lequel ? la questionna-t-il après un instant de silence.
— Tu m'as dit que la ville s'appelait Farshlisn. Si elle a un nom, c'est bien pour la différencier de quelque chose, non ? Alors comment se nomment les autres villes, et où se trouvent-elles ?
Une longue pause suivit sa demande, durant laquelle Rinual chercha visiblement une réponse satisfaisante à lui donner. Il finit par hausser les épaules.
— Je n'en sais rien. Tu es la première personne que j'entends s'interroger sur ça, jusque-là je ne m'étais jamais posé la question. Je ne sais même pas si d'autres personnes en dehors de cette ville sont encore en vie.
— C'est étrange. Je veux dire, le mieux serait de s'allier avec le plus de gens possible pour trouver une solution contre la radioactivité et pouvoir à nouveau s'installer partout dans le monde. C'est mon avis, peut-être que ce n'est pas envisageable.
Pensif, il resta un moment le regard dans le vague. Une chouette hulula non loin, ils décidèrent de reprendre leur route.
Vay se leva d'un mouvement fluide. La forêt tourna devant ses yeux, elle eut un vertige. Des taches sombres se mirent à danser partout autour d'elle tandis qu'elle chancelait, son corps tout entier fut parcouru d'un grand frisson. Elle avait froid, son bras la lançait, sa tête lui faisait mal.
— Tout va bien ?
La voix du scientifique sonnait comme s'il se trouvait sous l'eau, sa forme floue s'approcha d'elle. Des bras la soutinrent, elle se laissa faire. Ses yeux se fermèrent tout seuls. Elle sombra dans l'inconscience.
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