4ème Chapitre

Ne devrais-tu pas te tourner vers tes amis ?

Ils avançaient lentement dans la forêt, non pas par prudence, mais parce qu'ils étaient des scientifiques. Tous les deux pas, une plante attirait leur attention et quelqu'un voulait prendre un échantillon. S'ensuivait une discussion au cours de laquelle Roy rappelait à l'ordre ledit scientifique en soulignant la place et le matériel limités.

Diverses analyses avaient révélé la présence d'un pigment semblable sur ou dans différents organismes et déchets biologiques au cours des derniers jours. En creusant un peu, ils avaient découvert que des équipes et même d'autres secteurs, notamment celui de la faune, avaient des résultats similaires. Ils avaient commencé un travail de collectes tendant à récolter le plus d'informations possible avant de les examiner pour tenter d'en dégager un schéma. Ils avaient fini par trouver un point commun après de nombreuses discussions, hypothèses et remarques : plus on s'éloignait des hautes parois ceignant la réserve, plus les pigments étaient intenses et abondants. Une fois cette théorie confirmée par deux excursions visant à prélever de nouveaux échantillons, le chef avait lancé la procédure pour une expédition hors zone sécurisée. Celle-ci comprenait les bois se situant à moins de cinquante mètres du mur. Aller au-delà signifiait quitter le périmètre visible par le biais des caméras de surveillance et les gardes, ce qui exposait les scientifiques à plus de dangers. Il fallait donc une autorisation de l'administration, cette dernière étant véritablement la plaque tournante de la société.

Ils l'avaient obtenue, s'étaient bien équipés et étaient partis. L'idée était de s'éloigner le plus possible du centre de recherche pour atteindre le milieu de la forêt qui avait été par le passé examiné par plusieurs équipes. Les premières d'entre elles étaient lourdement armées, les suivantes bardées de matériels. De nombreuses données avaient d'ores et déjà été collectées, cependant aucune trace d'un quelconque pigment argenté n'avait été trouvée par le troisième groupe d'étude de la flore.

Ils avaient emporté avec eux une machine, certes pesante, mais qui leur permettait d'analyser directement les différents composants des plantes qu'ils rencontreraient en chemin.

Ils avançaient donc avec lenteur, en prenant toutes les précautions nécessaires. Régulièrement, ils vérifiaient qu'ils étaient dans la bonne direction et en profitaient pour se reposer. Personne ne savait où leurs recherches allaient les mener, ils espéraient simplement faire une découverte palpitante.

— J'en ai marre. On peut pas faire une pause ?

— Arrête de te plaindre, Kley, on vient de repartir, rétorqua Roy sans aucune compassion pour l'état du sous-chef.

Gehilts, à la tête du groupe, se figea soudain. Cela faisait plusieurs heures déjà qu'ils exploraient la forêt, ce n'était pas la première fois que l'un d'entre eux s'immobilisait brusquement. Les autres n'y prêtèrent pas attention et passèrent à côté de lui, Roy et Kley se disputant toujours. Ils marquèrent une pause à son côté et se turent en découvrant la scène qui s'offrait à leurs yeux.

La nuit venait de tomber, la lune avait pris le relais pour éclairer leur chemin. Devant le groupe s'étendait une petite clairière parsemée de milliers de points lumineux, scintillant tous d'une douce lueur argentée. Ils semblaient tracer une allée menant plus loin dans les bois. Ébahie, l'équipe ne bougeait plus, simplement soufflée par un tel spectacle. Ils ne s'attendaient pas à découvrir un paysage aussi beau, si irréel et magique. Ils avaient de la peine à y croire, comme s'ils venaient de pénétrer dans un univers complètement différent de tout ce qu'ils avaient pu voir et expérimenter jusque-là. Aucun d'entre eux ne le savait à cet instant précis, cependant leur arrivée dans cet endroit marquait le début de grands changements qui allaient bouleverser leur quotidien à tout jamais.

Le chef finit par se racler la gorge, tirant ses subordonnés de leur torpeur. La technicienne posa son sac sur le sol pour en sortir un imposant appareil photo. Elle installa un trépied et le stabilisa avant de faire quelques clichés. Silencieusement, Roy rangea ensuite ses affaires. Lorsqu'elle eut terminé, elle fit un signe de la tête au patron, lui indiquant qu'elle était prête à se remettre en route.

Ils regagnèrent le chemin, plus lentement cette fois. Leur direction était toute choisie, cependant ils prenaient le temps de noter diverses observations, comme la quantité de pigments, leur espacement, les plantes sur lesquelles il était repéré.

Plus ils s'enfonçaient dans les sous-bois, plus les arbres se faisaient grands, les troncs épais, les fougères hautes, à tel point qu'au bout d'un moment, ils commencèrent à ne plus voir ce qui se trouvait devant eux. Gehilts revint à la tête du groupe pour écarter la verdure la plus importunante tandis qu'Abzerver fermait la marche, son fusil paralysant bien en main. Il ne devait normalement pas y avoir d'animaux dangereux, tout au plus quelques ours qui préféreraient les ignorer plutôt que les approcher, nonobstant savoir qu'un homme armé se tenait prêt à agir les rassurait tous. Après tout, ils nageaient en plein inconnu.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

Personne ne prit garde au propos injurieux de Kley, tant ils étaient ébahis par le spectacle qui se déroulait sous leurs yeux. En effet, au détour d'un saule pleureur dont les ramures s'agitaient paisiblement sous l'effet du vent, ils s'étaient retrouvés face à un immense arbre lumineux. Le tronc pâle tout entier émettait une douce lueur opalescente, de fines lignes sombres indiquaient le passage de la sève montant jusqu'aux feuilles qui brillaient, elles aussi, d'une clarté argentée.

— C'est... magnifique, lâcha dans un soupir l'analyste.

Il n'y avait rien de plus à ajouter, aucun mot ne semblait pouvoir rendre gloire à la majesté de l'imposante plante.

Fidèles à leur métier de scientifique, ils finirent par se reprendre et sortir leur matériel pour récolter des informations. Alors qu'ils effectuaient d'habitude leurs tâches dans une ambiance bon enfant avec un niveau sonore relativement élevé, ils étaient pour une fois tous silencieux. Aucun d'eux ne prononça la moindre parole en s'approchant de l'arbre, seul le bruit du vent dans les branches brisait la quiétude des lieux, apportant à l'endroit un souffle mystérieux.

Le chef s'éloigna du groupe, voulant faire le tour des environs. Il commença à escalader une immense racine, montant lentement au-dessus du sol. Parvenant au sommet, surélevé de plusieurs mètres, il se redressa doucement, faisant attention à ne pas perdre son équilibre. La vue lui coupa le souffle. Il arrivait à distinguer, à travers les branches les plus proches, l'ensemble de la forêt qui s'étendait dans toutes les directions, à tel point qu'elle ne semblait jamais s'arrêter. Observer de cette manière la voûte sylvestre lui rappela sa petitesse et son ignorance. Deux sentiments l'envahirent et le partagèrent : la tristesse de se sentir aussi insignifiant ainsi que du soulagement. Il n'était pas si essentiel finalement, car ses choix ne décidaient pas du destin du monde. Qu'importe qu'il fasse des erreurs, il pourrait toujours en assumer les conséquences et rectifier le tir.

Il prit une grande inspiration avant de baisser ses yeux bleus, reportant son attention sur les alentours. Descendant prudemment, il revint à son exploration, se faisant la réflexion que les arbres devaient éprouver bien de la solitude, à ne pouvoir communiquer avec personne. Ou au contraire, peut-être qu'ils parlaient un langage qui leur était propre et qu'ils ne se sentaient jamais seuls, car ils avaient la promesse d'être sans cesse enveloppés par la présence de leurs semblables uniquement en se tenant dans la forêt. Se demandant brièvement d'où lui venait une telle idée enfantine, il se dit qu'il devait juste projeter ses émotions sur ce qui l'environnait. Se sentait-il délaissé ? Il était vrai qu'il n'avait jamais eu beaucoup d'amis à cause de sa famille qui s'était disloquée très tôt, l'empêchant de connaître un bonheur simple. Cependant, il n'avait jamais eu la sensation d'être mis à l'écart ou d'avoir besoin d'être entouré.

Il secoua la tête, se débarrassant de toutes ces pensées parasites. Qu'est-ce qui lui prenait, au juste ? Il se posait bien trop de questions ces derniers temps. De toute manière, il ne pouvait que se concentrer sur son travail et faire ce qui était à sa portée. Qu'importe ce qu'il éprouvait, du moment qu'il exécutait correctement ses tâches et qu'il remplissait ses devoirs.

Reprenant son exploration, il continua à faire le tour de l'immense arbre. Les minutes passèrent, il fouilla un peu les environs, mesurant régulièrement la taille des racines en se demandant comment il était possible que personne n'ait remarqué et fait part de l'existence d'un élément si grand dans la forêt, d'autant plus que le feuillu émettait de la lumière. Ou se contentait-il de refléter les rayons lunaires ? Il nota cette observation, décidé à y trouver la réponse.

Sa montre s'activa, sa lentille connectée l'informa de l'arrivée d'un nouveau mail. Alors qu'il s'apprêtait à l'ouvrir en voyant qu'il s'agissait d'un courriel prioritaire, l'hologramme trembla. Il fronça les sourcils, son appareil n'avait encore jamais eu de problème. L'image se fractionna avant de se stabiliser brièvement, puis de disparaitre. Que se passait-il ? Y avait-il un lien avec l'arbre ?

Il s'approcha du tronc et posa sa main sur l'écorce. Ses doigts furent parcourus d'un picotement, un sentiment d'urgence s'empara de lui sans qu'il parvienne à en définir l'origine. Il s'empressa de reprendre son tour, continuant son exploration. Son rythme s'accéléra, son cœur battait la chamade. Que lui arrivait-il, lui qui était généralement si calme ? Pourquoi se sentait-il obligé de se dépêcher ?

Une racine massive lui barra la route, il l'agrippa, se hissant au sommet à la seule force de ses bras. Il se promit intérieurement de ne plus se plaindre des séances de sport imposées par le centre de recherche.

Alors qu'il regardait en contrebas, une forme sombre appuyée contre le tronc attira son attention. Il sauta à terre et s'en approcha prudemment, ne sachant à quoi s'attendre. De longs cheveux bruns aux multiples reflets dorés, roux, rouges et noirs attachés en une simple tresse retombaient sur l'épaule d'une jeune femme aux traits fins. Ses paupières étaient baissées, sa respiration lente. Elle dormait.

Il s'accroupit face à elle, l'examinant rapidement. Ses sombres habits moulants étaient sales et déchirés par endroit, son membre supérieur gauche serrait son bras droit contre elle. En regardant de plus près, il découvrit que ses jointures étaient parsemées de sang séché, sans doute le sien. Comment s'était-elle fait de telles blessures ? On aurait dit qu'elle avait frappé dans quelque chose de dur, comme de la pierre ou du béton.

Envisageant diverses possibilités, il finit par doucement l'appeler, cherchant à la réveiller. Voyant qu'elle ne réagissait pas, l'homme posa tranquillement sa main sur son épaule droite.

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