21ème Chapitre

Tu te relèveras maintes et maintes fois

Elle était épuisée. Cela faisait maintenant plusieurs nycthémères qu'elle marchait dans le désert, se reposant la journée en baissant sa température corporelle et avançant la nuit dans le froid. Elle était presque arrivée au bout de ses réserves de nourriture, pour l'eau elle l'économisait depuis son départ. Elle s'était remémoré un livre qu'elle avait lu avec le professeur, des années plus tôt. Vay ne se souvenait plus vraiment du contenu, juste d'une information concernant les cactus. Réussissant à en dénicher un, elle sortit l'une de ses longues griffes effilées afin d'en couper un bout. L'intérieur spongieux était d'une couleur verte, elle le renifla avant de le jeter au loin. C'était clairement toxique.

Comprenant que si elle ne trouvait pas d'oasis ou de point d'eau rapidement, la jeune femme n'arriverait pas à continuer, elle enclencha le mode survie. Régulant au maximum ses capacités, elle exploita le moins de force possible, n'en dépensant que pour avancer la nuit et éventuellement pour grignoter quelque chose. Le cerveau consomme en moyenne vingt pour cent de l'énergie utilisée par le corps en une journée. Vay fit en sorte de somnoler lorsqu'elle marchait, cherchant à maintenir son esprit dans un état brumeux plutôt qu'à se réveiller. Ses pensées embrouillées atténuaient la souffrance de ses muscles et de sa peau qui la démangeait. Elle ignorait son ventre qui criait famine.

Elle n'avait aucune notion du temps. Tant qu'il y avait du soleil et de la chaleur, elle se reposait. Lorsqu'il faisait froid et sombre, elle avançait. Sans raisonner. Toujours plus loin. Douloureusement.

À un moment, Vay s'était demandé ce qu'elle faisait là. Le visage de son professeur était apparu dans son esprit, elle s'était sentie triste. À quoi bon continuer, alors que plus personne ne l'attendait ? Des yeux bleu clair saisissants lui revinrent en mémoire, à qui appartenaient-ils ? Si elle avait eu plus de force, elle aurait secoué la tête pour chasser toutes ses pensées inutiles. Un pied devant l'autre, c'était tout ce qui comptait. Gauche. Droite. Gauche. Sans jamais s'arrêter.

La voix n'était plus là, se dit-elle vaguement un soir en se mettant en marche. Elle ne se posa pas plus de questions, sachant pertinemment qu'y réfléchir ne la mènerait à rien.

Elle trébucha. Vay tenta de se rattraper, ses jambes la lâchèrent, elle tomba en avant. Couchée sur le sable froid du désert, elle demeura un moment immobile avant de s'asseoir à grande peine, épuisée. Sa main trembla tandis qu'elle se saisissait de sa gourde. Elle pencha la tête en arrière en la portant à sa bouche. Le peu d'eau qui restait, tout juste de quoi humidifier ses lèvres sèches, quitta le récipient. Sans force, elle laissa choir l'objet à terre, l'abandonnant sur place. Lentement, laborieusement, elle se mit debout et reprit sa route.

Droite. Gauche. Droite.

Un pas après l'autre.

Encore et encore.

Sans jamais s'arrêter.

Aller toujours plus loin.

Se reposer. Se réveiller. Recommencer.

Une fois de plus, elle décrocha le talkie-walkie à sa taille, l'alluma et fit tourner le bouton, faisant toutes les fréquences une à une, restant de longues secondes à l'affût de la moindre parole. Au début, elle parlait pour demander de l'aide. Maintenant, elle était tellement fatiguée qu'un simple effort comme répéter « il y a quelqu'un ? » lui semblait insurmontable, surtout si elle ne recevait aucune réponse.

Des grésillements, pas d'autres sons. Vay éteignit l'appareil pour économiser la batterie, le rangea à sa ceinture avant de continuer. Elle se devait d'avancer, toujours plus loin. Sans jamais s'arrêter.

Une forme floue apparut à l'horizon. Ne sachant de quoi il s'agissait, la jeune femme décida de s'en approcher. Elle n'avait rien à perdre.

La silhouette sombre était plus distante que ce qu'elle pensait, il lui fallut près de trois heures pour l'atteindre. Son rythme lent en raison de son corps perclus de douleurs n'aidait pas, elle faisait ce qu'elle pouvait.

C'était des arbres. Des palmiers aux longs troncs rugueux surmontés à leur sommet par de grandes feuilles tombantes. Posant sa main sur l'un d'eux, Vay s'immobilisa, n'en croyant pas ses yeux. De la verdure en plein milieu d'une terre hostile. Elle se mordilla la lèvre inférieure lorsqu'une pensée prit place dans son esprit. Ne lui avait-on pas toujours dit qu'il n'y avait aucune existence à l'extérieur de Farshlisn ? Que la nature était viciée à cause des déchets nucléaires et que plus rien ne poussait sans contrôle humain ? Tous les livres d'histoires qu'elle avait parcourus, toutes les informations que lui avaient données le professeur par ailleurs si sceptique tendaient vers la certitude que la vie ne pouvait plus se développer par elle-même sur cette planète corrompue. Pourtant, elle se tenait à côté d'un tronc en bonne santé. En y repensant, elle se souvient de plusieurs cactus qu'elle avait croisés en chemin, ainsi que d'arbustes rabougris et sans feuilles.

Tournant la tête, elle observa les environs. D'autres plantes formaient une sorte de cercle, comme si elles entouraient quelque chose. Baissant son regard orange, Vay aperçut une forme sombre. Elle s'en approcha lentement, tendit la main et la toucha. Ses doigts entrèrent en contact avec une surface froide et humide, ses yeux s'écarquillèrent en comprenant de quoi il s'agissait. De l'eau !

Sans réfléchir, elle abandonna ses affaires au pied du palmier et se précipita dans le bassin. Sa peau fut parcourue d'un frisson de plaisir glacé, elle n'en revenait pas. Elle s'autorisa à savourer ce présent inattendu alors qu'elle retrouvait ses esprits après des jours dans un brouillard perpétuel. Son corps reprit une température normale, elle enleva ses vêtements pour qu'ils puissent sécher tandis qu'elle se lavait. Un soupir d'aise s'échappa de ses lèvres, elle but en douceur, s'hydratant correctement pour la première fois depuis son départ. Se souvenant qu'elle avait abandonné l'une de ses gourdes en chemin, elle se réprimanda intérieurement.

Flottant sur le dos, Vay observa le ciel étoilé. Aucune pollution lumineuse ne lui gâchait le paysage, les astres lointains brillaient de mille feux. Elle n'avait jamais rien admiré d'aussi beau et apaisant. Quelle magnificence, si paisible et inatteignable ! Tendant la main, elle se surprit à vouloir les rejoindre dans leur calme éternité dénuée de problèmes.

La jeune femme resta longtemps ainsi, à contempler l'immensité de l'espace. Quand les étoiles commencèrent à se soustraire à son regard une à une et que le ciel s'éclaircit en toute tranquillité, elle se rendit compte que le jour n'allait pas tarder à poindre. Elle mit ses habits à peu près secs puis s'installa sous un arbre particulièrement grand. Elle prit le temps de grignoter la moitié du dernier morceau de viande qui lui restait, le gardant longuement en bouche pour tromper sa faim avant de refaire sa réserve d'eau. Elle tripota le talkie et se mit en quête d'une fréquence utilisée sans y croire une seule seconde. Au fond d'elle, une pointe d'optimisme perdurait, escomptant qu'elle finirait par trouver une autre ville. Son esprit rationnel ne se faisait pas d'illusions, il n'y avait presque aucune perspective de survie. Bien entendu, elle continuerait d'essayer jusqu'à ce que ses forces l'abandonnent, cependant elle préférait ne pas avoir de faux espoirs. Elle n'avait pas eu beaucoup de chance jusque-là, pourquoi cela changerait-il soudainement ?

Elle se résolut à refaire tous les canaux en parlant et en prenant son temps, bien consciente que c'était peut-être sa dernière opportunité. La batterie arrivait au bout. La jeune femme était reposée, c'était l'occasion de faire un point et de s'assurer qu'il n'y avait vraiment personne à proximité.

— Il... débuta-t-elle avant de devoir s'arrêter, saisie par une forte quinte de toux.

Après plusieurs douloureuses secondes où elle eut l'impression que sa gorge allait se déchirer, elle réussit à se calmer et alla boire de l'eau, lentement pour ne pas tout régurgiter. Reprenant sa place, elle retenta un appel.

— Il y a quelqu'un ?

Sa voix rauque lui faisait peur, elle ne se reconnaissait plus. Comme si elle était une intruse dans son propre corps.

— Il y a quelqu'un ? demanda-t-elle à nouveau sur la même fréquence.

Seuls des grésillements lui répondirent, elle décida de passer au second canal. Revenant au début, elle se répéta avant de changer de fréquence.

Trois fois.

Cinq fois.

Dix fois.

Elle le fit encore et encore, s'accordant des pauses régulières pour se désaltérer. Le soleil apparut à l'horizon, il commença à réchauffer l'air. Comme à son habitude, la jeune femme baissa sa température corporelle pour contrer la chaleur, passant en dessous des vingt degrés.

— ... o ?...

Croyant avoir halluciné, elle tendit l'oreille et essaya de faire abstraction des fritures. Peut-être qu'en tournant un peu plus le bouton... C'était ça, les bruits parasites se faisaient moins présents.

— Il y a quelqu'un ? appela-t-elle de sa voix rauque.

— ... o, vous... evez ?...

— Je vous entends très mal.

Elle tenta de modifier la fréquence, les grésillements se firent plus virulents. Inversant le sens, elle parvint à les atténuer.

— Vous êtes là ?

— Allo, vous me recevez ?

Bien que difficile à comprendre, cela ne faisait aucun doute : quelqu'un lui parlait. Elle avait réussi, elle avait trouvé d'autres personnes !

Une sourde angoisse se saisit alors d'elle. La jeune femme avait suivi son instinct pour avancer toujours droit devant elle et s'éloigner le plus possible de Farshlisn. Mais si elle avait en réalité fait une boucle et que son interlocuteur était dans la ville qu'elle cherchait tant à fuir ?

— Allo ?

— Je vous entends. Mal, mais je vous entends.

Elle ne pouvait laisser passer cette occasion. Seule, elle atteindrait bientôt ses limites. Il lui fallait de l'aide, elle devait tenter le tout pour le tout en faisant fi de ses appréhensions.

— Vous utilisez un canal sécurisé, veuillez...

— Attendez, je détiens des informations capitales ! s'exclama-t-elle en coupant son locuteur par peur qu'il quitte la fréquence.

Son engouement contraignit trop sa voix. Elle dut s'arrêter à cause d'une violente quinte de toux qui la força à lâcher le talkie-walkie. Quand elle se calma enfin, elle but un peu d'eau et reprit l'appareil.

— Je viens de Farshlisn. Le gouvernement prive les citoyens de leur liberté, il autorise des horreurs sans nom et personne ne peut s'y opposer. J'ai toutes les preuves sur moi, il faut que vous me fassiez confiance.

— Farshlisn ? répéta la voix grésillante.

Un long silence entrecoupé de parasites s'installa, Vay crut un court instant que la personne s'en était allée.

— Vous êtes sûre ?

— Oui, je viens de là-bas, je vous assure. Farshlisn.

— Où êtes-vous actuellement ?

— Dans une oasis, dans le désert. J'ai marché en direction du sud depuis que je suis partie.

— ...

— Pardon, je n'ai pas entendu.

— ... précisions.

— Je n'en sais rien, je n'ai pas de carte et rien n'indique le nom de l'endroit.

— Laissez votre... localiser.

Les grésillements se faisaient de plus en plus nombreux, Vay n'était pas sûre de tout comprendre.

— Vous pouvez répéter ?

— ... allumé, nous... localiser.

— Je dois laisser le talkie allumé, c'est ça ? La batterie est presque vide, je ne sais pas combien de temps elle va tenir. Au fait, de quelle ville venez-vous ?

Elle ne perçut aucune réponse, les bruits parasites se firent plus forts. Tentant d'améliorer la clarté, elle tourna doucement le bouton de la fréquence jusqu'à finalement atteindre un meilleur résultat.

— Vous m'entendez ?

— Nous vous recevons cinq sur cinq.

— Cinq quoi ? ne put-elle s'empêcher de demander, curieuse.

La jeune femme crut ouïr un début de rire.

— Une équipe se met en route.

— Depuis quelle ville ?

— Kamf, à l'extrémité sud du désert du Sahara.

Elle se souvenait vaguement d'avoir appris quelque chose à ce sujet, elle ne chercha pas à se le remémorer avec plus de précisions. La fatigue commençait à lui peser. Maintenant qu'elle avait trouvé du monde, il ne lui restait plus qu'à leur donner la clef USB et à les convaincre d'agir. Si les voix avaient dit juste, ce que le petit appareil de stockage contenait devrait suffire à les faire prendre l'initiative, auquel cas elle proposerait ses services pour les guider dans la ville.

Adossée au tronc, elle ferma les yeux et demanda :

— Comment vous appelez-vous ?

— Je suis le sergent Nuraminti de l'armée unifiée. Et vous ?

— Vay.

— Eh bien, Vay, tenez-vous prête : nous venons vous chercher.

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