18ème Chapitre (1/2)
Aucune difficulté ni aucun émoi
Rinual était en chemin vers les bas quartiers dans une navette volant juste au-dessus du brouillard qui flottait toujours près du sol et polluait l'air. Machinalement, il toucha une fois de plus la poche intérieure de son manteau, s'assurant que son badge était bien là.
Il avait longtemps songé à ses différents choix. Devait-il obéir et amener l'exorbitante somme d'argent avec lui ? Était-ce préférable de prévenir la sécurité en espérant que les agents viennent en aide à son frère, bien que ce fût peu probable au vu de l'endroit où il se trouvait ? Ou prendrait-il le risque d'accéder au point de rendez-vous les mains vides ? D'autres alternatives lui avaient traversé l'esprit, à l'instar d'emporter une arme avec lui, ne pas y aller seul ou en parler à son père. Le scientifique avait fini par faire un choix et s'était mis en route, quittant le banc du parc sur lequel il était assis. La station atteinte, il avait donné une adresse dans le quartier dix-huit, près du gratte-ciel où il avait rendez-vous. Il avait sorti son badge afin de prouver son droit à changer de zone, liberté que lui conférait son statut de chercheur au centre. Une fois n'était pas coutume, il remercia en silence son travail qui lui facilitait amplement la tâche.
En rangeant sa carte lui était venue une bien périlleuse idée. Et s'il s'en servait pour marchander avec le fameux Shlekht ?
Cette possibilité avait envahi ses pensées, Rinual avait réfléchi aux différentes résultantes : au moyen de la mettre en œuvre, ce qui pourrait mal tourner et comment s'en prémunir. Finalement, il décida d'adopter une approche qui lui permettrait de faire face à l'homme dangereux sur un pied d'égalité. À partir du moment où il perdrait le contrôle de la situation, tout risquait de se terminer dramatiquement pour lui et pour Denunsi.
Il prit une grande inspiration, expira lentement. Ses yeux se fermèrent tandis qu'il arrivait à destination. Il se calma. Ce n'était plus le moment de tergiverser ; il était temps d'agir.
La navette se posa, les moteurs s'arrêtèrent. Sortant de la capsule, Rinual marcha sans hésitation en direction de l'issue de la station. On ne le vérifia pas, il rejoignit les ascenseurs et descendit. Après plusieurs minutes de trajet, il finit par atteindre un couloir censé mener au lieu de rendez-vous. Personne ne se trouvait aux alentours, il avança jusqu'à l'extrémité du corridor. Sa main s'apposa sur le mur qui lui faisait face, c'était une impasse. Le scientifique ne comprenait pas, il était au bon endroit selon sa carte holographique. Y avait-il une porte dérobée dans les environs ? Ou une quelconque astuce pour passer au travers de la paroi ? Était-ce un piège ? Ne lui avait-on pas envoyé l'adresse correcte ?
Alors qu'il était en pleine tergiversation, des bruits de pas le ramenèrent à l'instant présent. Rinual se retourna, découvrant un enfant. Ce dernier ne dit pas un mot, il se contenta de lui prendre la main et de tirer légèrement sur son bras tout en lui faisant signe de le suivre. L'homme comprit rapidement qu'il s'agissait du messager de Shlekht, un petit comme lui ne se trouverait pas en un tel endroit sans aucune raison. Il lui emboîta le pas.
Ils parcoururent un véritable dédale de couloirs se croisant et s'entrelaçant tant et si bien que Rinual était complètement perdu, incapable de s'orienter. Il ne pouvait que se fier à son guide en espérant qu'ils finiraient par atteindre leur destination et qu'ils n'erreraient pas pour l'éternité dans ce sombre labyrinthe.
Finalement, au détour d'un angle, l'enfant disparut pour le laisser seul face à une simple porte en métal. Abaissant la poignée après un instant d'hésitation, Rinual vida ses poumons et poussa le battant.
Il se retrouva dans une grande salle abandonnée. Au vu des rampes à moitié démolies et entassées dans un coin pour libérer de l'espace, le scientifique comprit qu'il s'agissait d'un ancien skate park, ces endroits utilisés fréquemment comme lieux de rencontre dans les bas quartiers. C'était en tout cas ce qu'il avait lu une fois en parcourant un article publié sur l'interface, il ne savait à quel point il pouvait s'y fier.
Au centre, éclairé par une ampoule à la lueur vacillante, son frère était avachi sur une chaise. Rinual réfréna son envie de le rejoindre en courant pour le détacher, il préféra jouer la carte de la prudence et avancer tranquillement, presque nonchalamment, jusqu'à atteindre le cercle délimité par la lumière. S'arrêtant au bord, il parcourut la salle du regard, observant avec attention les zones les plus sombres. Plusieurs personnes se tenaient dans la pénombre, leur silhouette à peine plus foncée que les ombres.
— À qui dois-je m'adresser ? clama-t-il à haute et intelligible voix, s'assurant d'être entendu par tous.
Un léger écho lui fut renvoyé par les parois en béton. Il dut attendre plusieurs secondes avant qu'une réponse ne lui parvienne sous la forme d'un individu s'approchant à petits pas. Le premier mot qui lui vint à l'esprit en découvrant la face de son interlocuteur, ce fut « fouine ». Avec son imposant nez busqué, ses minuscules yeux enfoncés, ses lèvres fines craquelées, sa peau pâle et ses cheveux gras lui retombant sur le visage, il n'inspirait pas confiance.
— Toi argent ? se renseigna-t-il tandis que son regard mobile ne cessait de le parcourir de la tête aux pieds. Toi pas argent, ajouta-t-il d'un ton déçu, son examen visiblement terminé.
— Tu n'es pas Shlekht.
Un rire semblable à un grincement lui parvint. Il se rendit compte que c'était l'homme nain qui se gaussait de lui.
— Grand patron pas venir, non non. Toi pas important.
— Quel dommage. Il semblerait que je n'aie plus rien à faire ici.
Sa déclaration prit au dépourvu son allocutaire, qui se dandina d'un pied sur l'autre. Faisant mine de s'en aller, Rinual fut retenu par un gémissement, celui de son frère.
— Toi pas partir, non non. Si toi pas argent, lui mourir.
Ses lèvres se retroussèrent en un sourire animal, dévoilant ses dents jaunies et à moitié pourries. Comment un tel individu avait-il pu se retrouver à travailler pour un homme influent œuvrant dans l'ombre de la ville-basse ? Il n'avait rien de charismatique et ne semblait pas particulièrement futé.
— J'ai bien mieux que des jetons.
— Pas prendre. Prendre que argent. Pas argent, lui mourir. Toi argent ?
Réprimant son envie de s'éloigner de la fouine, Rinual se força à s'approcher et à se pencher en avant de manière à totalement surplomber son locuteur. Il lui murmura ensuite tout doucement :
— J'ai des informations très intéressantes ainsi qu'un badge me permettant de me rendre à la réserve. Transmets bien ces informations à Shlekht, je ne traiterai qu'avec lui.
S'écartant, il le fixa droit dans les yeux, se composant l'expression la plus froide qu'il pouvait. L'homme nain finit par reculer avec précipitation, il marmonna quelques mots incompréhensibles avant de s'en aller à petits pas et de quitter la pièce. Dès que la porte se referma, le scientifique s'accroupit aux côtés de Denunsi. Il plaça doucement sa main sous son menton, redressa le visage de son frère et secoua délicatement son épaule. Il nota son œil au beurre noir, sa lèvre fendue et son arcade sourcilière bien abîmée tandis qu'il l'appelait, cherchant à lui faire reprendre connaissance. Il parvint à ses fins, les paupières de son cadet battirent. L'un de ses yeux resta à moitié fermé, il était gonflé.
— Rin ?...
— Je vais te sortir de là, ne t'en fais pas.
— Qu'est-ce que tu fous...
Pris d'une quinte de toux, il ne finit pas sa phrase. Son aîné le soutint du mieux qu'il pouvait. Constatant l'absence de réaction des gardes présents dans la grande pièce, il défit les cordes retenant Denunsi. Ce dernier préféra demeurer assis, il était trop faible pour tenir debout seul. Il ne leur restait plus qu'à attendre jusqu'à avoir le champ libre pour quitter cet endroit détestable.
— T'as un plan ?
— On peut dire ça. Il va falloir que tu me fasses confiance, ajouta-t-il d'une voix posée en fixant son frère dans les yeux. Quoi que je dise ou que je fasse, n'interviens pas.
— Wah, ça m'inspire pas confiance du tout. T'es sûr de ton coup ?
— Oui, affirma Rinual après une hésitation trop longue qui n'échappa pas à Den.
Ils se turent et attendirent plusieurs minutes dans un silence total. La porte par laquelle était partie la fouine finit par s'ouvrir à nouveau. L'homme nain s'avança à petits pas, il était à moitié retourné et incliné vers la personne qui le suivait. Le son des semelles claquant sur le sol en béton se réverbérait, annonçant l'arrivée de quelqu'un d'assuré. Les gardes armés se redressèrent, l'air se chargea d'électricité, la tension devint palpable. L'apparition du nouvel arrivé revêtait une importance quintessentielle pour le futur des frères.
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