16ème Chapitre
Ne vois-tu pas la fin du chemin et ta croix ?
Sheyn Eyner Sanadara. Une grande et belle adulte intelligente allant au bout de ses idées et n'hésitant pas à dire le fond de sa pensée. Une personne intéressante et ouverte d'esprit. Une femme, une mère et une analyste hors pair.
- Entre, fais comme chez toi. C'est la première fois que tu viens, pas vrai, patron ?
- Exact. Je ne m'attendais pas à ce que ton appartement soit aussi...
Rinual parcourut du regard l'endroit en cherchant ses mots. Spacieux, placé dans un angle, la lumière du soleil l'éclairait tout au long de la journée. La mezzanine aménagée en bureau surplombait le grand salon parsemé de jouets en tout genre. Bien qu'en désordre, tout était propre.
- Tu veux manger un truc ? Ou boire quelque chose ?
- Un café, volontiers.
- La cuisine est par là.
- J'ose emprunter tes toilettes ?
- Bien sûr, première porte à droite.
- Merci.
Quelques instants plus tard, il la rejoignait et s'installa sur une chaise haute près du plan de travail séparant la cuisine de la salle à manger. L'appartement entier était équipé des derniers modèles technologiques, tout était parfaitement fonctionnel. Un robot domestique se tenait dans un coin, Sheyn lui attribua une tâche isolée avant de poser deux tasses remplies devant eux et de prendre place.
- Dis-moi tout. Qu'est-ce qui s'est passé depuis vendredi ?
- Vendredi... soupira-t-il en se laissant aller contre le dossier. J'ai l'impression que c'était il y a une éternité.
- À ce point ?
Il ne réagit pas, se contentant de tremper ses lèvres dans la boisson chaude.
- J'ai réussi à emmener Vay chez moi. Nous avons discuté, je t'ai envoyé un message ainsi qu'à Roy pour savoir comment obtenir un badge. Sans lui, elle aurait été arrêtée au premier contrôle. C'est l'outil de base pour vivre dans cette ville, il fallait lui en trouver un. Roy m'a appris que c'est illégal de s'en procurer un sans passer par l'administration ; or Vay n'était pas enregistrée comme une citoyenne.
- Pas la meilleure idée du siècle.
- Je te l'accorde, sauf que nous n'avions pas vraiment d'autre choix.
- Vous avez réussi ?
- Plus ou moins. Je ne sais pas si tu es au courant, mais j'ai un frère, Denunsi.
- Tu ne m'en as jamais parlé, mais... disons que j'ai fait ma petite enquête quand j'ai rejoint l'équipe.
Rinual la regarda, elle était plus mystérieuse que ce qu'elle laissait paraître. En même temps, à sa place et avec ses compétences, il aurait sans doute agi de la même façon. Se renseigner sur ses collègues n'était pas si étonnant que ça dans la société actuelle, de mauvaises fréquentations pouvaient causer des problèmes, que ce soit dans le secteur privé ou au travail.
- Il traine souvent dans les bas quartiers et a quelques contacts. Vay s'est arrangé pour qu'il nous aide, il nous a conduits hors de la ville-haute. Je te passe les détails, nous avons fini par obtenir un badge pour Vay et elle s'en est servie pour discrètement louer un appartement, où nous sommes restés jusqu'à ce matin.
- Quand tu m'as envoyé ton message me demandant si tu pouvais venir ici ?
- Un peu avant, oui. La sécurité nous a retrouvés, Vay les a retenus pendant que je m'enfuyais. Je ne voulais pas la laisser seule, mais tu aurais vu son regard... Rien ne l'aurait fait changer d'avis, et le temps pressait... En plus, elle a dit qu'elle ne voulait plus me causer de problème, alors...
Il fut interrompu par la gifle que lui mit Sheyn. Ses yeux violets le foudroyaient, elle était en colère.
- Tu te fiches de moi ? On a fait tout ça pour la sortir de là-bas, pour qu'elle n'ait plus à souffrir et toi tu fais rien pour la sauver ? T'es complètement stupide ou quoi ? Tu crois vraiment qu'elle va s'en tirer sans rien après sa fuite ? Tu réfléchis un peu, crétin ?
Aussi étrange que cela puisse paraître, se faire ainsi admonester par une mère de famille lui fit du bien. Il se sentit mal en prenant conscience de la gravité de ce que Vay devait subir en cet instant, cependant la claque lui avait remis les idées en place. Il n'allait pas rester sans rien faire, il ne pouvait pas la laisser seule. Elle ne méritait plus de souffrir.
- Merci, Sheyn. Il faut que j'y aille.
Croisant son regard bleu, l'analyste comprit qu'il s'était ressaisi. Bien, pensa-t-elle. Elle avait fait ce qu'elle avait à faire, c'était maintenant à son tour d'agir.
Rinual ne gaspilla pas plus de temps, il partit en abandonnant son café sur le plan de travail. Pressé, il n'attendit pas que la porte soit fermée pour se diriger d'un pas vif en direction de la station. Une idée germait dans son esprit, un sourire sombre s'épanouit sur son visage. Si ça ne marche pas, je vais perdre tout ce que j'ai. Il n'avait pas le droit de se rater.
En chemin, il envoya un message à Roy pour qu'elle le rejoigne au centre de recherches. Les heures supplémentaires n'étaient pas interdites, au contraire. Il arrivait de temps en temps qu'un scientifique ait une idée de génie et ne puisse s'empêcher de la tester ou de la vérifier sur leur lieu de travail. Les passages le weekend n'étaient ainsi pas étonnants, Rinual s'engagea sans problème dans le bâtiment et gagna la salle dédiée à la troisième équipe d'analyse sur la flore. S'installant autour de la grande table centrale, il prit ses aises en attendant que la technicienne le rejoigne. Cette dernière entra dans la pièce quelques minutes après lui, ce qui lui laissa juste assez de temps pour finaliser son plan, du moins en théorie. Il lui restait à voir si c'était possible.
- Salut boss. Alors, qu'est-ce qui est si urgent ?
Tout en mettant une main dans ses courts cheveux ébouriffés pour les replacer, elle s'assit sur une chaise.
- Je ne suis pas là en tant que ton supérieur. J'ai besoin de ton aide.
- C'est au sujet de la fille ? Elle est où, d'ailleurs ?
S'assurant qu'ils n'étaient pas écoutés, l'homme lui raconta les derniers événements pour le moins mouvementés. En apprenant l'arrestation de Vay, Roy écarquilla les yeux, stupéfaite. Son visage se ferma ensuite, elle semblait sur le point de l'accuser quand il leva ses mains en signe d'apaisement.
- J'ai une idée pour la faire sortir de là, mais pour ça il me faut absolument ton aide. Tu es forte en programmation, non ?
- En plus de mes nombreux autres talents, tu veux dire.
- Ce n'est pas le moment de plaisanter.
- Oh là là, même plus le droit de rire ! Disons que je me débrouille pas trop mal.
- Est-ce que tu es capable de pirater le système central ?
Un air choqué s'installa sur son visage au fur et à mesure qu'elle assimilait ce qu'il lui demandait et les conséquences s'ils étaient découverts. Elle finit par se lever lentement, poser ses deux mains bien à plat sur la table et se pencher afin de regarder droit dans les yeux Rinual.
- C'est hors de question.
- C'est mon seul plan.
- Oh que non, tu ne peux pas faire ça. Moi non plus, personne ne le peut, alors laisse tomber cette idée. Oublie-la, enterre-la, jette-la au loin, peu importe, mais ne dis plus jamais une chose pareille.
Il se leva à son tour, face à elle. Imitant sa posture pour se rapprocher d'elle, son regard montrait toute sa détermination.
- C'est mon seul plan, répéta-t-il lentement. Je ne peux rien faire d'autre pour aider Vay. J'ai besoin de toi, Roythorik. Je te le demande, aide-moi, et j'aurai une dette immense envers toi. Quoi que tu réclames en échange, je le ferai, alors aide-moi.
Ils restèrent de longues secondes immobiles, se jaugeant. Il ne baisserait pas les bras. Elle ne pouvait le laisser agir seul. Un soupir résolu s'échappa de ses lèvres, elle reprit place.
- Ça va être compliqué. Je peux m'infiltrer dans le système, mais pas plus de quelques minutes, sinon la sécurité va détecter une intrusion et remonter jusqu'à cet endroit.
- C'est suffisant.
- Qu'est-ce que tu veux faire, une fois dans le système central ?
- Envoyer un mail.
- Pardon ? ne put-elle s'empêcher de lâcher, incrédule.
- Envoyer un mail.
- Pas besoin de le répéter, j'avais compris, mais pourquoi ? De qui, à qui ? Quel message ?
Prenant une feuille et un stylo, matériel qu'il pouvait facilement détruire par la suite, Rinual nota toutes les données nécessaires à Roy. Se couvrant la bouche d'une main tandis que ses yeux parcouraient le papier, elle ne pouvait s'empêcher d'être sidérée par l'ingéniosité et la dangerosité d'une telle action. Rédiger un courriel ne lui avait jamais paru aussi lourd de conséquences qu'en ce moment même.
- Tu en es capable ?
- Ça ne m'étonnerait pas qu'en quelques heures tout soit découvert.
- C'est là que tu te trompes. Mon père est beaucoup trop fier pour reconnaître avoir fait une erreur. Involontairement, il nous couvrira.
Les lèvres de la technicienne esquissèrent un sourire florentin. Si tout se passait comme prévu, Vay serait bientôt libre sans avoir besoin de faire le moindre geste. Quelques simples lignes suffiraient à lui retirer ses chaînes. Oh, qu'elle aimait cette idée.
- Ça va me prendre un moment, boss. Vous devriez vous asseoir, sauf si vous avez quelque chose d'autre à faire ?
- Je reste ici.
Ne prononçant pas un mot de plus, Roy se mit au travail, ouvrant plusieurs hologrammes devant elle. De son côté, Rinual commença par arpenter la pièce avant de sortir dans les couloirs du centre. Il avait quelques recherches à faire, des archives à fouiller entre autres.
Plus de deux heures passèrent dans le calme. Personne ne vint ni l'arrêter ni l'interroger, comme s'il n'avait jamais été impliqué dans la fuite d'une cobaye, comme si l'évasion en elle-même n'avait jamais eu lieu. L'homme, assis dans une pièce mal éclairée et remplie de dossiers poussiéreux, reçut un message de la technicienne. En ouvrant la boîte de dialogue, il aperçut du coin de l'œil qu'il avait plusieurs notifications. Décidant de les regarder plus tard, il se concentra sur la discussion avec Roy. Elle lui annonçait qu'elle avait presque fini, il ne lui restait plus qu'à tout envoyer et sortir du système. Elle avait besoin de son autorisation avant de commettre l'irréparable. Il lui donna son accord, elle appuya. Le mail était parti.
Ils échangèrent quelques mots, elle gardait la dette qu'il avait envers elle en mémoire, en attendant elle comptait bien rentrer chez elle se reposer. Il acquiesça et mit fin à la conversation. Son regard s'arrêta sur les documents éparpillés devant lui, il se remit au travail, cherchant des informations concernant Vay, ou plutôt un cobaye du centre d'expérimentation arrivé il y avait environ dix-huit ans. Ses investigations furent infructueuses, il s'autorisa une pause pour aller manger au réfectoire, où il trouva des sandwichs dans le réfrigérateur. Trois scientifiques étaient sur place tandis qu'il se restaurait, il les ignora et se dépêcha de terminer son repas avant de retourner dans les archives. Revenant à ses recherches, il ne parvenait pas à se concentrer entièrement sur sa tâche. Rinual avait la vague impression d'oublier quelque chose, sans arriver à déterminer de quoi il s'agissait.
S'étirant sur la chaise en bois, il activa la montre connectée qu'il avait récupérée dans la salle de travail de son équipe. Sa lentille s'alluma, il accéda à l'interface de Farshlisn.
- C'était ça...
Son murmure résonna dans la pièce vide. Ce qu'il tentait de se remémorer depuis un moment, c'était les notifications qu'il n'avait pas pris le temps de regarder. Il s'agissait de plusieurs messages, un de son père et cinq de son frère. Commençant par le plus ancien, il lut le mot de son paternel, qui lui demandait où il était et ce qu'il faisait. Réprimant un accès de colère envers le besoin de contrôle du politicien, Rinual lui répondit aussi sèchement que possible que ce n'était pas ses affaires. Il s'occupa ensuite de Denunsi.
Le scientifique se sentit d'abord interdit en parcourant la boîte de dialogue du regard, puis envahi par la crainte et finalement agité. L'adolescent avait de grands problèmes avec un certain Shlekht, un homme qui semblait dominer le marché noir. D'après les messages qu'il avait reçus, son frère lui devait une importante somme d'argent et était au moment même retenu par la force. Ça se finirait très mal pour Denunsi s'il ne venait pas rapidement avec pas loin de cent mille jetons. Jurant entre ses dents, Rinual s'apprêtait à menacer les types qui maintenaient le jeune sous leur emprise quand une photo lui parvint.
Son cadet était couvert d'hématomes et de coupures, pieds et poings liés à une chaise dans une sorte d'entrepôt peu éclairé. Un message suivait, lui indiquant un lieu et une heure de rendez-vous. Il avait une demi-journée pour réunir l'argent ainsi que s'y rendre, sinon son frère mourrait.
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